Édition du 27 mai 2025

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Canada

Mark Carney trahit déjà les électeurs et électrices qui l’ont porté au pouvoir

Accorder un rôle réduit au travail et aux travailleurs-euses au sein du cabinet en dit long sur la manière dont Carney entend gouverner.

14 mai 2025 | tiré de Canadian dimension | Photo : Le premier ministre Mark Carney après la prestation de serment de son cabinet, le 13 mai 2025. Photo fournie par Mark Carney/X.
https://canadiandimension.com/articles/view/mark-carney-is-already-betraying-voters-who-made-him-pm

Les libéraux de Mark Carney ont remporté les élections il y a à peine quelques semaines, notamment grâce au ralliement de l’électorat progressiste venu d’autres partis comme le NPD. Ce sont ces électeurs qui ont permis à Carney de faire barrage aux conservateurs de Pierre Poilievre, qui ont pourtant obtenu un bon score en pourcentage de voix.

On pourrait croire que Carney remercierait les électeurs progressistes qui l’ont maintenu au pouvoir, mais c’est tout le contraire qui se produit : ses nominations au cabinet et ses priorités indiquent un virage net à droite, encore plus marqué que ce que laissait prévoir son cabinet de transition préélectoral déjà conservateur. Cela est particulièrement évident en matière de logement et de travail.

Une grande partie de la plateforme de Carney reprenait les politiques économiques de droite de Poilievre : démantèlement de la taxe carbone, réduction de l’impôt sur les gains en capital prévu pour les millionnaires et milliardaires, etc. Le logement semblait faire exception. Beaucoup espéraient que Carney tenait sincèrement à son engagement d’utiliser l’État pour construire des logements à une échelle comparable à celle des années 1940 et 1950. L’un des signes encourageants était le maintien, avant les élections, de Nathaniel Erskine-Smith au poste de ministre du Logement, de l’Infrastructure et des Communautés. Erskine-Smith est largement considéré comme une voix progressiste au sein du Parti libéral, engagé de longue date dans la lutte contre la crise du logement au Canada.

Pourtant, une fois le vote progressiste capté, Carney a évincé Erskine-Smith de son poste et même du cabinet, laissant penser que son plan logement n’était peut-être qu’un écran de fumée électoral. Beaucoup y voient une trahison des engagements pris envers les électeurs. Le chroniqueur politique Evan Scrimshaw a par exemple souligné que les électeurs de gauche avaient mis leur fierté de côté pour soutenir Carney, en échange d’un engagement sincère sur le logement :

Maintenant que Nate est écarté, nous ne pouvons plus faire confiance à Carney. Cette décision a brisé une confiance déjà fragile entre les libéraux et leur aile gauche, sans parler des électeurs du NPD qui nous ont sauvés cette année. Franchement, je me demande à quoi tout cela a servi.

Erskine-Smith lui-même a critiqué cette décision, laissant entendre que s’il s’était représenté aux élections, c’était parce qu’il s’attendait à jouer un rôle central dans une réforme ambitieuse du logement. Comme il l’a exprimé :

De nombreux militants libéraux avaient misé sur Erskine-Smith et sur la question du logement pour convaincre les électeurs du NPD de voter libéral, au-delà du simple réflexe de barrer les conservateurs. Mais il semble que ceux qui ont saisi cette main tendue risquent fort de s’être fait flouer.

La question des droits des travailleurs et des syndicats est tout aussi préoccupante. Avant même les élections, Carney avait déjà supprimé le portefeuille de ministre du Travail, en le reléguant à une sorte de super-ministère fourre-tout sur « l’emploi et les familles ». Il devient ainsi le premier chef de gouvernement à ne pas nommer de ministre du Travail depuis 1909.

Et la situation ne s’est pas améliorée après l’élection : Carney s’est contenté de confier un secrétariat d’État au travail — un poste qui ne siège pas au cabinet. Aucun premier ministre n’a donné aux travailleurs un rôle aussi marginal depuis plus d’un siècle. Les syndicats ont rapidement réagi face à ce virage à droite. Mark Hancock, président du SCFP, a déclaré qu’avec Carney, « les travailleurs comptent encore moins qu’ils ne comptaient sous Trudeau. À un moment aussi crucial pour notre pays, les travailleurs devraient être au premier plan, pas relégués au second plan. »

La situation devient encore plus préoccupante quand on considère que Carney marginalise les travailleurs tout en donnant une place centrale à l’intelligence artificielle, ce qui suscite l’inquiétude des syndicats. Il a notamment nommé Evan Solomon comme tout premier ministre de l’Intelligence artificielle et de l’Innovation numérique. Il est difficile de croire que l’IA ait droit à un ministère à part entière alors que les travailleurs sont à peine mentionnés.

Mais plus encore, les travailleurs s’inquiètent de la manière dont Carney pourrait utiliser l’IA pour réduire la taille de la fonction publique. Durant la campagne, il a suggéré qu’il ne procéderait pas à des mises à pied directes, mais son parti a promis d’utiliser l’IA pour supprimer des postes rémunérés, à l’image des pratiques du secteur privé. L’Association canadienne des employés professionnels (ACEP) s’est dite préoccupée par l’éventualité que Carney remplace des travailleurs par des « technologies non éprouvées ». De même, Sharon DeSousa, présidente de l’AFPC, a critiqué Carney pour avoir imposé un gel des embauches dans la fonction publique et pour promouvoir des programmes d’IA qui nuisent aux Canadiens les plus vulnérables :

« Lorsqu’une personne traverse une crise, elle se tourne vers le gouvernement pour obtenir des réponses et souhaite parler à un être humain, a-t-elle affirmé. Elle ne veut pas être piégée dans une boucle sans fin de réponses automatisées. »

Mark Carney montre aujourd’hui plus clairement que jamais qu’il gouvernera en conservateur, au service des riches et des puissants, pour préserver leur emprise sur la société canadienne. Des dizaines de milliers d’électeurs progressistes se rendent compte qu’ils ont été trompés. Cela montre que même si Poilievre a perdu l’élection, il a remporté la bataille idéologique au sein du Parti libéral.

Christo Aivalis est commentateur politique et historien, titulaire d’un doctorat en histoire canadienne de l’Université Queen’s. Ses écrits ont été publiés dans Jacobin, The Breach, Ricochet, Maclean’s, le Globe and Mail et le Washington Post.

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