Édition du 20 mai 2025

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Des cadres du NPD tentent de truquer la course à la direction en faveur d’un candidat de l’establishment

Le parti a besoin d’un renouveau audacieux et démocratique — mais les initiés veulent une course rapide et manipulée pour verrouiller le statu quo. La course à la direction du Nouveau Parti démocratique n’a même pas encore commencé que l’establishment du parti semble déjà vouloir en biaiser l’issue en sa faveur.

14 mai 2025 | tiré du site Breach media
https://breachmedia.ca/ndp-leadership-race-insiders-establishment-candidate-lobby/

On pourrait croire qu’après l’implosion du NPD lors de la récente élection, les stratèges qui dirigent le parti depuis deux décennies feraient une pause. Peut-être un peu d’introspection. Voire consulter les membres déçus du parti — sans parler des près de deux millions d’électeurs néo-démocrates qui ont voté pour d’autres partis le mois dernier.

Mais la caste des consultants professionnels, où se concentre le pouvoir, ne voit aucun problème fondamental dans son approche. Ces stratèges alternent entre des postes de direction au sein des partis fédéral et provinciaux et des firmes corporatives post-partisanes lucratives, et ils ont modelé le NPD à leur image : plus modéré, méfiant envers les membres et les mouvements sociaux, et déconnecté des réalités de la classe ouvrière.

Loin de considérer le moment comme une occasion d’un nécessaire redémarrage, ils cherchent plutôt à s’assurer que la course à la direction soit hostile à toute candidature qui voudrait faire évoluer le NPD dans une nouvelle direction.

Le Globe and Mail leur a rendu service la semaine dernière, en publiant un article sur les modalités que devrait selon eux suivre la course — basé exclusivement sur les propos de quatre initiés : trois consultants, et la chef de cabinet et directrice fédérale du parti depuis 2019. (Le journal a même titré « Les néo-démocrates disent », comme si le parti se résumait à une poignée de lobbyistes en manteau orange.)

L’article était clairement un ballon d’essai lancé par la direction du parti : une tentative de tester la réaction du public à leurs conditions préférées et de leur donner une légitimité auprès des membres du NPD.

Toutes leurs préférences — en particulier un calendrier excessivement court et un changement radical dans la pondération des votes — visent à écarter les candidats qui voudraient faire les choses autrement. Et si les modalités d’une course à la direction peuvent sembler techniques, elles sont en réalité au cœur d’un affrontement sur l’avenir du parti.

D’abord, organiser une course qui ne durerait que quatre à six mois, comme le souhaitent ces initiés, annihilerait tout espoir de reconstruction en profondeur. Les membres et les sympathisants ont besoin de temps pour analyser les ravages causés par le règne autoritaire et idéologiquement timide des consultants. De nombreuses associations de comté sont des coquilles vides. Les militants sont partis en masse. Les mouvements sociaux se sentent mis de côté. Le public n’a pas de vision claire du NPD.

Une course courte ne changerait rien à cela. Une course plus longue — disons neuf à douze mois — pourrait au contraire créer des occasions de capter l’attention du public : des assemblées publiques diffusées en direct, des discussions thématiques, des rassemblements, des débats sur des idées fortes pour contrer les attaques de Donald Trump et l’emprise extrême des grandes entreprises sur notre système économique. Le tout pourrait servir à exposer l’agenda des élites, tant chez les libéraux que chez les conservateurs.

Ce serait un exercice d’éducation politique comme le parti n’en a pas connu depuis des décennies. Cela permettrait non seulement de regarnir les rangs du NPD, mais aussi de mobiliser une nouvelle base électorale à travers le pays — amorçant la construction d’une culture de mouvement autour du parti, plus ancrée dans la classe ouvrière.

Et tout aussi cruciale que la date du vote est celle de la clôture des adhésions. Les initiés souhaitent probablement une règle limitant le droit de vote à ceux qui sont membres depuis 90 jours (comme ce fut le cas lors de la récente course à la direction du NPD de Colombie-Britannique). Si c’est la règle, une convention en décembre — qui peut sembler lointaine — exigerait en réalité une campagne d’adhésion précipitée pendant l’été, à un moment où même les Canadiens de gauche les plus engagés souhaitent faire une pause.

Les initiés veulent également pondérer les votes par région — un signe évident que l’establishment cherche à manipuler la course. Ils tentent d’abandonner le système démocratique du vote par un membre/un vote, en place depuis 20 ans et adopté après de longs débats internes. Ce processus est inscrit dans la constitution du parti, et son changement nécessiterait un congrès — ce que les initiés ne devraient pas faire à la hâte.

À la place, ils veulent un système où chaque circonscription aurait un nombre de points égal. Ces points seraient alloués en fonction du vote dans chaque circonscription, qu’elle soit inactive ou qu’elle compte des milliers de membres actifs. Il est vrai que le NPD a négligé certaines régions (comme le Québec), mais ces lacunes devraient être corrigées sans fausser démocratiquement une course à la direction.

Le résultat serait absurde : un·e candidat·e qui recrute des dizaines de milliers de membres pourrait perdre face à quelqu’un·e qui n’en recrute qu’une fraction. La course ne mesurerait plus la capacité d’un·e leader à générer un enthousiasme national, mais celle à micro-cibler 343 circonscriptions — un net avantage pour ceux qui bénéficient de l’appui des rouages internes du parti.

Et il ne faut pas sous-estimer les manœuvres douteuses de l’establishment. Dans une course où la connaissance détaillée des associations locales est cruciale, les initiés pourraient fournir à leur candidat·e favori·te les listes d’anciens membres ou des bases de données de campagnes précédentes — des ressources auxquelles seuls eux ont accès.

Ce genre de sabotage a déjà eu lieu, notamment lorsque l’activiste éco-socialiste Anjali Appadurai a défié David Eby lors de la course à la direction du NPD de la C.-B. en 2022. Les initiés du parti avaient modifié les règles en cours de route, utilisé leur accès aux listes de membres pour filtrer et disqualifier agressivement des personnes — puis Appadurai elle-même.

Le même réseau de consultants qui a truqué cette course cherche aujourd’hui à garder la mainmise sur le parti. Ironiquement, l’effondrement électoral ayant entraîné des mises à pied massives parmi les cadres supérieurs, le NPD se retrouve essentiellement entre les mains de sa directrice fédérale Lucy Watson (désormais consultante en solo, visiblement un peu seule dans le manteau orange).

C’est elle qui détient le pouvoir de proposer les règles de la course à l’exécutif et au conseil du parti — les instances dirigeantes du NPD. Ce groupe de militant·e·s est habituellement traité comme une simple chambre d’enregistrement, tenu dans l’ignorance des décisions jusqu’à quelques heures des réunions clés. Il va falloir rompre avec cette habitude.

Les enjeux sont existentiels : un·e chef·fe fade, modéré·e et compatible avec l’establishment pourrait confirmer la non-pertinence à long terme du parti. Le NPD a besoin d’une personne dotée d’une vision politique radicalement différente de celle des libéraux, engagée dans la démocratisation du parti, et capable de tisser des liens avec les mouvements sociaux du pays et la classe ouvrière multiraciale.
Pour que la base — ancienne et nouvelle — du NPD ait une chance de se battre, la course à la direction devra être tout ce que ne sont pas les consultants du parti : audacieuse, transparente, accessible et démocratique.

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