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Brésil. Bolsonaro s’affaiblit, la droite avance et la gauche relève la tête

Les élections municipales de 2020 ont été atypiques. Tout d’abord parce qu’elles sont survenues en pleine pandémie qui a déjà tué plus de 173 000 Brésiliens et provoqué une grave crise économique et sociale. Ensuite, parce qu’elles ont eu lieu sous le gouvernement d’extrême droite de Jair Bolsonaro qui, il y a quelques mois, menaçait de faire un coup d’État.

Publié sur le site A l’encontre
6 décembre 2020

Editorial d’Esquerda Online

Dans ce contexte, les électeurs et électrices se sont rendus aux urnes lors d’élections conditionnées par des particularités locales, telles que le taux d’approbation négatif ou positif des maires sortants. L’augmentation considérable du taux d’abstention peut s’expliquer par diverses raisons, comme le manque d’intérêt pour la politique de la part de l’électorat, mais la principale raison était la crainte de contamination par le virus.

Afin de faciliter un bilan général, nous avons évalué les performances des cinq grands blocs politiques nationaux : 1° celui de la droite traditionnelle qui ne constitue pas la base d’appui au gouvernement, dirigé par le PSDB (Parti de la social-démocratie brésilienne), le DEM (Démocrates) et la MDB (Mouvement démocratique brésilien) ; 2° celui de l’extrême droite, dont l’aile principale est le bolsonarisme ; 3° celui de la droite qui est la base du soutien au gouvernement : PP (Parti progressiste), Républicains, PTB (Parti travailliste brésilien), entre autres ; 4° celui de la gauche:PSOL (Parti socialisme et liberté), PT (Parti des travailleurs) et PCdoB (Parti communiste du Brésil) ; 5°et celui du centre-gauche : PDT (Parti démocratique travailliste) et PSB (Parti socialiste brésilien). A la fin, nous présentons brièvement des notes sur les tâches de la gauche pour la prochaine période.
La droite traditionnelle (non-bolsonariste) a gagné

Le camp de droite qui ne constitue pas la base du gouvernement – sous la direction du PSDB, du DEM et du MDB – a gagné dans 15 capitales, remportant la plupart des principales : São Paulo (PSDB), Rio de Janeiro (DEM), Belo Horizonte (PSD), Salvador (DEM), Curitiba (DEM) et Porto Alegre (MDB).

Il est important de souligner le résultat du DEM qui a gagné dans quatre capitales et qui est toujours en concurrence avec Macapá [capitale de l’état d’Amapá, les élections ont été repoussées suite à une interruption du réseau électrique].

En outre, le parti de Rodrigo Maia [président de la Chambre des députés depuis 2016] a considérablement augmenté la part de l’électorat gouverné (de 7,9 millions à 17,7 millions) et les recettes budgétaires gérées dans les municipalités [ce qui fournit des « ressources » aux formations politiques] sous son administration (de 32,5 milliards à 91 milliards de reais) et le DEM a remporté dix des cent municipalités les plus peuplées.

Le PSDB, à son tour, a vu diminuer le nombre de municipalités qu’il contrôle (de 785 à 520). L’ampleur de l’électorat qu’il « gouverne » a passé de 34,6 millions à 24,8 millions. Quant aux recettes budgétaires administrées, elles sont de 155,1 milliards (contre 183,2 milliards antérieurement). Toutefois, il reste le parti le plus important en relation avec ces deux derniers « postes ». En outre, le parti de João Dória (gouverneur de l’Etat de São Paulo depuis janvier 2019) a obtenu un résultat significatif dans l’État de São Paulo, en gagnant dans la capitale et dans près de 200 municipalités. Il a remporté 16 des 100 plus grandes municipalités du pays.

La MDB, en revanche, a conquis cinq capitales, Porto Alegre étant la plus importante, et a gagné dans 18 des 100 villes les plus peuplées. En revanche, il a vu diminué le nombre de mairies qu’il contrôle (de 1035 à 784) et l’électorat qu’il « gouverne » a passé de 21 millions à 18,9 millions.

Dans le contexte d’une plus grande dispersion des votes entre les nombreux partis, on peut dire que la droite traditionnelle (non-bolsonariste) se renforce pour les élections nationales de 2022, récupérant une partie considérable de la base sociale (surtout dans la classe moyenne) perdue au profit du bolsonarisme en 2018.
Bolsonaro a perdu

Sur les 63 candidatures que Bolsonaro a déclaré publiquement soutenir (18 maires et 44 conseillers municipaux), seuls 5 maires et 11 conseillers municipaux ont été élus. En outre, parmi les bolsonaristes de « souche » un seul a gagné dans une capitale : Lorenzo Pazolini, à Vitória (Espírito Santo).

Dans presque tous les pays, est évident le reflux de l’extrême droite. Elle avait obtenu une énorme victoire, il y a deux ans, lors des élections présidentielles, pour les postes de gouverneurs, pour l’élection des députés dans les législatifs des états et à la chambre des députés et au sénat. Le fait que Bolsonaro n’ait pas pu former son propre parti, il en a découlé des candidatures d’extrême droite dispersées sur plusieurs listes, ce qui a beaucoup contribué à ce revers.

Il est également à noter que Marcello Crivella, soutenu par Bolsonaro, a subi une dure défaite à Rio de Janeiro, ne captant que 35% des suffrages au deuxième tour. Un autre candidat parrainé par le président, Celso Russomano, a terminé avec seulement 10% dans la ville de São Paulo. Les autres candidats bolsonaristes de Porto Alegre, Curitiba, Florianopolis et Belo Horizonte n’ont pas non plus obtenu de résultats significatifs.

Autre fait important : le PSL (Parti social libéral) – un parti que Bolsonaro a utilisé en 2018 et qui avait accueilli de nombreux candidats d’extrême droite, et avait contrôlé la deuxième part du financement assuré par Fonds électoral – n’a remporté aucune des 100 villes les plus peuplées. Les Républicains, autre formation aux traits bolsonaristes et contrôlée par l’Église universelle, ont perdu du poids dans la part de l’électorat qu’ils « gouvernent » : passant de 7,1 millions à 5,3 millions. Ils l’ont emporté dans seulement 3 des 100 plus grandes villes.

La défaite politique et électorale de Bolsonaro est atténuée par le résultat des partis de droite qui sont à la base du soutien au gouvernement fédéral (le soi-disant « centre » – centrão – du gouvernement). Ce bloc au pouvoir a remporté six capitales : Cuiabá [Mato Grosso], Campo Grande [Mato Grosso do Sul], Manaus [Amazonas], Rio Branco [Acre], João Pessoa [Paraíba] et São Luis [Maranhão].

En outre, certains candidats bolsonaristes, bien que défaits, ont obtenu des résultats significatifs, comme le Delegado Eguchi à Belém [48,24%] et Capitão Wagner à Fortaleza [48,31%]. Il est à noter que les candidats d’extrême droite ont remporté quelques grandes villes, comme São Gonçalo (Rio de Janeiro) et Anápolis (Goiás).

Un autre aspect qu’il convient de souligner est l’augmentation du rejet de Bolsonaro dans le pays le mois dernier, renversant la tendance à la hausse de sa popularité observée depuis juillet. Cette augmentation du rejet s’est produite avec une plus grande intensité dans les capitales, avec en particulier le degré élevé d’érosion à Salvador, São Paulo, Porto Alegre et Recife.

Comme principale conclusion politique sur ce point, on peut affirmer que, malgré l’avancée du « centrão » gouvernemental, le gouvernement Bolsonaro et le bolsonarisme, en tant que force politico-idéologique néo-fasciste, se sont affaiblis politiquement.
Le « centrão » gouvernemental a un bilan positif

Les partis de droite qui fournissent la base d’appui au gouvernement Bolsonaro ont augmenté le nombre de mairies gagnées (surtout dans les petites municipalités) et la part de l’électorat « gouverné » et du contrôle budgétaire dans les municipalités. Malgré cela, ce « centre » se place toujours derrière la droite traditionnelle (non-bolsonariste) selon les trois critères d’évaluation.

Le bloc a gagné dans six capitales, bien qu’elles ne soient pas les principales capitales de chaque région, en mettant l’accent sur la croissance du PP, Ciro Nogueira [sénateur du Piauí], et du PSD, Gilberto Kassab [ancien ministre sous Michel Temer et dirigeant du PSD qu’il a mis sur pied en 2011]. À leur tour, les Républicains et les Podemos [jusqu’en 2016 dénommé Parti travailliste national] ont perdu du terrain en termes d’électorat « gouverné » et de contrôle budgétaire. Avec l’avancée dans les municipalités, le pouvoir de négociation du « centre » augmente au sein du gouvernement et du Congrès.
La gauche a opéré un redressement relatif. Le PSOL se détache

Tout d’abord, il est important d’évaluer le résultat contradictoire du PT (Parti des travailleurs), le plus grand parti de la gauche brésilienne. Pour la première fois de son histoire, le parti de Lula n’a pas élu de maire dans une capitale. Le PT a remporté quatre grandes villes, contre deux en 2016, mais a réduit le nombre de mairies conquises, passant de 254 à 183 (le nombre le plus bas depuis 16 ans). En termes de nombre total d’habitants devant être régis par le PT dans les villes, il y a eu une légère augmentation : en 2016, ils étaient 6,033 millions, maintenant ils seront 6,045 millions.

On peut conclure que le PT a obtenu un résultat électoral général légèrement supérieur à 2016, malgré la baisse du nombre de mairies conquises. Le parti maîtrise la saignée de 2016, mais la défaite à São Paulo et dans toutes les capitales pèse de manière qualitative. En d’autres termes, le parti de Lula a subi une défaite politique lors de ces élections, même s’il a un peu amélioré ses performances électorales dans les villes moyennes et grandes. Le PT est donc sorti relativement affaibli dans le bloc de gauche. Néanmoins, il reste toujours le plus grand parti de gauche, mais il a beaucoup moins de force qu’auparavant.

Le PSOL a obtenu le meilleur résultat de la gauche : il a gagné à Belém [1,5 million d’habitants et 1 million d’électeurs], avec Edmilson Rodrigues [51,76% des suffrages]. Il a obtenu plus de 2 millions de voix (40%) à São Paulo, la plus grande ville du pays, projetant une nouvelle personnalité à l’échelle nationale, Guilherme Boulos.

En outre, le PSOL a renforcé sa présence dans les mairies des grandes capitales telles que São Paulo, Rio de Janeiro, Porto Alegre, Belo Horizonte, entre autres, et a augmenté de 50% le nombre total de conseillers municipaux élus dans le pays. Il est important de souligner le fait que le parti a élu de nombreux dirigeants noirs, femmes, LGBT et jeunes, manifestant être ainsi en syntonie avec les avant-gardes des luttes les plus dynamiques.

Ainsi, le PSOL franchi un nouveau palier dans les rangs de la gauche et sur l’arène politique nationale, en assumant de nouvelles responsabilités ainsi qu’en faisant face à de nouveaux défis. Il convient de rappeler que le résultat du parti aurait été meilleur si Marcelo Freixo [député fédéral] avait été candidat à Rio de Janeiro.

Le PCdoB, en revanche, a perdu des voix, des mairies et des conseillers municipaux. Il a toutefois partiellement compensé ces pertes en se hissant au 2e tour à Porto Alegre, avec Manuela d’Ávila [qui a obtenu 45,37% des suffrages]. En considérant tous les aspects, on peut constater l’affaiblissement du parti, dont le statut est sérieusement menacé par le seuil électoral franchir en 2022. Il convient également de noter la défaite politique du groupe de Flávio Dino (PCdoB) à São Luis (Maranhão).

On peut dire que le bloc de gauche, pris dans son ensemble, malgré des défaites électorales au second tour dans treize villes, a connu un renforcement politique en se hissant au second tour dans cinq capitales et en projetant Guilherme Boulos, Manuela d’Ávila et Marilia Arraes [PT, Recife avec 43,73% des suffrages] sur la scène nationale. En outre, il a remporté une victoire à Belém et a gagné dans quatre grandes villes [PT] – Contagem, Diadema, Juiz de Fora et Mauá. En 2016, la gauche était passée au 2e tour dans seulement trois capitales. Elle avait gagné dans une capitale (Rio Branco) et n’avait conquis que deux des cent villes les plus peuplées.
Avancées du centre gauche (PDT et PSB) dans les capitales du Nord-Est

Le bloc formé par le PDT (Parti démocratique travailliste) et le PSB (Parti socialiste brésilien) a gagné dans quatre capitales, en maintenant les mairies de Recife et de Fortaleza et en conquérant Aracajú [Sergipe] et Maceió [Alagoas]. Cependant, il n’a pas obtenu de bons résultats dans les régions du sud-est, du sud et du nord. A Rio de Janeiro, Marta Rocha (PDT) n’a pas participé au second tour, tout comme Marcio França (PSB), à São Paulo.

Le bloc de Ciro Gomes (PDT) a remporté huit victoires parmi les 100 plus grandes municipalités, contre douze en 2016. Le PSB a perdu des mairies et est passé de 11,7 à 6,9 millions de personnes « gouvernées » dans les villes. Le PDT a maintenu le niveau des mairies gagnées, mais il est passé de 8,4 à 7,8 millions de « gouvernés » dans les municipalités. On peut donc dire que le centre-gauche n’a pas progressé en termes nationaux comme le souhaitait Ciro Gomes, mais qu’il a conquis des positions importantes dans le Nord-Est.
Les défis de la gauche dans la prochaine période

Le pays reste dans une situation politique réactionnaire marquée par l’offensive bourgeoise contre les droits sociaux et démocratiques. Mais il y a des signes d’un changement positif dans les rapports de force politiques et sociaux, avec l’affaiblissement du gouvernement Bolsonaro et du bolsonarisme en tant que force politico-idéologique.

Dans ce moment, l’ancienne droite (PSDB, DEM et MDB) est la principale bénéficiaire de l’usure du Bolsonaro, notamment en raison d’une relance du soutien de la classe moyenne dans les grands centres urbains. La gauche, pour sa part, commence à se remettre des défaites consécutives de ces dernières années. Le phénomène Boulos dans la ville de São Paulo (qui a eu de fortes répercussions nationales), l’élection d’Edmilson Rodrigues à Belém, et la présence de Manuela d’Ávila et Marília Arraes au second tour à Porto Alegre et à Recife en sont la preuve.

L’affaiblissement du bolsonarisme et l’usure récente du gouvernement fédéral sont des signes encourageants pour la lutte politique et sociale. Cependant, il faut être prudent : Bolsonaro dispose encore d’une base de soutien considérable. Elle est affaiblie, mais pas encore vaincue. Il s’agit d’une tâche politique qui reste.
2021 : lutte pour les droits et pour l’éjection de Bolsonaro

Une fois les élections municipales terminées, avant de parler de la lointaine élection présidentielle de 2022, nous devons penser à la lutte des classes en 2021. La pandémie n’a pas encore été vaincue, le chômage atteint un niveau record, l’inflation des prix alimentaires ne s’arrête pas et l’aide d’urgence se termine en décembre 2020.

Dans cette optique, la première tâche consiste à organiser la lutte des travailleurs et travailleuses et des opprimé·e·s pour leurs revendications les plus ressenties : emploi, revenus, salaires, éducation, santé, logement et droits, en donnant du poids à la lutte contre le racisme, le machisme, la LGTBfobie et la défense de l’environnement et des peuples indigènes.

Nous devons nous battre pour l’extension et la prolongation de l’aide d’urgence. Pour cela, il est fondamental de mettre fin du plafonnement des dépenses publiques, et d’améliorer les services publics et la situation des fonctionnaires, en disant non à la réforme administrative.

Du point de vue de la pandémie, il est nécessaire de garantir un plan de vaccination sûr le plus rapidement possible pour l’ensemble de la population, à commencer par les professionnels de la santé et les personnes à risque, ainsi que l’extension des tests et des mesures sanitaires sur les lieux de travail et dans les transports publics. Avec l’augmentation de la contagion et des hospitalisations dans tout le pays, c’est un crime de retourner en classe dans les écoles et les universités.

Pour renforcer la lutte sociale, il est essentiel de construire le Front unique des organisations politiques, syndicales et sociales de la gauche brésilienne pour faire face aux attaques et aux réformes de Bolsonaro et de la droite néolibérale. En ce sens, est essentielle l’unité dans la lutte du Front populaire sans peur et du Brésil populaire, du mouvement féministe, noir, LGBT, syndical, indigène, de gauche et environnementaliste, entre autres.

L’objectif stratégique pour l’année prochaine doit être de vaincre Bolsonaro dans les rues, avant 2022. Il convient de rappeler que Trump n’a perdu les élections américaines qu’en novembre parce que des mois auparavant il y avait eu un puissant mouvement antiraciste qui avait mobilisé des dizaines de millions de personnes dans les rues. La classe travailleuse, les Noir·e·s, le mouvement féministe et LGBT, les jeunes, entre autres secteurs sociaux, pourraient, s’ils se mettent en mouvement, renverser le néofasciste au pouvoir. Grâce à la force de la rue, la gauche peut prendre la tête de l’opposition à Bolsonaro.

Enfin, il convient de souligner l’importance du renforcement de la PSOL en tant que nouvelle alternative à la gauche. La campagne de Guilherme Boulos a démontré qu’il est possible de toucher le cœur et la conscience de millions de personnes, en mobilisant des milliers d’activistes, avec une politique et un programme répondant aux intérêts des travailleurs et travailleuses ainsi que des opprimé·e·s, un programme lié aux luttes sociales, sans alliances avec la droite. (Editorial publié sur le site Esquerda Online, le 2 décembre 2020 ; traduction rédaction A l’Encontre. Le site Esquerda Online est animé par le courant Resistencia du PSOL)

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