Édition du 29 avril 2025

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Féminisme

Le projet de loi 94 ou comment priver des femmes de leurs droits

Nous, groupes féministes de tous horizons, dénonçons avec force l’interdiction du port de signes religieux dans le réseau de l’éducation proposée par le projet de loi 94 du ministre de l’Éducation, Bernard Drainville. Cette nouvelle loi élargirait la portée de mesures discriminatoires introduites par la loi 21, qui proscrit déjà aux figures d’autorité et aux personnes enseignant dans le réseau public de porter des signes religieux visibles. Désormais, cette interdiction s’étendrait aux étudiant·es, aux parents, à l’ensemble du personnel scolaire et aux personnes travaillant dans le cadre d’ententes avec les établissements scolaires. Cela, alors même que la constitutionnalité de telles mesures est actuellement contestée devant la Cour suprême du Canada.

Une lettre ouverte du Réseau des Tables régionales de groupes de femmes du Québec, de la Fédération des femmes du Québec et de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes, appuyée par 17 autres groupes signataires, dont L’R des centres de femmes du Québec.

Lettre ouverte ― Le projet de loi 94 ou comment priver des femmes de leurs droits

Lettre ouverte au ministre de l’Éducation, Bernard Drainville
Nous, groupes féministes de tous horizons, dénonçons avec force l’interdiction du port de signes religieux dans le réseau de l’éducation proposée par le projet de loi 94 du ministre de l’Éducation, Bernard Drainville. Cette nouvelle loi élargirait la portée de mesures discriminatoires introduites par la loi 21, qui proscrit déjà aux figures d’autorité et aux personnes enseignant dans le réseau public de porter des signes religieux visibles. Désormais, cette interdiction s’étendrait aux étudiants, aux parents, à l’ensemble du personnel scolaire et aux personnes travaillant dans le cadre d’ententes avec les établissements scolaires. Cela, alors même que la constitutionnalité de telles mesures est actuellement contestée devant la Cour suprême du Canada.

Le gouvernement prétend agir au nom de l’égalité entre les femmes et les hommes pour justifier son projet de loi. Nous nous y opposons fermement justement parce que nous défendons les droits de toutes les femmes à l’égalité, à la sécurité, à l’autonomie et au travail. Pour les femmes pratiquant diverses religions, c’est l’ensemble de ces droits qui seront à nouveau fragilisés, tout comme ils le furent avec l’adoption de la loi 21. La Cour supérieure du Québec a d’ailleurs reconnu l’effet disproportionné de cette loi sur les femmes musulmanes.

La loi 21 adoptée en 2019 a eu de multiples conséquences négatives directes et indirectes, frappant principalement les femmes québécoises musulmanes portant le voile, surtout dans le milieu de l’éducation, mais affectant même celles ne le portant pas. Comme le témoignent plusieurs femmes, l’interdiction du port de signes religieux a des impacts désastreux sur leur parcours professionnel, les limite dans leurs choix de carrière et porte atteinte à leur sécurité économique. À cela s’ajoute une augmentation des violences psychologiques et physiques à leur endroit. Ces femmes, bien souvent racisées, relatent vivre plus de harcèlement au travail et être davantage les cibles d’intimidation et d’insultes dans l’espace public ou sur les réseaux sociaux. Elles doivent constamment faire preuve de stratégies et d’hypervigilance pour faire face à l’exclusion, la discrimination et la haine légitimées par cette loi.

Tous ces contrecoups ont amené les femmes musulmanes à se sentir écartées de la vie publique et exclues de la société québécoise. Selon une étude de Metropolis, 64 % d’entre elles ont vu leur volonté de participer à la vie sociale et politique diminuer depuis l’adoption de la loi 21. Au lieu de favoriser l’inclusion et l’harmonie sociale, qui sont les objectifs déclarés de nos dirigeants politiques, cette loi a eu précisément l’effet inverse.

Sachant toutes ces répercussions, comment le ministre Drainville ose-t-il déposer le projet de loi 94 ? Plutôt que de remettre en question la loi 21, il redouble d’ardeur. Il propose d’étendre l’insécurité aux femmes portant le voile et travaillant notamment au service de garde, à la cafétéria, comme conseillères pédagogiques, comme psychologues ou s’impliquant comme parents bénévoles ; des rôles essentiels à notre réseau d’éducation publique. Jusqu’où ce gouvernement ira-t-il ? Où ces femmes ont-elles encore le droit d’exister, de travailler et de s’épanouir ?

De surcroît, la Ligue des droits et libertés nous alerte que le projet de loi 94 fera fi de 38 articles de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, dont précisément le droit à l’égalité ! En tant que groupes féministes, nous refusons une telle vision sélective de l’égalité qui nie ce droit à certaines catégories de femmes. Le féminisme que nous défendons est un féminisme de l’autonomie, du respect et de la dignité. Il est intersectionnel, antiraciste et solidaire.

Notre constat est clair : le projet de loi 94 du ministre Drainville étend la portée de mesures discriminatoires ayant un impact disproportionné sur les femmes et, pour ce faire, contourne la Charte, un levier juridique qui a historiquement permis aux femmes d’améliorer leurs conditions de vie et le respect de leurs droits. C’est pourquoi il est hautement contradictoire d’affirmer que ce projet est motivé par l’égalité entre les femmes et les hommes. À cet égard, nous déplorons que les groupes féministes critiques de la loi 21 et du projet de loi 94 n’aient pas été invités en commissions parlementaires.

Les femmes musulmanes décident de porter le voile pour de multiples raisons et adhèrent fortement aux valeurs touchant l’égalité des genres. Nous, groupes féministes, soutenons leur autonomie et rejetons toute imposition de porter ou de retirer le voile. Au nom de l’égalité, nous demandons au ministre Drainville de retirer le projet de loi 94 et d’abroger la loi 21, d’engager un véritable dialogue avec les organisations musulmanes et féministes et de garantir l’accès à l’école sans condition religieuse.

Signé par :

Audrey Gosselin Pellerin, organisatrice féministe politique
Réseau des Tables régionales de groupes de femmes du Québec

Sara Arsenault, responsable des dossiers politiques
Fédération des femmes du Québec

Stephan Reichhold, directeur général
Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes

Et 17 autres groupes signataires :

Fédération des maisons d’hébergement pour femmes

L’R des centres de femmes du Québec

Conseil d’intervention pour l’accès des femmes au travail (CIAFT)

L’Observatoire pour la justice migrante

DTMF – Association pour les droits des travailleur•ses de maison et de ferme

Réseau québécois d’action pour la santé des femmes (RQASF)

Regroupement Naissances Respectées

Le conseil canadien des femmes musulmanes

YWCA

Fédération du Québec pour le planning des naissances (FQPN)

L’Association canadienne contre la violence sexuelle

DAWN Canada

Co-Savoir

Regroupement québécois des CALACS

Fonds d’action et d’éducation juridique pour les femmes (FAEJ)

Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI)

Relais-femmes

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