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25 novembre 2025
Les contradictions entourant la marche dite de la « génération Z » au Mexique le 15 novembre, également connue sous le nom de « manifestations et émeutes du 15N », sont nombreuses. De plus, elles constituent une leçon concrète sur le « modèle de franchise » du symbolisme des manifestations internationales, dans lequel un événement national se fait approprier pour répondre aux objectifs des franchisés. Mais surtout, elles démontrent l’obstination volontaire de la presse internationale à se laisser séduire, encore et encore, par l’histoire apparente plutôt que par la réalité.
La terre brûlante
L’événement qui a déclenché la marche était bien réel. Le 1er novembre, Carlos Manzo, le maire au franc-parler de la ville d’Uruapan, dans l’État de Michoacán, a été abattu lors d’un événement public au milieu des festivités du Jour des morts. Après avoir été maîtrisé, l’assassin, un jeune de 17 ans originaire de la ville voisine de Paracho, a été tué dans des circonstances mystérieuses par les forces de sécurité.
Agissant rapidement, le gouvernement fédéral a arrêté le cerveau présumé, membre d’une cellule criminelle liée au cartel Jalisco Nueva Generación, ainsi que sept des gardes du corps personnels de Manzo, soupçonnés de complicité. La présidente Claudia Sheinbaum a également annoncé son « Plan Michoacán », un ensemble de mesures sécuritaires, économiques, éducatives et culturelles d’un montant de 57 milliards de pesos mexicains (3 milliards de dollars américains) destiné à aider cet État en difficulté et sa région, bien nommée Tierra Caliente, ou « Terre chaude ».
Parmi toutes les publications opportunistes qui ont suivi cet événement, il est important de replacer les choses dans leur contexte. Sheinbaum a réussi à réduire le taux d’homicides de 37 % au cours de sa première année au pouvoir, ce qui est impressionnant. Outre son taux de popularité extrêmement élevé, une solide majorité d’électeurs et d’électrices approuve sa gestion de la question de la sécurité. Selon au moins un sondage majeur réalisé dans les jours qui ont suivi la fusillade, sa cote de popularité a même augmenté.
Tout cela n’est bien sûr qu’une maigre consolation pour celleux qui vivent dans des régions où la violence liée au crime organisé fait partie du quotidien. Le meurtre de Manzo n’est certainement pas un cas isolé : riche en eau, en minéraux et en cultures d’exportation telles que les avocats et les citrons verts, l’État de Michoacán a vu sept maires assassinés depuis 2022 seulement. D’autres, comme le maire de la ville de Cuitzeo dans la région du Bajío, ont été victimes de multiples tentatives d’assassinat. Pour aggraver les choses, le gouverneur du Michoacán, Alfredo Ramírez Bedolla, s’est détourné de sa mission générale de rétablissement de la paix dans la région, son administration étant empêtrée dans des scandales personnels et des luttes politiques internes.
Une déstabilisation dramatisée
Mais la manière dont les crises du Michoacán ont débouché sur la marche à Mexico est une tout autre affaire. Conscients de leur profonde impopularité auprès des électeurs, les partis de droite mexicains sont passés maîtres dans l’art de présenter des affaires hautement partisanes comme des manifestations non partisanes de la « société civile » qui s’exprime. Un exemple typique : les manifestations Marea Rosa, ou Marée rose, qui ont eu lieu de manière sporadique tout au long du mandat du prédécesseur de Sheinbaum, Andrés Manuel López Obrador (AMLO).
Cette fois-ci, les mêmes intérêts ont décidé d’importer le concept de « génération Z », qui a récemment pris de l’importance dans des pays comme l’Indonésie, le Népal et Madagascar, en le greffant sur une « marche des jeunes » annoncée précédemment. L’un des principaux leaders de la marche s’est toutefois avéré être à la solde du Parti action nationale (PAN), un parti de droite, pour un montant de plus de 2 millions de pesos (115 000 dollars américains). Quant aux comptes sur les réseaux sociaux, ils ont été retracés jusqu’à une agence de marketing de l’État de Jalisco, puis jusqu’à un ancien membre du Congrès appartenant à l’autre parti d’opposition, le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI).
Dans les jours qui ont précédé la marche, et sous prétexte de simplement jouer sur l’imagerie pirate de la série manga One Piece, ces comptes de réseaux sociaux se sont livrés à une campagne manifeste d’incitation à la violence, avec des affiches de Sheinbaum et AMLO accompagnées de la mention « Wanted Dead or Alive » (Recherchés morts ou vifs) et des vidéos grossières générées par IA montrant le Palais national et la cathédrale métropolitaine en flammes. (Des vidéos générées par l’IA ont également été utilisées après la marche pour simuler les foules que la marche n’avait pas réussi à attirer par elle-même). Même un examen superficiel des comptes montrait clairement que ces efforts de type « comment ça va les jeunes » n’étaient en rien le résultat spontané d’une campagne menée par des jeunes.
Comme on pouvait s’y attendre, le jour même de la marche, l’absence relative de jeunes est rapidement devenue douloureusement évidente. En effet, la composition démographique de la marche était assez similaire à celle des marches Marea Rosa des années précédentes : classe moyenne à moyenne supérieure, âge moyen à avancé. Pendant ce temps, le meurtre de Manzo — en théorie, la raison d’être de la marche — a fini par se perdre dans un tourbillon d’insultes adressées à la présidente. À cela s’ajoutaient les attaques habituelles, désormais largement recyclées, contre MORENA, la présidente Sheinbaum et le parti d’AMLO, ainsi qu’une confusion fondamentale quant à savoir si les manifestant·es étaient confronté·es à un « narco-gouvernement » ou, au contraire, à un « gouvernement submergé par le crime organisé ». Un orateur compétent aurait pu imposer une certaine cohérence à ce désordre et trouver un moyen de canaliser les revendications des manifestant·es en un message plus unifié. Mais lorsque les gens sont arrivés sur la place principale de Mexico, le Zócalo, il n’y avait ni scène ni orateur.
Au lieu de cela, un contingent de provocateurs armés d’outils spécialisés et de cordes s’est mis à démanteler les barrières protégeant le Palais national et à attaquer la ligne de police derrière celle-ci. Dans une scène particulièrement horrible, encouragé par le site d’extrême droite argentin La Derecha Diario, un policier a été encerclé, roué de coups de pied et battu avec ces mêmes outils. Parmi les dix-huit personnes arrêtées pour actes de violence figurait un délégué régional du PAN dans le quartier de Cuauhtémoc, dont la mairesse, Alessandra Rojo de la Vega, a été accusée d’avoir financé les provocateurs.
À un demi-pâté de maisons de là, incapables d’atteindre les portes du palais national, des néonazis s’affairaient à peindre « puta judía » (« pute juive ») sur les portes de la Cour suprême. La laideur s’était déchaînée et l’effet escompté avait été obtenu. « La révolution populaire mondiale est imparable ! » s’est exclamé Alex Jones. « J’ai observé Mexico ce week-end ; il y a de gros problèmes là-bas », a déclaré Donald Trump, ajoutant qu’il n’était « pas satisfait » du pays. Jouant avec l’idée d’une invasion, l’ambassade des États-Unis au Mexique, dirigée par l’ancien béret vert et agent de la CIA Ron Johnson, a tweeté le message suivant : « Cela n’arrivera que si eux [le Mexique] le demandent. »
Selon un article du journal Milenio, quelque huit millions de robots payés par des membres du parti et des organisations privées ont travaillé d’arrache-pied à l’approche du 15 novembre, occupant environ 46 % de l’ensemble des conversations sur les réseaux sociaux. Il s’agit de la plus grande campagne de ce type au Mexique depuis la campagne présidentielle massive de 2024. Et l’effet ne s’est pas limité à l’extrême droite.
De Reuters à la BBC en passant par le Guardian, les médias anglophones ont repris sans critique le cadre présenté. Un exemple illustratif est celui de l’Associated Press, dont l’article en espagnol admettait dans son premier paragraphe que les détractrices et détracteurs du gouvernement étaient plus nombreux que les jeunes à participer à la marche, un fait qui a été supprimé de la version anglaise de l’article.
Les milliardaires se comportent mal
Derrière ce spectacle médiatique international, des intérêts plus locaux étaient à l’œuvre. À la suite de la réforme judiciaire ratifiée en septembre 2024, des élections directes ont eu lieu en juin de cette année pour renouveler la moitié de la magistrature fédérale et l’ensemble de la Cour suprême. Le 13 novembre, deux jours seulement avant la manifestation, la nouvelle cour a rejeté la dernière tentative du magnat Ricardo Salinas Pliego d’échapper au paiement d’arriérés d’impôts pour son groupe Grupo Elektra dans sept affaires remontant à 2008.
Ces affaires, qui avaient été mises en veilleuse par l’ancien juge Luis María Aguilar, représentaient un montant total astronomique de 48,3 milliards de pesos (2,6 milliards de dollars américains). Salinas Pliego est également à la tête de la deuxième chaîne de télévision du Mexique, TV Azteca, qu’il utilise, comme on pouvait s’y attendre, comme une arme contre la nouvelle cour et en faveur de la rhétorique d’extrême droite la plus rance. Le jour du verdict de la Cour suprême, le présentateur vedette d’Azteca a déclaré, devant un décor orageux, que c’était un « jeudi noir ». Quant à la marche elle-même, elle a fait l’objet d’une couverture médiatique exhaustive. Maintenant que l’oligarchie mexicaine n’a plus le pouvoir judiciaire dans sa poche et que les perspectives de reconquérir la présidence et le Congrès sont actuellement lointaines, il faut s’attendre à davantage d’agitation artificielle de ce type dans les mois et les années à venir.
En fin de compte, cependant, tout cela n’a servi à rien. Une nouvelle manifestation, rapidement organisée pour le 20 novembre, jour commémorant le début de la révolution mexicaine, a attiré si peu de monde que les journalistes étaient plus nombreux que les manifestant·es. Le regard déçu de Ciro Gómez Leyva, animateur de l’émission Ciro por la Mañana sur Radio Fórmula, résumait la réaction de toute une classe sociale. Leur opération de déstabilisation orchestrée avait échoué. Ils tenteront sans doute à nouveau leur chance.
Kurt Hackbarth est écrivain, dramaturge, journaliste indépendant et cofondateur du projet médiatique indépendant « MexElects ». Il coécrit actuellement un livre sur les élections mexicaines de 2018.
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