Édition du 23 avril 2024

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Féminisme

Beauté fatale

L’omniprésence de modèles inatteignables enferme nombre de femmes dans la haine d’elles-mêmes

Ce livre comble un vide. Peu d’analyses récentes travaillent sur la presse dite féminine, les groupes industriels de produits de beauté et les relations entre image et construction/destruction de soi.

« Autant l’admettre : dans une société où compte avant tout l’écoulement des produits, où la logique consumériste s’étend à tous les domaines de la vie, où l’évanouissement des idéaux laisse le champ libre à toutes les névroses, où règnent à la fois les fantasmes de toute-puissance et une très vieille haine du corps, surtout lorsqu’il est féminin, nous n’avons quasiment aucune chance de vivre les soins de beauté dans le climat de sérénité idyllique que nous vend l’illusion publicitaire. »

En attirant particulièrement l’attention sur « les pouvoirs de la fiction et de l’imaginaire », tout en ne négligeant pas que « la mondialisation des industries cosmétiques et des groupes de médias aboutit à répandre sur toute la planète le modèle unique de blancheur, réactivant parfois de hiérarchies locales délétères », Mona Chollet, analyse, entre autres, les « normes tyranniques », une vision de la « féminité » réduite à « une poignée de clichés mièvres et conformistes », l’obsession de la minceur, l’insécurité psychique, l’auto-dévalorisation, etc.

En revenant sur les affaires Polanski et Strauss-Kahn, elle insiste à juste titre sur « le désir de maintenir les femmes dans une position sociale et intellectuelle subalterne », sur les banales réactions antiféministes et termine son introduction par le vœux de beaucoup d’hommes « Elles (les femmes) pourraient commencer à raisonner, à contester ; elles pourraient se mettre en tête de devenir des personnes, des insolentes. Puisse le ciel nous épargner encore longtemps une pareille catastrophe ».

L’ouvrage se compose de six chapitres :

« Et les vaches seront bien gardées. L’injonction à la féminité »

« Un héritage embarrassant. Interlude sur l’ambivalence »

« Le triomphe des otaries. Les prétentions culturelles du complexe mode-beauté »

« Une femme disparaît. L’obsession de la minceur, un ‘désordre culturel’ »

« La fiancé de Frankenstein. Culte du corps ou haine du corps ? »

« Comment peut-on ne pas être blanche ? Derrière les odes à la ‘diversité’ »

« Le soliloque du dominant. La féminité comme subordination »

Pour celles et ceux qui ne seraient pas encore convaincu-e-s de se plonger dans cet ouvrage, quelques citations, comme autant d’invitations à lire les analyses de Mona Chollet :

« l’horizon sur lequel chacun s’autorise à projeter ses rêves s’est rétréci jusqu’à coïncider avec les dimension de son chez-lui et, plus étroitement encore, avec celles de sa personne »

« L’absence d’idéal concurrent et les sollicitations permanentes de la consommation viennent réactiver les représentations immémoriales qui vouent les femmes à être des créatures avant tout décoratives »

« un idéal féminin associé toujours plus étroitement à la jeunesse et à la fraîcheur »

« Notre apparence, loin d’être un simple ajout inerte sur une identité qui resterait stable, intervient sur nôtre être, le modifie »

« Dans une société où l’égalité serait effective, elles auraient droit à un autre rôle que celui de vaches à lait ou de perroquets – ou d’otaries – du complexe mode-beauté »

« Le corps est le dernier lieu où peuvent s’exprimer la phobie et la négation de la puissance des femmes, le refus de leur accession au statut de sujets à part entière »

« Nous ne sommes que de la matière ; mais cette matière n’est pas la camelote désenchantée que nous nous figurons »

« Il y a une différence essentielle entre la démarche qui consiste, pour une femme, à user de divers procédés pour se faire belle et séduisante, sans pour autant résumer son identité à cela, et l’imposition systématique d’attributs destinés à marquer le féminin comme une catégorie particulière, cantonnée à une série limitées de rôles sociaux. »

Pourtant, dans ce cadre qui ne saurait gommer ou annihiler les contradictions, les femmes luttent et pour une part d’entre elles, si elles cèdent, elles ne consentent pas…

Nous devons nous réjouir de l’ensemble des travaux qui interrogent les asymétries entre femmes et hommes, qui déconstruisent les « rôles », qui soulignent ces « petites choses quotidiennes mais répétitives » qui entravent les « avancées » émancipatrices, d’autant plus qu’elles sont souvent reléguées, par certains, à un rang secondaire, comme d’ailleurs souvent le combat global pour l’émancipation des femmes. A l’inverse, il faut (re)affirmer que l’émancipation n’a de sens et de réalité que si elle est celle de toutes et tous.

Puisqu’il est cité, je rappelle le texte de la couverture de Voir le voir de John Berger :« Le miroir a souvent été utilisé comme symbole de la vanité féminine. Toutefois ce genre de moralisme est des plus hypocrites. Vous peignez une femme nue parce que vous aimez la regarder, vous lui mettez un miroir dans la main puis vous intitulez le tableau VANITÉ, et ce faisant vous condamnez moralement la femme dont vous avez dépeint la nudité pour votre propre plaisir. »

L’humour de l’auteure rend la lecture réjouissante derrière la banalité de « l’horreur quotidienne ». Ses analyses rendent palpable que « l’émancipation n’est pas déjà là », quoiqu’en disent certain-e-s. « Non, décidément, ‘il n’y a de mal à vouloir être belle’. Mais il serait peut-être temps de reconnaître qu’il n’y a aucun mal non plus à vouloir être. »

En complément possible :

Sur la chapitre 6, citée par l’auteure, le livre de Rokhaya Diallo : Racisme mode d’emploi (Editions Larousse, Paris 2011) Le sens que nous donnons à l’ordre que nous créons n’est que pure invention

Ilana Löwy : L’emprise du genre – Masculinité, féminité, inégalité (La Dispute, Paris 2006) L’évident et l’invisible et deux livres plus anciens d’Anne-Marie Dardigna : Femmes, femmes sur papier glacé (François Maspero, Paris 1974) et La presse ‘féminine’, fonctions idéologique (Petite collection Maspero, Paris 1978)

Introduction à lire sur le site Les mots sont importants/Beaute-fatale et des extraits sur le site d’Acrimed http://www.acrimed.org/article3799.html

Mona Chollet : Beauté fatale

Les nouveaux visages d’une aliénation féminine

Zones, Paris 2012, 238 pages, 18 euros

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