Scott Horton, Harpers.com, 15 juin 2009.
Traduction : Alexandra Cyr
On ne saura peut-être jamais exactement comment les Iraniens ont voté mais ce qui est clair, c’est que le taux de participation a atteint des records, que l’attente des résultats était fébrile et qu’ils ont franchement secoué l’élite au pouvoir. Il faudra du temps pour estimer exactement le poids de ce qui se joue actuellement en Iran sur les politiques étrangères américaines. Mais, une chose est claire, une grande partie du peuple iranien, l’élite urbaine dont on s’attend dans les démocraties qu’elle participe au pouvoir, a une vision bien plus positive du gouvernement américain que ne l’a M. Amhadinejad et ses supporters religieux. C’est un fait essentiel que les politiciens américains doivent savoir pour aviser de l’avenir proche.
En cherchant les informations sur cette élection qui, en passant a été couverte assez misérablement par les grands réseaux du pays, j’ai été intrigué par une analyse de Bill Keller et Micheal Slackman dans le New-York Times. Ils interprètent les résultats comme une confirmation de l’ascension d’Amhadinejad dans le sérail du pouvoir et de celle de l’intérêt des religieux le détenant. Lorsqu’on lui a demandé, si advenant un deuxième mandat, il serait un peu plus modéré, il a répliqué : « Pas du tout, je serai de plus en plus solide ». Il peut se le permettre. Avec le soutien du Guide suprême et de l’establisment militaire, il a marginalisé tous ceux qui prétendaient remettre en question la vision de l’Iran comme État permanent de la révolution islamique.
Vraiment ? Il est vrai que le Guide suprême a décrit la victoire de M. Amhadinejad de signe divin vendredi. Aujourd’hui par contre, sous la pression des foules dans les rues et des critiques au sein même des religieux au pouvoir, tout à coup, il admet que d’autres considérations pourraient devoir être prise en compte. Quant à la conférence de presse de M. Amhadinejad où il triomphait, proclamant la paix, l’ordre et le règne de la loi, (alors que sa police battait et arrêtait les étudiants et les petits marchands qui manifestaient dans les rues) elle reviendra sans doute le hanter tout au long de son ascension vers le pouvoir. Alors, le couronnement que lui font Mrs. Keller et Slackman est un peu prématuré.
Un examen plus prudent devrait, je pense, porter sur les éléments suivants ; les événements actuels démontrent les divergences entre l’élite gouvernante et la population iranienne. Ainsi, la politique de développement nucléaire et militaire du président Amhadinejad n’est pas soutenue par des éléments puissants dans la société. On perçoit aussi un appétit pour des libertés individuelles et d’autres réformes dans beaucoup de groupes sociaux : les étudiants, les femmes, et ce que les Iraniens appellent le bazar, c’est-à-dire la classe moyenne des commerçants.
Les manoeuvres électorales étaient sans aucun doute dirigées par le pouvoir clérical le plus élevé et destiné à bâillonner les opposants et à augmenter le prestige et l’autorité de M. Amhadinejad. Mais la fraude a été trop évidente pour atteindre cet objectif. Quoiqu’il en soit, il n’y aura sans doute pas de retour sur cette élection ; cela ferait trop de tort au pouvoir religieux en place.
Il sera important de surveiller ce qui se passera pour M. Hossein Mousavi [1] dans les prochaines semaines. Est-ce qu’il se retrouvera en prison ? Est-ce qu’il maintiendra sa position contestataire ? Sera-t-il forcé à l’exil ? De même que se passera-t-il pour M. Rafsanjani et les autres critiques du régime ? Toutes attaques dures contre ce camp ne ferait que révéler la faiblesse et la vulnérabilité du pourvoir, pas sa force. Un commentateur [2] estime que nous sommes témoins d’un lent coup d’état, où les Gardiens de la Révolution (Passaran) sont en train de conforter leur pouvoir sur l’appareil gouvernemental. C’est possible mais je pense qu’un peu de prudence est de mise et qu’il faudra voir ce qu’ils arriveront à faire concrètement. Seront-ils politiquement manipulables ? Iront-ils jusqu’à agir en s’opposant au leader suprême et au président ?
L’état de l’économie iranienne sera aussi un élément important pour le nouveau gouvernement. L’économie mondiale est en sérieuse difficulté et l’Iran est une des nations qui en sera le plus affectée. Il y aura une augmentation de l’inflation, du chômage, et des manques de certains biens. Ce sont ceux qui ont le plus voté pour le président, les pauvres des villes et les ruraux, qui risquent d’être les plus touchés et à qui le gouvernement fera défaut en fin de compte.
Le pouvoir clérical a joué avec la liberté politique de la nation en en permettant l’expression publique au cours de la campagne électorale. Mais les observateurs sérieux ont toujours pensé qu’il s’agissait là plus d’apparence que d’autre chose. Il faut s’attendre à ce que l’espace qui avait été alloué à l’expression publique se rétrécisse considérablement. Les événements des trois derniers jours en donnent déjà une bonne idée.
Parler d’un triomphe d’Amhadinejad est une position naïve. Il est arrivé à la présidence par l’action des religieux extrémistes actuellement au pouvoir. Mousavi aurait été plus dangereux pour ces dirigeants. Il est clair maintenant pour tous les observateurs qu’ils s’étaient aventurés juste au-delà des frontières de la curieuse constitution théocratique iranienne. La découverte dans ces événements n’est pas le pouvoir du président Amhadinejad mais, le fait que le Guide suprême Khamenei est jaloux de son propre pouvoir et se sent un peu fragilisé. Au cours de ces derniers jours, il s’est à nouveau réfugié derrière le rideau d’où il règne sans partage.
Il est peu probable qu’il y ait des changements dans la politique nucléaire et militaire iranienne. Il est plus probable que Téhéran construira la perception populaire d’une menace extérieure pour masquer son incapacité à résoudre les problèmes bien réels de son économie.