Édition du 20 mai 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Les sécessionnistes du « Maple MAGA » au Canada

La poussée séparatiste de droite en Alberta, alimentée par l’opportunisme politique et la puissance pétrolière, pourrait représenter un sérieux défi pour la démocratie canadienne — avec des conséquences potentiellement graves pour les travailleuses et travailleurs, l’économie, les services publics et le pays tout entier.

13 mai 2025 | tiré de Jacobin | Photo : Danielle Smith, première ministre de l’Alberta et cheffe du Parti conservateur uni (PCU), lors d’une conférence de presse à l’Assemblée législative de l’Alberta, le 6 mai 2025, à Edmonton. (Artur Widak / NurPhoto via Getty Images)
https://jacobin.com/2025/05/canada-alberta-maga-secessionists-smith

Moins de vingt-quatre heures après la victoire électorale du premier ministre libéral Mark Carney, Danielle Smith, première ministre de l’Alberta, a exprimé son mécontentement. Moins d’une semaine plus tard, elle dévoilait un plan visant à organiser un référendum sur la séparation de l’Alberta du reste du Canada.

Pour les observateurs américains, cette tournure peut sembler étrange. Après tout, la victoire de Carney a été attribuée, à juste titre, à une montée du patriotisme canadien. Les électeurs canadiens, inquiets des tarifs douaniers imposés par Donald Trump et de ses menaces de transformer le Canada en « 51ᵉ État », ont en majorité choisi Carney pour « tenir tête au tyran ».

Mais en pleine vague pro-Canada, Danielle Smith et son gouvernement du PCU ont fait cavalier seul. Pour eux, le nouveau premier ministre et son gouvernement à Ottawa représenteraient une menace plus grande pour l’Alberta que l’administration Trump à Washington.

Le contraste est frappant : alors que la plupart des premiers ministres provinciaux appelaient à l’unité autour du drapeau canadien, Smith, elle, prenait l’avion pour Mar-a-Lago, participait à des collectes de fonds organisées par PragerU, et imitait des gouverneurs républicains américains (ses modèles déclarés : Ron DeSantis et Kristi Noem).

Ottawa, bouc émissaire

Pourquoi Smith est-elle aussi décalée par rapport aux autres Canadien·ne·s — y compris la majorité des Albertain·e·s qui s’opposent à la séparation ? La réponse courte : la direction du PCU a vendu son âme au MAGA, ou du moins à son équivalent canadien, pour accéder au pouvoir.

Les racines du problème remontent au 5 mai 2015, quand les progressistes conservateurs (PC), traditionnellement dominants en Alberta, ont été battus par le Nouveau Parti démocratique (NPD), de gauche, dans une victoire historique. C’était la première fois que le NPD remportait une élection provinciale, et cela s’est produit parce que le mouvement conservateur s’était divisé.

D’un côté, les PC, au pouvoir depuis quarante-quatre ans dans cette province riche en pétrole ; de l’autre, le Wildrose Party, soutenu par des militants de style MAGA et des compagnies pétrolières avides de baisses d’impôts et de déréglementation. Inspiré par Fox News et le Tea Party américain, le Wildrose a divisé le vote conservateur, permettant au NPD de l’emporter.

Pour bien des conservateurs albertains, la victoire du NPD fut vécue comme un affront personnel. Le choc de la défaite a mené à une fusion rapide entre le PC et le Wildrose pour créer le Parti conservateur uni, qui a défait le NPD en 2019, puis de justesse en 2023. Mais cette unité conservatrice a eu un prix : le contrôle de facto du parti a basculé vers sa faction « Maple MAGA », de plus en plus radicale.

Comme pour les républicains aux États-Unis, la pandémie a accentué l’extrémisme du PCU. Son chef fondateur, Jason Kenney, a été évincé pour avoir eu le « tort » de prendre la COVID-19 au sérieux. Il a été remplacé par Smith, qui a marginalisé les experts de la santé publique et flatté la base la plus en colère du parti.

À l’image de son prédécesseur, Smith maintient l’unité de sa coalition en alimentant le ressentiment envers Ottawa. Elle accuse les libéraux fédéraux d’être « anti-énergie » — bien que le gouvernement de Justin Trudeau ait investi 34 milliards de dollars publics pour agrandir un pipeline qui génère des profits records pour les pétrolières albertaines.

Cette stratégie anti-Ottawa fonctionne si bien que lorsque Trump a évoqué l’idée de faire du Canada le « 51ᵉ État », une partie importante de la base du PCU — déjà conditionnée à voir Ottawa comme l’ennemi — a perçu la séparation comme l’étape logique pour défendre les intérêts de l’Alberta. Selon un sondage Angus Reid, environ un tiers des Albertain·e·s y sont favorables — mais ce chiffre grimpe à 65 % chez les électeurs du PCU.

Dans une entrevue récente, Smith a admis que sa volonté de faciliter un référendum sur la séparation repose sur une crainte : « s’il n’y a pas de soupape, un nouveau parti va émerger ». Autrement dit, dans l’esprit du « plus jamais ça » qui a motivé la fusion des PC et du Wildrose, elle préfère risquer de briser le pays plutôt que de diviser le vote conservateur, ce qui pourrait ramener le NPD au pouvoir.
La situation s’aggrave avec la naissance du Parti républicain de l’Alberta, qui a lancé une campagne bien financée d’annonces sur les réseaux sociaux, de sondages téléphoniques et de porte-à-porte pour vanter les mérites de la sécession.

Le business de la sécession

Qui finance tout cela ? Le Parti républicain de l’Alberta est-il une véritable force politique — ou une opération de façade alignée sur le PCU ? Existe-t-il des liens avec les réseaux MAGA américains ? Des acteurs étrangers cherchent-ils à exploiter cette vague populiste pour obtenir des contrats, de l’influence ou un accès aux ressources ?

Ces questions peuvent sembler spéculatives, mais elles méritent d’être posées, étant donné les milliards de dollars en jeu dans les sables bitumineux. Les intérêts extérieurs — étrangers ou non — pourraient chercher à tirer profit de cette instabilité politique. Ce qui est certain : ce n’est pas un exercice. C’est une menace réelle pour l’avenir de la fédération canadienne.

La bonne nouvelle, c’est que cette menace a mobilisé les Albertain·e·s non affiliés au PCU — en particulier les Premières Nations et le mouvement syndical.

Les dirigeants des organisations autochtones de l’Alberta, ainsi que plusieurs chefs de conseils de bande, ont envoyé des lettres à Smith affirmant qu’aucun gouvernement provincial n’a le droit de faire sécession sans le consentement des peuples autochtones. Ce serait, disent-ils, une violation des traités signés entre la Couronne et les Premières Nations.

Pendant ce temps, les délégués de la Fédération du travail de l’Alberta ont adopté à l’unanimité une déclaration s’engageant à combattre toute tentative de retirer l’Alberta du pays qu’ils « aiment, honorent et chérissent ».

Les raisons du refus

Les travailleuses et travailleurs, ainsi que leurs syndicats, s’opposent à la séparation pour plusieurs raisons clés :

1. Ils comprennent que la promotion du séparatisme par le PCU est une manœuvre cynique servant à protéger les intérêts partisans de la droite albertine, non le bien commun.

2. Ils y voient une distraction, destinée à détourner l’attention des échecs politiques et des scandales du PCU — notamment le scandale « CorruptCare », où le gouvernement Smith a attribué des contrats douteux à des proches du parti pour démanteler et privatiser le système de santé publique.

3. Ils savent que l’incertitude liée à la sécession nuira aux investissements et détruira des emplois — comme cela s’est produit au Québec lors des référendums de 1980 et 1995.

4. Ils reconnaissent qu’une Alberta indépendante, plus petite et moins viable économiquement, aurait du mal à maintenir ses services publics actuels — notamment la santé et l’éducation, déjà parmi les moins financées au pays. Une Alberta dirigée par le PCU aurait aussi du mal, voire refuserait, de maintenir des programmes nationaux comme le Régime de pensions du Canada, ou des services universels comme les soins dentaires, la pharmacare ou les services de garde.

5. Enfin, les syndicats albertains rejettent la séparation car ils savent qu’elle pourrait rapidement mener à l’annexion par l’Amérique de Trump.

Refaire de l’Alberta une province canadienne

Les Albertain·e·s refusent aussi l’idée de faire partie d’un pays où la démocratie se délite à vue d’œil ; où les droits syndicaux ont été supprimés pour des centaines de milliers de travailleurs du secteur public ; où les droits des femmes, des immigrants et des minorités sont systématiquement remis en cause ; où la science est niée ; où le déni du climat, de la COVID et des droits humains est devenu la norme ; et où des milliardaires, y compris le président lui-même, remplacent l’économie néolibérale par une économie mafieuse encore plus brutale.

Ainsi, malgré l’inquiétude provoquée par le séparatisme albertain, une volonté croissante de riposte s’installe. Smith et le PCU ont peut-être lancé cette bataille par pur cynisme — mais les peuples autochtones, les travailleurs et de nombreux Albertain·e·s sont déterminés à la gagner.
Ils croient que le Canada mérite qu’on se batte pour lui — et ils ont clairement indiqué qu’ils ne cesseront pas le combat tant que la menace du Maple MAGA ne sera pas neutralisée.

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