Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Écosocialisme

Ceci n’est pas une crise écologique – mais une crise systémique

Le sommet onusien de décembre à Paris (COP21) permettra-t-il de conclure l’accord global sur le climat attendu depuis le fiasco de Copenhague en 2009 ? Oui, une issue positive semble assez probable… Le cas échéant, cet accord permettra-t-il d’endiguer la catastrophe climatique ? Non, cela paraît exclu !

Une opinion de Daniel Tanuro, auteur de « L’impossible capitalisme vert » (1), coordinateur du dossier spécial « Climat : la gauche au pied du mur » dans la revue Politique (2).

Prenons l’hypothèse la plus favorable : l’Union européenne respecte son engagement (insuffisant) de réduire ses émissions de 40 % d’ici 2030 ; les autres pays développés s’alignent sur l’engagement des Etats-Unis (un objectif pour 2025 analogue à celui que les USA auraient dû atteindre en 2012 dans le cadre de Kyoto) ; et les pays « émergents » s’alignent sur celui de la Chine (pas de réduction absolue des émissions avant 2030). Dans ce cas, la hausse de température probable sera de 3,6 °C à 4 °C d’ici 2100. Près de deux fois le seuil de dangerosité « officiel ».

Optimisme déraisonnable

Le secrétaire général des Nations Unies se veut pourtant rassurant. L’essentiel, pour M. Ban Ki-moon, est qu’on avance : « Il ne faut pas voir Paris comme une destination. Ce n’est pas la fin d’un processus : c’est un commencement. Je suis donc plutôt optimiste » (Le Monde, 27/08/2015). Cet optimisme n’est pas raisonnable. Pour deux raisons. D’abord, il n’est pas vrai que des sommets ultérieurs pourraient aisément et à temps rehausser les ambitions trop faibles de la COP21 pour revenir sur une trajectoire d’émissions compatible avec les 2 °C. Depuis 1992, les décisions ont été reportées et les gaz à effet de serre n’ont cessé de s’accumuler. La « fenêtre d’opportunité » pour rester au-dessous des 2 °C est en train de se fermer. Il faut organiser la transition tout de suite et complètement, avant qu’il soit trop tard.

Ensuite, la situation est plus grave que prévu. Les pays les plus menacés ont demandé que le réchauffement maximum soit fixé à 1,5 °C. Les experts que le sommet de Doha a chargés de se prononcer, leur ont donné raison. Remis en mai dernier, le rapport du « dialogue structuré des experts » souligne que les impacts actuels sont déjà significatifs et que toute amplification du phénomène « accroîtra les risques de changements sévères, généralisés et irréversibles. » Le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du Climat (Giec) le répète depuis un quart de siècle : sans réduction immédiate et forte des émissions (débouchant sur des émissions négatives avant 2100 !), le réchauffement aura des conséquences qui dépassent l’imagination. Les cinq rapports publiés depuis 1988 ne se distinguent que par les niveaux de probabilité accrus de ces projections… N’empêche que les émissions augmentent deux fois plus vite aujourd’hui que dans les années 80 !

Mauvaise démarche

Pourquoi les décideurs restent-ils incapables d’agir ? La voie à suivre est-elle si difficile à tracer ? Non, elle est évidente : en fonction du seuil de dangerosité, il s’agit d’établir le « budget carbone » disponible globalement (la quantité de CO2 qui peut encore être envoyée dans l’atmosphère), puis de répartir ce budget équitablement, en tenant compte du fait que riches et pauvres n’ont pas la même responsabilité historique dans le réchauffement, ni les mêmes capacités de s’y adapter.

La démarche de la COP21 est à l’opposé : les discussions se font sur base… de ce que chaque gouvernement envisage de faire… en l’absence de tout accord précis sur l’équité… et donc sans aucune obligation de concourir à ce que l’objectif soit vraiment atteint. Les 2 °C ? Un hochet agité dans le vide. Les négociateurs sont comme des randonneurs en danger qui disposeraient d’une réserve d’eau limitée pour franchir le désert et qui se lanceraient dans l’aventure sans accord sur la route à suivre ni sur les besoins quotidiens de chacun(e).

Croissance et soutenabilité

Cette irrationalité ne tombe pas du ciel, elle découle de la concurrence pour le profit, qui entraîne la course à la croissance. « Un capitalisme sans croissance est une contradiction dans les termes », disait Schumpeter. C’est le nœud du problème. En effet, sauver le climat nécessite des réductions d’émissions tellement drastiques qu’elles impliquent une diminution importante de la consommation énergétique ; celle-ci n’est pas possible sans réduire sensiblement la production, et cette baisse de la production à son tour n’est pas possible sans mettre en question la liberté d’entreprendre et la concurrence pour le marché. Les scénarii qui prétendent concilier croissance et soutenabilité sont tous biaisés par la non prise en compte de ces réalités.

Crise systémique

Parler de « crise écologique » est trompeur. C’est globalement, en termes de crise systémique, qu’il convient d’appréhender la situation. La catastrophe ne peut être endiguée que si la logique despotique de compétition, de pillage et d’appropriation qui est celle du capitalisme, cède la place à une logique démocratique de coopération, de partage et de mise en commun. Ces valeurs sont celles de la gauche, mais celle-ci est mise au défi de rompre avec le productivisme. En sera-t-elle capable ? Une grande mobilisation est en cours qui doit connaître un premier point culminant lors de la COP 21.

Les organisateurs veulent y faire converger tous les mouvements sociaux. Ils ont raison. Les syndicats paysans et les peuples indigènes sont en première ligne d’un combat articulé sur la gestion commune des ressources, où les femmes jouent un rôle majeur. De larges couches de la jeunesse se mobilisent contre les grands projets d’infrastructure notamment. Mais le syndicalisme reste encore hésitant. Pourtant, ce combat est aussi celui des travailleuses et des travailleurs. Croire que nous allons sauver notre gagne-pain et celui de nos enfants en détruisant la planète est encore plus absurde que de croire que l’austérité résoudra nos problèmes.

Notre gagne-pain, celui de nos enfants et la planète ne peuvent être sauvés qu’ensemble. En luttant contre l’austérité et pour une transition juste, basée sur les valeurs d’entraide, de solidarité, de soin et de coopération qui devraient être celles du mouvement ouvrier.

L’heure est à la convergence des mouvements et celle-ci souligne la nécessité d’un projet de société non capitaliste adapté aux défis de notre temps. Un projet qui vise la satisfaction des besoins humains réels, démocratiquement déterminés dans le respect prudent des contraintes écologiques. Un projet éco-socialiste, féministe et sans frontières. Il vit et cherche sa voie dans les luttes pour l’émancipation. Il n’est pas de tâche plus urgente que de le renforcer.

Notes

(1) La Découverte 2010.

(2) Le numéro de rentrée de « Politique » propose un dossier critique de 30 pages sur les enjeux du prochain Sommet pour le climat de Paris. Avec notamment Hervé Jeanmart, Charlotte Luyckx et Louis Possoz (Le défi de la transition énergétique), Grégoire Wallenborn (La réponse néolibérale au changement climatique), Pablo Solon (négociateur à Cancun), Laurence Lyonnais (fin de l’agrobusiness), Lydie Gaudier (Les tensions chez les syndicats) et Edgar Szoc (Le mouvement écosocialiste). Rens. : http://politique.eu.org/

* « Ceci n’est pas une crise écologique ». CONTRIBUTION EXTERNE. La Libre Belgique. Publié le dimanche 06 septembre 2015 à 14h26 - Mis à jour le dimanche 06 septembre 2015 à 14h26 :
http://www.lalibre.be/debats/opinions/ceci-n-est-pas-une-crise-ecologique-55e9a2a63570ebab3d874101#56116

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