Firson PIERRE, sociologue, Maitrisant en Environnement et Changement Climatique
Son utilité sociale pour qu’elle soit considérée comme telle ? La famille selon G.P. Murdock (Murdock G. , 1972), est un groupe social caractérisé par la cohabitation, la coopération et la procréation. Elle inclut des adultes des deux sexes, dont deux au moins entretiennent des relations sexuelles socialement approuvées, ainsi qu’un ou plusieurs enfants-enfants ou adoptés- issus de cette union. La famille se situe au croisement de quatre besoins sociétaux universels : a) Coopérer, b) Identifier, intégrer, motiver, c) Se reproduire, durer dans le temps, d) Eduquer.
En dessous de tout processus de coopération, de cohabitation, de reproduction et d’éducation au sein d’une famille, il existe a priori une vision, siège principal des valeurs éthiques et morales qui président à son fonctionnement et qui définissent les liens intrafamiliales et interfamiliales, bref, sociétaux. Parlant de ‘’famille haïtienne’’, s’il en existe réellement, c’est justement au niveau de ses liens qu’est bloqué le processus d’intégration sociale. Ou pourrait dire qu’il existe des ‘’unités familiales’’ en Haïti héritées de la colonisation ayant pour fondement ; la peur et la crainte de l’autre (nulle ne fait confiance a personne), une raciste de rang social, d’origine sociale, de couleur et de différenciation sociale renforcée par une éducation /Instruction sélective. Ce sont des unités fracturées, dissociées, éclatées sous le poids de la misère, les luttes pour l’acquisition de la terre familiale, et surtout les conflits religieux. Loin d’être un facteur de cohésion sociale, le fait religieux en Haïti est une source potentielle de conflit, de déstabilisation intrafamiliale et interfamiliale. Donc, malheureusement, ce sont à ces hommes et à ces femmes issus de ces ‘’unités familiales’’ déchirées, fracturées qu’on a donné la responsabilité historique de construire une société dans laquelle nous -les haïtienne.es- pourrons vivre dignement comme des êtres humains dans le respect de l’autre, de la dignité humaine. Comme disait le vieux dicton ; « Joumou pa donnen kalbas ».
Une religion pour les pauvres
En général, dans les textes sacrés, il existe plusieurs fragments d’histoire dont les uns font l’éloge et la promotion de la richesse matérielle, de la prouesse guerrière, du sens du travail, du beau et de l’esthétique. Pourtant, certains autres sont centrés sur la crainte, la misère associée à la foi, la piété et à l’obéissance aveugle. Dépendamment du type de société à construire en fonction des moments historiques et de la qualité intellectuelle et morale des leaders religieux on mobilise tels ou tels aspects de la parole sacrée en fonction des intérêts qui sont en jeux. Très souvent le discours religieux prend la forme des objectifs fixés au départ par les élites, partant du fait qu’il s’agit d’un projet idéologique mobilisant à la fois ressources humaines, matérielles et économiques dans le but de contrôler et de modifier la pensée des gens. A cet effet, toute initiative religieuse est idéologique par essence, donc politique par finalité, parce qu’il s’agit historiquement d’un moyen de contrôle social de masse très efficace et moins couteux (FILS-AIME, 2017).
En Haïti par contre, le fait religieux contribue à renforcer la dislocation des tissus sociaux, des liens familiaux en camps opposés de fidèle, renforçant d’avantage le clivage historique urbain/rural, ville/en dehors, afin d’asseoir leur domination spirituelle sur un peuple affamé, appauvri, en quête de mieux être. Comme le veut la lettre et l’esprit de Machiavel , diviser pour régner. Avec un discours qui prône la résignation en lieu et place de l’implication continue dans les diverses activités pour la transformation sociale des conditions matérielles qui sacralise le pauvre comme ayant plus de chance d’être sur la voie du salut, de rentrer au paradis par rapport à la recherche et la création d’emploi qui caractérise l’esprit du capitalisme dans sa version protestante (M. Weber ; qui prône une banalisation des lieux de prière (n’importe qui, n’importe où peut devenir officiant), ne peut contribuer en aucun cas au changement spirituel et matériel souhaité par la communauté, en créant de nouvelles conditions de vie plus respectueuses de la vie humaine.
Dire à quelqu’un qu’il doit prier sans cesse pour avoir : de la nourriture pour donner à ses enfants, une maison pour loger sa famille, un emploi pour répondre à leurs besoins quotidiens, un visa pour voyager même s’il n’a pas encore un passeport ; pourrait être considéré comme un acte de destruction consciente de l’être humain par la prière. Car dans la liturgie religieuse haïtienne- toutes confessions confondues- on fait peu d’éloges pour la richesse et l’aisance du Roi Salomon voire les moyens par lesquels s’en acquérir. Donc, nous devrions accepter cet état de fait que nous construisons un monde de pauvres, de mendiants, qui en se renforçant continuellement deviendra un baril de poudre à explosif aux pieds de l’état.
La destruction des forces légales en Haïti
Le peuple haïtien qui exista dès le 1er janvier 1804 a eu comme héritage spirituel et matériel que les colons de l’époque n’entendaient reculer que devant la force des armes quand leurs intérêts sont menacés. Car, sur le plan de la pensée, l’Europe coloniale est arrivée à une certaine apogée qui leur garantit une facilité d’esprit pour la destruction de l’autre dans son histoire, ses valeurs, ses aspirations, et le cas échéant de son élimination pure et simple. Portant cette manière de penser et d’agir au niveau de tout un peuple c’est ce qui donna lieu au génocide des peuples autochtones. Donc, seule la force militaire peut faire obstacle à une pensée raciste, coloniale, génocidaire des peuples européens. Car sans la lutte vous n’obtiendrez rien, ni aujourd’hui, ni jamais disait Patrice Lumumba. C’est la raison pour laquelle le plus nécessaire à réaliser par les anti-haïtiens nationaux et internationaux est de détruire des forces légales du pays depuis 1806 à nos jours.
L’achèvement de cette pensée antinationale a connu des moments forts qui méritent d’attirer l’attention ; l’assassinat de l’Empereur Jacques 1er, de sa famille et ses proches collaborateurs et l’interdiction de faire référence à ses idées, ses œuvres pendant plus que quarante ans à travers tout le pays. Il s’agit en effet de tuer dans l’œuf l’idée d’une redéfinition de l’ordre géopolitique international imposé par les puissances impérialistes au reste du monde. Elles n’ont pas pu, malgré tout, l’empêcher. Donc ‘’le mal haïtien rentra dans l’histoire de l’humanité tout entière’’. Le deuxième moment d’achèvement est l’intervention militaire étasunienne de 1915 suivie de 20 ans d’occupation du territoire national. Durant cette période les occupants ont procédé à la destruction de l’armée nationale pour mettre sur pieds une gendarmerie au service des occupants, ils ont tué des milliers de paysans qui refusaient d’être incorporés, comme dans la période coloniale, en tant qu’animaux domestiques dans un projet néocolonial interventionniste de dépendance politique et d’extraversion économique (en particulier le vol du trésor à la banque nationale de l’époque). Le troisième moment d’achèvement est le démantèlement des forces armées d’Haïti par le président Jean Bertrand Aristide. Toutefois, aucun haïtien averti ne peut prétendre dédouaner les forces militaires haïtiennes de terreur et de violences systématiques contre le peuple qui lui assure, au péril de sa vie, bien-être et mieux-être. Le quatrième et dernier moment d’achèvement consiste, après avoir créé la PNH pour protéger les vies et les biens aussi des intérêts de la bourgeoisie Nord-Américaine en Haïti, cette bourgeoisie ne cesse de financer de manière systématique des groupes armés privés partout dans le pays pour terroriser la population d’une part, défendre leurs intérêts d’autre part, et affaiblir l’état haïtien enfin. Dans ce concert machiavélique qui consiste à diviser pour régner, elles dansent du ballet classique en truquant de verre de boissons spiritueuses en espérant retourner en sauveur à travers des missions onusiennes pour tenter de mettre l’ordre au désordre qu’elles ont planifié depuis des décennies. Donc, la violence systématique, sans frein que nous observons dans le pays est un signe avant-coureur qui montre que la vision politique imposée en Haïti depuis 1986 ne peut dépasser son stade de transition (une transition bloquée vers le capitalisme moderne et avancée, Dr. Mario Samedi), leur vision économique de la société échoue également car malgré la destruction de l’économie nationale, l’élimination des barrières tarifaires et les droits de douanes, le démantèlement du cheptel haïtien, le pays reste encore debout ; leur vision culturelle s’échoue aussi pour n’avoir, malgré toutes les ressources engagées depuis 1960, en passant par 1915 pour arriver aujourd’hui, à rendre dominant et imposable à tous leurs valeurs chrétiennes. Bref, le système capitaliste tel que conçu et imposé en Haïti dans ses fondements de démocratie participative et d’économie libérale s’effondre dans ses propres contradictions internes. C’est pourquoi les tenants de ce système aujourd’hui, usent de la violence et de la terreur pour, au moins, se garder une lueur d’espoir de domination sur un peuple qui refuse historiquement d’être asservi par les puissances étrangères.
Tel est l’énigme du cas haïtien aux yeux des puissances occidentales : financer continuellement l’autodestruction par la religion chrétienne (catholique, protestante), par le démantèlement des forces légales du pays (armée, police), par le financement des groupes armés privés à travers tout le pays au service des élites économiques, politiques et intellectuelles incorporées au projet néocolonial capitaliste imposé en Haïti depuis les années 80 (Programme d’Ajustement Structurel) qui a sauvé leur économie au bord de la faillite.
La destruction de l’économie nationale
Tout commence vers les années 80 quand Margareth Thatcher, Première ministre de l’Angleterre de l’époque surnommée la dame de fer, a décidé à travers un programme économique de renforcer la domination du système capitaliste mondial sur les pays du Sud. Ce renforcement a eu plusieurs phases d’acceptation politique. Citons par exemple le consensus de Washington et de son corollaire latino-américain Santafe 1 et 2. A cet effet, de tous temps, les économies les plus puissantes (celles enregistrant des comptes extérieurs excédentaires et/ou possédant une monnaie numéraire commune dans les échanges internationaux) déversent dans les autres pays ce qu’elles ont de trop (marchandises et capitaux), tout en sélectionnant minutieusement leurs achats auprès de ces pays ; elles se soucient du maintien de l’activité nationale et imposent des règles internationales (termes d’échange, « libre-échange », lettres de change) assurant le flux d’épargne excédentaire, tout en se désintéressant de la solvabilité à terme des débiteurs. Ces derniers, le plus grand nombre des pays en développement, sont ainsi entraînés dans la spirale de l’endettement, puis dans la crise du désendettement et… de l’assainissement, tel qu’il a été formalisé avec précision (discipline fiscale, réforme des impôts, libéralisation des flux de marchandises et de capitaux, réforme de l’action publique, etc.) par le fameux « Consensus de Washington » à la fin des années 1980 (Uzunidis, s.d).
Toutes ces politiques publiques internationales imposées aux pays du Sud visent en effet à briser les barrières politiques mises en place par les décideurs nationaux en vue de protéger les économies nationales. Leurs applications dans les économies nationales doivent faciliter la rentrée des capitaux étrangers, de biens et services industrialisés en quête de nouveaux marchés. Leur matérialisation se fait dans une logique à géométrie variable, selon le temps, l’espace, le type de leader et le rapport historique de la société face au système capitaliste colonial, néocolonial, néolibéral et avancé. Pour certains pays latino-américains il s’agit d’une modernisation imposée selon les besoins de l’extérieur en vue d’imbriquer d’avantage leurs économies avec celle du capitaliste moderne. Pour d’autres par contre, le renversement des gouvernements hostiles par les armes, la liquidation des opposants politiques constitue leur quotidien périodique.
Dans ce même ordre d’idée Haïti a connu aussi ses moments de gloire éphémères avec notamment le renversement des gouvernements des Duvalier (avorté sur Duvalier Père, réussi sur Jean-Claude Duvalier) qui n’a pas pu jeter les bases infrastructurelles et informationnelles du développement afin de mettre le pays sur la route du progrès. À cet effet, il a fallu toujours, selon les moments, un agent pour appliquer l’ordre imposé par les élites bourgeoises internationales. C’est l’apparition d’un François Delatour, ministre d’alors qui a endossé la responsabilité historique du démantèlement de l’économie nationale par sa libéralisation pure et simple. Il a fallu plus tard un deuxième agent nommé Henry Namphy, pour s’attaquer à la production rizicole du pays en facilitant la rentrée en masse du riz venant des USA tout en diminuant volontairement les aides financières et techniques apportées aux planteurs haïtiens. Le plus dur à constater est le coup mortel porté contre le cheptel haïtien (kochon kreyol) par le ministre de l’époque, Jacques Edouard Alexis, agent des USA, ordonnant l’abattage systématique et sans fondement scientifique des kochon kreyol. C’était l’une des plus grandes catastrophes économiques que la classe paysanne haïtienne ait connue depuis la déclaration de l’indépendance d’Haïti en 1804. « Cet abattage n’a pas seulement tué les cochons, mais l’économie haïtienne aussi ». Il s’agit au fond, de s’attaquer au carnet de banque de la paysannerie, de casser son autonomie financière. C’est une manière très assurée de provoquer l’exode rural massif en rendant disponible une main-d’œuvre à bon marché pour les industries de sous-traitance. En s’attaquant au cheptel les décideurs, en connaissance de cause, ils s’assurent les conséquences directes suivantes ; 1- l’appauvrissement des paysans/éleveurs, 2- l’incitation forcée à venir travailler en ville pour un salaire de misère, 3- l’émergence de bidonvilles en rendant disponibles les bras des armées privées afin de renforcer le banditisme à l’échelle nationale, et faire pression sur les politiques pour l’obtention d’avantages économiques. L’inexistence d’une politique agricole réelle pour apporter de l’aide technique, financière et matérielle aux agriculteurs n’est plus que cohérent. C’est pourquoi on pourrait se demander comment l’Etat haïtien pourrait refinancer et accompagner un secteur qu’il a pris consciemment la décision de démanteler !
En 1991, il a été décidé aux USA d’imposer à Haïti, qui a déjà tant souffert de tous les maux du siècle, un embargo dévastateur, général (militaire, technique, scientifique, économique) en réponse au coup d’état politique de l’ex-président de la République le Dr. Jean-Bertrand Aristide. On voudrait sanctionner des gens dont la formation ainsi que leur armement ont été assurés depuis plus d’une trentaine d’année par les tenants du système capitaliste national et international. Il est clair que ce projet d’embargo s’aligne une fois de plus sur la politique de mépris international des puissances impérialistes vis-à-vis d’Haïti. Celle-ci a contribué au renforcement de l’appauvrissement continuel de la société haïtienne au profit de la République Dominicaine par la création des marchés binationaux installés dans les grandes villes frontalières du pays. Donc depuis lors les investissements internationaux sont dirigés vers la République Dominicaine, tandis que les biens et services de mauvaises qualités sanitaires produites sont déversés en Haïti par ces canaux. En d’autres termes, l’embargo n’a résolu aucun des problèmes structurels existants, au contraire il les renforce (l’insécurité, l’élection truquée sur la couverture de l’ONU, l’instabilité politique), appauvrit l’économie nationale et finance en dernier lieu le développement de l’économie voisine. Le tableau ci-dessus nous éclaire sur la situation de détérioration financière de notre économie, et le résultat de tout le processus d’étranglement de la société haïtienne. Soit de 2006 à 2012, l’économie haïtienne a accusé une perte d’environ 9,132 millions dollars US. C’est pourquoi, de notre point de vue, il est toujours important de dégager une compréhension objective des liens entre l’insécurité grandissante dans le département de l’Ouest, de l’Artibonite et le déficit commercial entre Haïti et la République Dominicaine. Cela pourrait nous informer sur les voies à suivre pour sortir de ce marasme dans les années à venir.
En analysant les données recueillies concernant la balance commerciale d’Haïti sur une période de dix années on a pu déduire que notre économie affiche un déficit commercial de 24,904.7 M€. Les grands bénéficiaires de nos pertes sont les USA en premier lieu, les pays d’Europe en second lieu, la République Dominicaine en troisième, et les autres pays de l’Amérique Latine. Cela signifie que les différentes crises sociopolitiques, la contrebande a grande échelle, la lutte fratricide entre les différents groupes armés font partie d’un plan global de déstabilisation nationale en vue de continuer le processus de paupérisation et de captation des maigres recettes du pays, d’incitation de l’exode massif des cerveaux (tous niveaux confondus), de reconsidérer le positionnement stratégique pour le contrôle des ressources naturelles du pays.

Une éducation à triples échelles sans objectifs nationaux concrets
En regardant de près le MENFP dans le défilement quotidien des différents ministres venant de toutes parts sans une compréhension réelle de la situation éducationnelle du pays qui sombre d’avantage dans la déliquescence totale, ne voulant acquérir un poste politique que pour plaire à ses clans et répondre dans la mesure du possible aux besoins primaires de leurs familles, on se trouve à quelques millimètres près de la même catégorie du petit commerçant chaque jour qui va au marché à la recherche du pain quotidien pour répondre aux besoins de sa famille. à partir d’une analyse succincte du temps historique haïtien, découplé en trois grandes périodes ; de 1804 à 1914 (période nationale), de 1915 à 1936 (période de l’occupation étatsunienne), de 1937 à 1986 (période de reconquête de la souveraineté nationale), de 1986 à nos jours (période de l’imposition du système capitaliste démocratique et libéral), on n’a jamais eu de politiques éducative nationale qui ne soient limitées concrètement aux frontières des centres urbains et insérées dans la vision continuelle du pacte de l’exclusif colonial ; Tout par et pour les Métropoles.
Les besoins éducatifs des milieux ruraux ne sont jamais pris en compte, car au moment même ou nous écrivons cet article il existe encore des écoles ki ka twonpe solèy, men ki pa ka twonpe lapli dans certains milieux ruraux, pourtant le budget du MENFP plus celui du FNE ne suffisent pas encore à financer l’appétit corruptif des cadres du ministère. L’éducation nationale adopte toujours les mêmes stratégies, les mêmes modes opératoires de 1804 à nos jours ; former, sélectionner les élèves les plus aptes à remplacer les tenants du système néocolonial anti-progrès, en laissant continuellement la grande majorité rurale, plongée dans l’alphabétisme le plus abject. À leurs dispositions existe des écoles bidons, sans infrastructures de base, sans matériels didactiques adéquats, des maitres peu formés ayant intégré l’administration scolaire sur la recommandation expresse d’un politicien de la zone. En bref, des écoles entre les mains de directeurs et directrices pour la plus part immorales et corrompus, développant en toute impunité des rapports intimes avec des élèves en age de puberté. Ces pratiques provoquent chez ces derniers l’inhibition quasi-totale de toute capacité intrinsèque de l’apprenant à s’orienter dans l’espace haïtien et à se projeter dans l’avenir. Il s’agit enfin pour le MENFP de préparer des jeunes pour le marché occidental en imbriquant leur formation, leur instruction, leur éducation professionnelle dans la vision occidentale pour les pays du Sud anciennement colonisés, surexploités, sous-développés aujourd’hui. Donc le but est de rendre disponible dans les pays du Sud des main-d‘œuvres de toutes sortes pour soutenir leur processus de développement. Enfin, s’agit-il de voies et moyens surs pour bloquer par tous les moyens la possibilité pour ces pays de penser la vie autrement que celle imposee par ces pays à travers les directives de l’ONU.
En effet, le MENFP expérimente depuis des siècles en Haïti une approche éducative héritée de la colonisation qui maintient un racisme d’origine sociale et familiale (moun an deyò vs moun la vil, fanmi rich vs fanmi pòv), une différenciation sociale accrue (mensi nou nan menm klas m ka kanmarad ou), de l’exclusion sociale, qui privilégie la soumission, l’obéissance passive et la piété aux maitres et directeurs et directrices d’écoles au détriment du raisonnement scientifique et technique axés sur la compétence et les valeurs de la personne humaine (liberté, égalite, droits, devoirs, etc.). En d’autres termes la société haïtienne continue encore de financer avec la sueur de leurs fronts un système éducatif centralisé qui contribue d’avantage à leur désarticulation morale et spirituelle, à leur sous-développement perpétuel. Comme disait le viel adage : « tant vaut l’école, tant vaut la nation », Yv Dejan à vue claire en donnant pour titre à l’un de ses ouvrages ; Yon lekòl tèt anba, nan yon peyi tèt anba (Dejan, 2013). En dernière analyse, il s’est installé au sein même de la société haïtienne un processus continuel de désarticulation, de déstructuration où il n’existe aucun lieu de convergence entre les valeurs, les mœurs, les coutumes, les traditions existantes en Haïti et celles promues par le MENFP dans ces différents programmes. Loin de contribuer à l’intégration sociale de tout un chacun en vue d’avoir une vision commune de la cause haïtienne ce dernier s’aligne pur et simplement sur la politique internationale des puissances impérialistes en Haïti caractérisée par l’exclusion sociale, la différentiation sociale, la paupérisation globale et l’extraversion intellectuelle.
Une politique internationale de migration sélective en période de crises sociopolitiques
Inutile de rappeler que les tenants et aboutissants des différentes crises sociopolitiques qui jalonnent l’histoire du XIXe, du XXe et du XXIe siècle haïtien sont plutôt au grand profit de l’extérieur réuni sous la bannière du Corps Group1. En se référant à Naomi Klein dans son ouvrage intitulé la stratégie du choc (Klein, 2008) nous aboutissons au constat qu’au niveau international les crises, les catastrophes ainsi que leurs réponses humanitaires et politiques sont toutes issues des deux mains d’une même personne, d’un même système. Il s’agit de diviser et de fragmenter la société autant que possible pour régner, afin de venir en sauveur au peuple victime, affamé, décapitalisé et sans espoir. Dans l’histoire des relations humaines c’est l’un des cas le plus terrifiant, horrible quand les bourreaux veulent se faire passer pour des bienfaiteurs face à leurs victimes:tel est le profil des actions humanitaires et d’urgences des grandes firmes internationales à travers le monde.
Dans ce même ordre d’idée la société haïtienne s’aligne parfaitement bien dans cette vision décrite par Naomi Klein. En 2010, plusieurs grandes villes du pays ont été frappées par un violent séisme de magnitudes 7 qui a causé des dégâts énormes à tous les secteurs de la vie nationale. A l’issue des recherches effectuées par des géographes français et latino-américains sur l’origine naturelle du séisme aucun piste naturelle n’a été confirmée, malheureusement. Donc on est en présence d’une faible probabilité pouvant expliquer scientifiquement et techniquement par des causes naturelles le séisme du 12 janvier 2010 en Haïti. La thèse complotiste est plutôt venue de l’extérieur par des chercheurs étrangers juste pour constater la caducité, l’inefficacité ou la quasi-inexistence des intellectuels haïtiens à mener une recherche d’une telle ampleur et rendre disponible la vérité autour du phénomène. Des militaires étatsuniens et canadiens dans les premières heures ayant suivi le passage du séisme ont occupé de force les voies aériennes et terrestres du pays contrôlant de fait toute entrée et sortie de ressources humaines haïtiennes ou étrangères, ressources financières et techniques. L’aide internationale a été organisée au nom d’Haïti mais notre pays a plutôt servi de tremplin pour le transit de ce flux monétaire dans les pays de l’Amérique du Nord. C’est pourquoi dans les différents scandales de corruption qui ont vu le jour, La Croix-Rouge Américaine a été fortement impliquée comme point d’appui à travers ces filiales haïtiennes pour s’assurer du transit de l’aide internationale. Par ailleurs, étant frappé par une crise immobilière crée par le monde de la finance qui a mis à mal l’économie étatsunienne, le seime de 2010 pourraient être perçu comme une stratégie internationale pour relancer leur économie, faire circuler des capitaux bloqués en quête de marché, créer de l’emploi externe à des jeunes universitaires sous le chapeau de l’expertise internationale (Zigler, 2002).
En 2009, à travers une politique de migration sélective, le Canada a poussé à l’immigration plus de 50% des cadres du système éducatif haïtien. C’est un coup fatal porté à une société qui doit compter sur ses fils et filles pour sortir du bourbier de la pauvreté, de la misère, de l’ignorance et de l’insécurité planifiée (INURED, 2020). Cela traduit aussi, d’une autre manière, malgré tant de ressources à leurs dispositions que les universités canadiennes se trouvent dans l’incapacité de renouveler leurs personnels enseignants, et c’est pourquoi il doivent faire appel à nos ressources pour combler ce vide croissant et grandissant. Si nous observons minutieusement le jeu des groupes civils armés qui se renforcent chaque jour en Haïti on pourrait être perplexe quant à leur efficacité de destruction de tout de ce qui soit populaire et haïtien (la population, leurs biens, leur vie, leur culture). Fort heureusement l’état actuel de nos industries de sous-traitance n’est pas encore en mesure de produire des armes, des munitions, nécessaires à leur bon fonctionnement. Il est un fait certain que toutes les armes qui existent sur le sol haïtien sont venues de l’extérieur par voie légale ou par la contrebande, à noter que cette dernière est plus rentable. Ayant compris que le projet de financement du banditisme en Haïti n’a pas abouti comme prévu afin de provoquer une guerre civile dans le pays comme cela s’était produit au Rwanda, dans certains pays du Moyen-Orient, encore une fois le peuple haïtien est contraint à l émigration (Programme Biden) pour laisser le pays de force, vider le territoire des élites nationales et internationales jalouses au plus profond de leur être de l’existence paisible et fière du peuple haïtien. Donc, une fois de plus le mal externe a triomphé au détriment du bien national.
Quelques éléments de perspectives
La convergence des forces et structures de désarticulation sociale globale en Haïti représentent l’émiettement d’un ensemble d’actions, d’attitudes, d’aptitudes et de comportements, conscients ou inconscients, participant à la construction d’un environnement social, économique, politique, culturel et environnemental déconnecté du réel haïtien. Cette convergence a participé depuis des siècles à la construction d’une manière de penser et d’agir inhibant toutes possibilités de compréhension et d’actions globales pouvant offrir un cadre de pensée nouvelle anticoloniale et postcoloniale. C’est pourquoi au regard des différentes phases successives de la construction systématique de la pauvreté en Haïti et de son processus de paupérisation continuelle que nous venons d’expliciter ci-dessus nous tâchons d’offrir, pour la pensée, de nouvelles fenêtres à partir desquelles l’être haïtien peut se donner le luxe de voir sa vie autrement et de se projeter dans l’avenir à partir de nouvelles idées pouvant servir de guide spirituel et moral au développement futur du pays par la création de biens et services pouvant améliorer leurs conditions de vie. En d’autres termes, le développement socioéconomique, culturel, politique et environnemental tant souhaité en Haïti doit nécessairement passer par :
1. Une approche rétrospective sur la décentralisation régionale d’avant 1915
2. La constitution et la formation des élites régionales (intellectuelle, politique, économique) modernes, compétitives, honnêtes et progressistes régionales
3. La réalisation d’un forum annuel régional sur les perspectives globales pour l’éducation
4. La réalisation de foire communale, départementale et régionale pour mettre en valeur et faire échanger nos valeurs, nos produits et nos services
5. La laïcisation totale des institutions publiques ; d’enseignements, de politiques, administratives régionales
6. L’élaboration et la mise en œuvre de plans régionaux de renforcement technique, financier et militaire des Forces Armées et de la Police Nationale d’Haïti,
7. La création et le renforcement scientifique et technique des universités et des écoles polytechniques régionales modernes et progressistes
8. La création de complexes de loisirs moderne régionaux pour enfants, jeunes et adultes
9. L’élaboration et la mise en œuvre de plans régionaux énergétiques réalistes et concrets,
10. L’élaboration et la mise en œuvre de plans de modernisation scientifique et technique pour les coopératives existantes
11. La création de coopératives de développement agricole régional
12. Création de banques de développement régional (Fonds pour la recherche et l’innovation)
Notes
1. C’est le regroupement des ambassadeurs défendant les intérêts et les valeurs occidentales en Haïti. Il regroupe ; les Ambassadeurs d’Allemagne, du Brésil, du Canada, d’Espagne, des USA, de France, de l’Union Européenne, du Représentant spécial de l’OEA, du Représentant spécial du secrétaire des nations Unies.
Bibliographie
Dejan, Y. (2013). Yon lekòl tèt anba nan yon peyi tèt anba.
Dejan, Y. (2013). Yon lekòl tèt anba nan yon peyi tèt anba. P-au-P : Université d’Etat d’Haiti.
FILS-AIME, D. J. (2017). 200 ans de zombification, les eglises evangeliques en Haiti, les temps des bilans. Quebec : Indomptable.
INURED. (2020). Migration post-seisme depuis haiti vers l’Amerique Latine.
Klein, N. (2008). La stratégie du choc. la montée d’un capitalisme du désastre. Toronto : Léméac/Actes Sud.
Murdock, G. (1972). De la structure sociale. Paris : Payot.
Uzunidis, D. (s.d). Les pays en développement face au consensus de washington. Dunkerque : l’Université du Littoral Côte d’Opale.
Zigler, J. (2002). Les nouveux Maitres du monde, et ceux qui resistent. Paris : Fayard.
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