Édition du 20 mai 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

« Les faux réfugiés de Trump » : alors que les États-Unis accueillent des Sud-Africains blancs, Trump dénonce à tort un « génocide »

L’administration Trump a suspendu la réinstallation des réfugiés dans la plupart des pays du monde, mais a accueilli lundi 59 Afrikaners sud-africains blancs à qui le statut de réfugié a été accordé. Le président Trump affirme que les Afrikaners sont victimes de discrimination raciale — alors même que la minorité blanche en Afrique du Sud possède toujours la majorité des terres agricoles, plusieurs décennies après la fin de l’apartheid — et prétend qu’ils fuient un « génocide ».
« Il s’agit d’une théorie du complot et d’un mythe qui circulent depuis des décennies dans les cercles populistes de droite et suprémacistes blancs  », affirme Andile Zulu, essayiste politique et chercheur au Centre d’information alternative et de développement au Cap. Nous nous entretenons également avec Herman Wasserman, professeur de journalisme à l’Université de Stellenbosch, qui estime que l’administration Trump utilise les Afrikaners comme « des pions, des figurants dans une campagne qui prétend promouvoir la suprématie blanche ».

15 mai 2025 | tiré de Democracy now !
https://www.democracynow.org/2025/5/15/trump_fake_refugees_white_south_africans

NERMEEN SHAIKH : Le président sud-africain Cyril Ramaphosa a annoncé qu’il rencontrera le président Trump à la Maison-Blanche la semaine prochaine, après l’arrivée aux États-Unis lundi d’environ 59 Afrikaners ayant obtenu le statut de réfugié. Les Afrikaners sont les Sud-Africains blancs qui dirigeaient le pays pendant l’apartheid. Cela survient alors que l’administration Trump a suspendu la réinstallation des réfugiés pour presque tous les autres pays.

Lundi, Trump a affirmé que les Sud-Africains blancs subissaient une discrimination raciale, bien que la minorité blanche détienne encore la majorité des terres agricoles. Il a déclaré qu’il les autorisait à venir aux États-Unis pour échapper à un soi-disant « génocide ».

DONALD TRUMP : C’est un génocide qui a lieu et dont personne ne veut parler, mais c’est une chose terrible. Des agriculteurs sont tués. Ils sont blancs, mais qu’ils soient blancs ou noirs m’importe peu. Mais des fermiers blancs sont brutalement tués, et leurs terres sont confisquées en Afrique du Sud.

NERMEEN SHAIKH : Lundi, le président sud-africain Cyril Ramaphosa a réfuté les accusations de Trump, les qualifiant de « récit complètement faux ». Mardi, il a rapporté sa conversation téléphonique avec Trump.

CYRIL RAMAPHOSA  : J’ai parlé avec le président Trump au téléphone. Il m’a demandé : « Que se passe-t-il chez vous ? » Je lui ai répondu : « Président, ce qu’on vous a dit, par ceux qui s’opposent à la transformation en Afrique du Sud, n’est pas vrai. » Je lui ai ajouté que nous avions été bien formés par Nelson Mandela et d’autres leaders comme Oliver Tambo pour bâtir une nation unie à partir de nos diverses communautés. Nous sommes le seul pays du continent où les colonisateurs sont restés, et nous ne les avons jamais chassés. Ils vivent ici, et ils progressent. Ce sont des groupes marginaux, peu soutenus, qui s’opposent à la transformation et au changement, et qui préféreraient voir l’Afrique du Sud revenir à des politiques de type apartheid.

NERMEEN SHAIKH : Le conseiller de Trump d’origine sud-africaine, Elon Musk, a lui aussi accusé le gouvernement sud-africain de promouvoir un soi-disant « génocide blanc ». Le grand-père de Musk avait déménagé en Afrique du Sud pour soutenir le système d’apartheid.

AMY GOODMAN : Mercredi, le chatbot d’intelligence artificielle de Musk, Grok, est devenu un sujet tendance sur X (ex-Twitter), après avoir répondu à des questions en déclarant qu’il était « programmé par ses créateurs » pour accepter comme réel et raciste le génocide blanc, quelle que soit la question posée. Nous sommes rejoints au Cap, en Afrique du Sud, par deux invités :
Herman Wasserman, professeur de journalisme et directeur du Centre pour l’intégrité de l’information en Afrique à l’Université de Stellenbosch. Son nouvel article s’intitule « Les faux réfugiés de Trump ». Il est lui-même un Afrikaner blanc.
Andile Zulu, analyste politique au Centre d’information alternative et de développement, auteur d’un article intitulé « Race, pouvoir et politique de la distraction ».

HERMAN WASSERMAN  : Ma première réaction a été l’incrédulité, suivie d’un sentiment de dégoût face à cette notion de « génocide blanc ». C’est une accusation rejetée par la majorité des Sud-Africains, y compris parmi les blancs.

ANDILE ZULU : Cette idée de génocide blanc qui vient de la Maison-Blanche est une vieille théorie du complot des milieux populistes d’extrême droite. Elle prétend que les Afrikaners sont victimes d’une violence étatique délibérée. Mais tous ceux qui connaissent la réalité du pays — la pauvreté, les inégalités, le chômage — savent que c’est totalement faux.

En réalité, cette propagande sert à mobiliser la peur d’une petite frange blanche mécontente d’avoir perdu ses privilèges. Cela rejoint aussi l’agenda du mouvement MAGA aux États-Unis, qui se présente comme défenseur de la « civilisation blanche ».

Cela a commencé avec l’adoption par Ramaphosa d’une nouvelle loi remplaçant l’Expropriation Act de 1975. Ce n’est même pas une loi radicale. Elle prévoit que l’État peut exproprier des terres pour l’intérêt public avec une compensation équitable. Et les cas où cette compensation serait nulle seraient très rares, selon les experts.

NERMEEN SHAIKH : Pour rappel, une loi de 1913 avait attribué plus de 90 % des terres sud-africaines aux Blancs. Aujourd’hui, bien qu’ils représentent environ 7 % de la population, ils détiennent encore environ 50 % des terres. Les Afrikaners figurent parmi les plus riches du pays. Andile, comment cette nouvelle a-t-elle été reçue en Afrique du Sud ?

ANDILE ZULU  : C’est un mélange de frustration et d’incompréhension. Les statistiques parlent d’elles-mêmes : le chômage chez les Blancs est à 7,9 %, contre 36,9 % chez les Noirs. Le taux de pauvreté est de 1 % chez les Blancs, contre 64 % chez les Noirs. Les victimes de violence sont en immense majorité des jeunes Noirs vivant dans les townships.

Oui, les Sud-Africains blancs peuvent eux aussi être victimes de criminalité, mais ce n’est pas parce qu’ils sont blancs. C’est dû à un État dysfonctionnel, gangrené par la corruption et la politique néolibérale imposée à une économie en crise.

AMY GOODMAN : Herman Wasserman, aux États-Unis, des personnalités comme Elon Musk, Peter Thiel et d’autres membres de la « mafia PayPal » ont des liens avec l’Afrique du Sud de l’apartheid. Alors que la majorité des réfugiés dans le monde sont refusés, ce groupe de 59 Afrikaners est accueilli. Quelle est la signification de cela ?

HERMAN WASSERMAN  : De nombreux médias sud-africains parlent de ces « réfugiés » entre guillemets, car tout le monde sait qu’ils ne le sont pas réellement. Cela contredit les conditions dramatiques dans lesquelles vivent de véritables réfugiés dans le monde.

Ce récit de persécution est le fruit d’une campagne de désinformation orchestrée depuis des années par des groupes comme AfriForum, qui militent à Washington, interviennent dans les médias conservateurs comme Tucker Carlson, et participent à des événements comme le CPAC. Ils y présentent l’Afrique du Sud comme un pays où les Blancs seraient persécutés, en proie à une sorte d’« apartheid inversé ».

Cette stratégie a porté ses fruits auprès de l’entourage de Trump, en particulier d’anciens Sud-Africains blancs proches de lui. Et maintenant, cette campagne trouve son apogée dans la reconnaissance de ces « réfugiés ».

Il faut aussi comprendre que cette décision vise à punir l’Afrique du Sud pour avoir porté plainte contre Israël devant la Cour internationale de justice. L’ordre exécutif mentionne explicitement la position sud-africaine sur Gaza.

En somme, ces 59 Afrikaners sont utilisés comme pions dans une vaste campagne politique, à la fois aux États-Unis — pour nourrir l’imaginaire de la « blancheur menacée » — et en Afrique du Sud, où ces groupes veulent faire pression sur le gouvernement. AfriForum ne cherche même pas à quitter le pays. Il s’agit d’un coup de force politique.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par les responsables.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Sections

redaction @ pressegauche.org

Québec (Québec) Canada

Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...