14 mars 2023 | tiré de mediapart.fr
Le président Joe Biden a trahi ses engagements de campagne, avec le feu vert de son administration à un mégaprojet de forage pétrolier en Alaska sur des terres fédérales, le plus important aux États-Unis. En septembre 2020, lors d’un meeting, interrogé sur les forages en Arctique, il avait répondu : « Plus de forage sur les terres fédérales, un point c’est tout. »
Mais, lundi 13 mars, le président des États-Unis a confirmé qu’il avait largement tourné le dos à ses engagements. S’il doit rapporter des milliards de dollars à l’Alaska, cet État situé à l’extrémité nord-ouest de l’Amérique du Nord, dans le cercle polaire arctique (10 milliards de dollars, selon les autorités fédérales) mais aussi à l’État fédéral (7 milliards), ainsi que des emplois (plus de 1 700 dans la phase de construction des installations pendant huit ans, puis 400 dans les phases de forage et d’exploitation), le projet Willow est une très mauvaise nouvelle pour une planète confrontée à la catastrophe climatique.
Soutenu par le géant américain ConocoPhillips et réduit à trois zones de forage, soit 219 puits, contre les cinq demandées par l’entreprise, il est situé dans une zone appelée la « réserve nationale de pétrole dans le North Slope d’Alaska » (le versant nord). Une grande partie des élus locaux, y compris la seule à être membre de la Chambre des représentants, la démocrate Mary Peltola, une autochtone de l’ethnie Yup’ik, plaidaient en faveur du projet. Dans un texte publié il y a plus d’une semaine, elle expliquait que la transition énergétique ne se ferait pas du jour au lendemain et qu’il était donc nécessaire de faire profiter l’Alaska des richesses apportées par les énergies fossiles…
Le PDG de ConocoPhillips a salué une « bonne décision pour l’Alaska et [son] pays ». « Willow s’inscrit dans les priorités de l’administration Biden en matière de justice environnementale et sociale, de facilitation de la transition énergétique et de renforcement de notre sécurité énergétique, tout en créant de bons emplois syndicaux et en apportant des avantages aux communautés autochtones de l’Alaska. »
Ce n’est pas la titulaire du ministère de l’intérieur, chargé de l’aménagement du territoire et de la gestion des ressources naturelles, Deb Haaland, qui a signé le texte, mais son adjoint. Lorsqu’elle était parlementaire, Deb Haaland, première autochtone à occuper ce poste, s’était en effet opposée à ce projet.
Dans une vidéo diffusée lundi, elle a cependant tenté de justifier la décision prise par l’administration Biden, en évoquant un « projet difficile et complexe dont [ils ont] hérité ». « Nous nous sommes concentrés sur la manière de réduire l’empreinte du projet et de minimiser son impact sur les personnes et la faune. Le projet qui a été approuvé est nettement moins important que celui proposé initialement par ConocoPhillips, soit une réduction de 40 % », a-t-elle affirmé, ajoutant : « Je suis convaincue que nous sommes sur la bonne voie, même si ce n’est pas toujours une ligne droite. »
Dimanche, sans doute pour tenter de désamorcer les critiques visant la décision d’autorisation de Willow, l’administration Biden avait annoncé vouloir protéger encore plus une vaste zone de la réserve nationale de pétrole et interdire de façon permanente les forages sur une grande zone de l’océan Arctique bordant cette réserve. Depuis des jours, une vague de vidéos d’opposition au projet avait notamment déferlé sur le réseau social TikTok, et une pétition en ligne avait recueilli plus de 3,2 millions de signatures.
« L’administration Biden s’est engagée à lutter contre le changement climatique et à faire progresser la justice environnementale – la décision prise aujourd’hui d’approuver le projet Willow n’est pas à la hauteur de ces promesses », a réagi la représentante Alexandria Ocasio-Cortez, signant avec d’autres parlementaires démocrates un communiqué commun. Ce choix « ignore la science irréfutable qui dit que nous devons arrêter de construire des projets comme celui-ci pour ralentir les impacts toujours plus dévastateurs du changement climatique ».
L’ONG environnementale Earthjustice a dénoncé le feu vert donné au projet, dont les émissions de gaz à effet de serre équivaudront, selon elle, à la circulation de 56 millions de véhicules pendant un an ou à l’exploitation de près de 70 centrales électriques au charbon. Willow, affirme l’ONG, « modifiera également de façon permanente l’Arctique occidental, une région d’importance mondiale et d’une grande richesse écologique, en perturbant les schémas de migration des animaux, en érodant des habitats précieux, en nuisant aux pratiques de subsistance et en posant des risques sanitaires inacceptables pour les communautés amérindiennes de l’Alaska ». La présidente d’Earthjustice, Abigail Dillen, a jugé que ce genre de projet sape « la nouvelle économie propre que l’administration Biden s’est engagée à promouvoir ».
« La pollution carbone qu’il va relâcher dans l’air aura des effets dévastateurs pour nos populations, la vie sauvage et le climat. Nous allons en subir les conséquences pour les décennies à venir », souligne pour sa part l’organisation environnementale Sierra Club.
Le New York Times a relevé que l’approbation du projet Willow « marque un tournant dans l’approche de l’administration en matière d’exploitation des combustibles fossiles », car il est « l’un des rares projets pétroliers que M. Biden a approuvé librement, sans décision de justice ni mandat du Congrès ».
Le projet Willow avait initialement été approuvé par l’administration Trump, avant d’être temporairement stoppé en 2021 par un juge, qui l’avait renvoyé à un nouvel examen du gouvernement. Début février, le Bureau de gestion du territoire avait publié son analyse environnementale du projet, dans laquelle il avait détaillé une « alternative privilégiée ».
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