Édition du 25 novembre 2025

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Amérique centrale et du sud et Caraïbes

La victoire du NON : un revers inattendu dans la politique équatorienne

Le référendum du 16 novembre 2025 a porté un coup politique inattendu au gouvernement de Daniel Noboa. Malgré le soutien massif des grands médias et de la campagne officielle, le NON l’a emporté sur les quatre questions, en particulier sur les deux plus sensibles : l’autorisation d’établir des « bases militaires étrangères » et la convocation d’une « Assemblée constituante ».

Tiré de Viento Sur

19 novembre 2025

Les citoyen·nes ont rejeté à la fois la possibilité d’approfondir les accords militaires avec les États-Unis — qui impliquent la présence de personnel étranger et remettent en question la souveraineté — et la tentative d’ouvrir un processus constituant qui, selon de larges secteurs sociaux, visait à démanteler la Constitution de 2008 et à favoriser les intérêts oligarchiques et privatiseurs. Le bloc progressiste, les mouvements sociaux et indigènes et diverses organisations citoyennes ont réussi à mener une campagne créative et efficace sur les réseaux sociaux, mettant en évidence le fond néolibéral du projet gouvernemental et exposant les risques politiques et économiques d’une modification de la Constitution pour l’adapter aux groupes de pouvoir.

Le résultat reflète le rejet par les citoyen·nes de la concentration du pouvoir exécutif et des pratiques législatives promues par le gouvernement, perçues comme une « dictature du vote ». De même, cela marque une limite à la criminalisation de la protestation et aux politiques de « guerre interne », ce qui constitue un avertissement aux forces armées et à la police. Bien que la victoire du NON constitue une défaite significative pour Noboa et les entrepreneurs qui soutiennent son programme, le paysage politique reste tendu. Les élites, avec le soutien international, ne renonceront pas à leurs objectifs. Le défi immédiat des forces progressistes sera de maintenir l’unité dont elles ont fait preuve pour soutenir la défense de la Constitution de 2008 et ouvrir la voie à la restauration de la démocratie, de la souveraineté et des droits sociaux en Équateur.

Le gouvernement de Daniel Noboa a convoqué une consultation et un référendum pour le 16 novembre (2025) sur quatre questions identifiées par des lettres : A. permettre l’établissement de « bases militaires étrangères ou d’installations étrangères à des fins militaires, et céder des bases militaires nationales à des forces armées ou de sécurité étrangères » ; B. supprimer « l’obligation pour l’État d’allouer des ressources du budget général de l’État aux organisations politiques » ; C. « réduire le nombre de député·es » ; et D. convoquer une « Assemblée constituante » pour « élaborer une nouvelle Constitution ». Chaque question est accompagnée d’annexes explicatives sur sa portée, qui ne semblent pas avoir été lues par une grande partie de la population (https://t.ly/LIHOJ).

La polarisation que connaît le pays a aligné les grands médias (et d’autres) sur les intérêts politiques du gouvernement et de l’ADN (Acción Democrática Nacional), le parti de Noboa, soutenant sa campagne, qui s’est étendue aux réseaux sociaux. À l’autre extrémité, la Révolution citoyenne (le parti du « correismo »), toutes les organisations de gauche et les mouvements sociaux, en particulier les mouvements indigènes (réprimés comme « terroristes » il y a à peine un mois lors de la « grève nationale ») et les mouvements ouvriers, soutenus par de larges couches de la classe moyenne, ont convergé pour proposer un NON radical à toutes les questions. Dépourvus d’espace dans les grands médias, leur position a été diffusée par les réseaux sociaux, avec une grande créativité, au point de mettre en évidence, à travers des analyses et des vidéos, les intentions de l’« establishment » d’obtenir une Constitution qui réponde à des intérêts privés.

Cette confrontation, qui exprime la lutte des classes (Marx) évidente qui agite le pays, s’inscrit dans un contexte historique complexe. Il existe une réaction culturelle traditionnelle contre la « classe politique » abstraite, cultivée au cours de quatre décennies de démocratie représentative. Si la Constitution de 1979 a institutionnalisé le premier système de partis réglementé par la loi, ces bases ont été dénaturées au fil du temps. Les « changements de camp », les « achats de votes » se sont multipliés, le caudillisme populiste a fait son retour, des partis purement conjoncturels et sans projets nationaux ont fait leur apparition, ainsi que des politicien·nes opportunistes de tous bords, parmi lesquels des personnes incapables d’articuler des propositions répondant aux besoins du « peuple », etc. Le pouvoir législatif a été au centre de cette « discréditation » qui dure depuis des années et à laquelle ont contribué, actuellement, l’ADN et ses alliés, en imposant à l’Assemblée nationale une véritable « dictature du vote », en approuvant toutes les lois proposées par l’exécutif, même si plusieurs d’entre elles ont été jugées inconstitutionnelles par la Cour constitutionnelle respective ; en subordonnant les actions du pouvoir législatif aux politiques et aux directives du pouvoir exécutif ; en empêchant le contrôle politique et même en coupant l’intervention des député·es de « l’opposition ». Il semblait donc compréhensible que la population soit encline à voter OUI aux questions B et C. Cependant, cela ne s’est pas produit : le NON l’a emporté aux deux questions au niveau national (B = 58 % ; C = 53 %), à l’exception de 7 provinces (le OUI à 1 ou 2 questions) sur les 24 que compte le pays.

Pour le bloc social opposé au gouvernement, il était vital d’obtenir le vote total pour le NON, même si la campagne a mis l’accent sur les questions A et D qui, sans aucun doute, reflètent l’intérêt du gouvernement à poursuivre les actions qu’il menait déjà, malgré les interdictions constitutionnelles en la matière. En effet, comme l’a bien étudié le professeur Luis Córdova-Alarcón (https://t.ly/T7rRI), l’Équateur a conclu des accords de coopération avec les États-Unis qui impliquent la présence de « bases » et de militaires étrangers dans le pays. Naturellement, il n’est pas possible d’exiger de tous les citoyen·nes qu’ils et elles s’informent sur un sujet complexe, dont les sources officielles sont à la disposition des chercheuses et chercheurs spécialisés dans ces questions. Mais, en résumé, l’Équateur a conclu divers engagements et accords avec les États-Unis, à commencer par le protocole d’accord MOU (juillet 2023), suivi des accords SOFA (27/09/2023) sur la présence temporaire de personnel militaire/civil américain, avec privilège diplomatique, fiscal et libre circulation (https://t.ly/eOAKR) ; sur l’interception aérienne (août 2023 et janvier 2024) ; le Shiprider (septembre 2023), sur les opérations maritimes contre les activités criminelles (https://t.ly/aUrc8) ; et la récente proposition diplomatique de « pays tiers sûr » (Homeland Security, juillet 2025, https://t.ly/kPgeM), afin de « garantir le transfert digne, sûr et rapide depuis les États-Unis vers l’Équateur des ressortissant·es de pays tiers présent·es aux États-Unis, qui peuvent demander une protection internationale contre le retour dans leur pays d’origine ou leur pays de résidence habituelle antérieure ». Il s’agit d’une expérience nouvelle au niveau international et sérieusement remise en question. L’Italie, par exemple, a conclu un accord avec l’Albanie, qui a suscité l’inquiétude des milieux politiques et des défenseurs des droits humains (https://t.ly/gX40N). En définitive, il s’agit de créer une « base » d’accueil pour les migrant·es qui demandent l’asile aux États-Unis, mais qui sont transféré·es en Équateur, sous prétexte d’examiner leur situation. Comment cela fonctionnera-t-il ? Où ? Avec quelles ressources ces personnes seront-elles prises en charge ? Il existe d’autres expériences de « centres » en Amérique latine, qui ne font que donner des arguments à celleux qui défendent les droits humains contre ce type de « camps de concentration ».

Évidemment, ce type d’accords militaires a été rejeté par les forces sociales opposées à ces politiques du gouvernement Noboa, qui considèrent qu’ils violent la Constitution de 2008 (qui les interdit) et portent atteinte à la souveraineté nationale. La question A est donc étroitement liée à la question D. Le gouvernement, bien sûr, mais derrière lui, les grands groupes économiques de l’entrepreneuriat équatorien, qui présentent aujourd’hui des caractéristiques oligarchiques et oligopolistiques évidentes, ont des objectifs néolibéraux qui remontent aux années 80 et 90, mais qui s’appuient sur la pensée entrepreneuriale des années 20 et 30, comme je l’ai souligné dans plusieurs articles. En termes sociologiques, cette « bourgeoisie » équatorienne manque de vision nationale, de sens du développement avec bien-être social et de vision patriotique. Elle ne pense qu’à ses affaires. C’est donc cette bourgeoisie qui souhaite abolir la Constitution de 2008, qui fait obstacle à sa voracité privatisatrice et à son désir d’accumulation, sans se soucier des droits sociaux, communautaires, du travail ou environnementaux, acquis au cours de décennies de lutte.

Les porte-parole de l’oligarchie néolibérale équatorienne n’ont pas manqué de proposer un retour à la Constitution de 1998 qui, comme je l’ai analysé, a certes fait des progrès conceptuels en matière de droits, mais a consacré le néolibéralisme créole (https://t.ly/WGUSk) sur le plan économique. Les forces progressistes de l’Équateur ont réussi à unifier leurs idées, leurs arguments et leurs instruments sur les réseaux sociaux citoyens afin de défendre la Constitution de 2008 et d’empêcher qu’une nouvelle Constitution du pays ne reflète que les intérêts économiques de l’oligarchie entrepreneuriale, qui a tenté de consolider la deuxième période ploutocratique que connaît le pays depuis 2017.

Avec une maladresse sans pareille, les détracteurs de cette Charte ont forgé des arguments qui frisent la stupidité, en essayant de la lier exclusivement au « correismo » et même au « chavismo », en inventant que la Constitution garantit les délinquants, en soulignant qu’elle empêche le développement économique parce qu’elle porte atteinte à l’entreprise privée et recherche le « socialisme du XXIe siècle » et, enfin, insinuant que les électeurs et électrices du NON seraient aligné·es avec le trafic de drogue. À chaque occasion de débat, d’interview ou de polémique, celles et ceux qui ont participé dans les médias pour soutenir de telles fantaisies ont été critiqué·es par des universitaires, des professeur·es et des politicien·nes progressistes. Les résultats électoraux montrent donc que les secteurs progressistes ont réussi à convaincre les citoyen·nes des dangers que recelaient les deux questions cruciales du référendum. Selon les données officielles du CNE (à 7 heures ce matin), le NON l’a emporté sur la question A (bases militaires) avec 60,65 % et sur la question D (assemblée constituante) avec 61,65 %. La seule province à avoir voté OUI aux quatre questions est Tungurahua. Mais il est frappant de constater que le OUI l’emporte également dans toutes les régions à l’étranger, ce qui soulève des doutes quant à la transparence du contrôle du scrutin.

La sensibilité nationale exprimée dans les questions relatives aux bases militaires et à l’assemblée constituante a porté un premier coup dur au gouvernement de Noboa et au bloc oligarchique au pouvoir, allant jusqu’à lui infliger une « raclée » dans des provinces telles que Imbabura, Manabí, Orellana et Sucumbíos. Mais elle exprime également un appel à l’attention des forces armées et de la police, car le pays a finalement remis en question les accords militaires qui affectent la Constitution et, surtout, la souveraineté nationale. La réaction contre une « guerre interne » dans laquelle les secteurs populaires, les organisations sociales, le « correismo » et tout acteur ou force progressiste qui proteste et remet en question le régime peuvent faire l’objet d’une « enquête » et risquent d’être associés au « terrorisme » ou au crime organisé, devenant ainsi des victimes injustifiées, dans un climat de peur et d’impunité, est également évidente. Se prononcer en faveur de la Constitution de 2008 fait échouer toute tentative de la lier au crime organisé. Et si elle constitue un « obstacle » pour les entrepreneurs privés qui ont persisté à imposer leur domination économique, la déclaration dans le cadre de la consultation/référendum est un mandat pour qu’ils apprennent à se soumettre aux principes sociaux et constitutionnels de la vie nationale.

Enfin, le processus vécu en Équateur ne semble pas garantir une voie vers la démocratie et la paix, dans le respect de la Constitution et des lois. Dans un pays polarisé, les élites au pouvoir conservent leur domination et ne renonceront pas à la reproduire à long terme, balayant tout obstacle sur leur passage. Elles peuvent compter non seulement sur les forces de droite internes, mais aussi sur la droite internationale latino-américaine et, surtout, sur le soutien des États-Unis, intéressés par l’alignement sur le monroïsme géostratégique (https://bit.ly/3PWMrzA), afin d’empêcher l’émergence d’un monde multipolaire et l’ascension de la Chine, de la Russie et des BRICS, dans lequel l’Équateur d’aujourd’hui est un grand allié, parallèlement à l’Argentine des « libertariens », avec des positions différentes de celles des gouvernements colombien et vénézuélien, menacés par le gouvernement Trump. Les forces progressistes ont donc pour défi de maintenir et de renforcer l’unité de critères démontrée pendant le processus de consultation/référendum, afin de créer une base citoyenne et populaire capable de renverser le cours de l’histoire récente de l’Équateur.

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