Édition du 23 avril 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

De défaite en défaite jusqu’à la victoire finale

Il y a maintenant 40 ans, le Parti Québécois faisait une entrée fulgurante sur la scène politique. Pour autant l’histoire du Québec n’était pas une page blanche. Tout au long des années noires, les mouvements populaires, surtout les syndicats, ont mené une « guerre de position » contre la clique de voyous mise au pouvoir grâce aux appuis de la bourgeoisie anglo-américaine de l’époque. Les Molson et les Steinberg s’occupaient du commerce pendant que les requins d’Iron Ore, de John Mansville et de Dominion Textile exploitaient les travailleurs à coups de matraque et pillaient les ressources du pays comme ils le faisaient au Congo et au Guatemala.

Il a fallu tout un courage pour les confronter à Asbestos, à Louiseville, à Murdochville, à Valleyfield. Les policiers envoyés par le roi Duplessis et Monseigneur Léger avaient l’ordre de « casser des bras », tout simplement. Mais on a tenu tête et ainsi peu à peu, le dispositif du pouvoir s’est érodé. Au début des années 1960, ce sont les enseignants, les fonctionnaires et les étudiantes qui ont pris la relève. Ils étaient appuyés par une poignée d’intellectuels de gauche et par un petit parti assez militant, le Rassemblement pour l’indépendance nationale (le RIN).

Quand une partie des élites a fait défection du Parti libéral avec René Lévesque, le projet était de construire un parti « moderne » et « modéré », résolument procapitaliste, mais prêt à faire des réformes sans aller jusqu’à un programme vraiment social-démocrate. Lors de la fondation du PQ, Lévesque s’est empressé d’exiger du RIN la dissolution pure et simple plutôt que la fusion, ce qui aurait donné au nouveau parti d’une composition plus équilibrée.

Dès le départ malgré ce qu’en dit Louis Fournier, des éléments importants des syndicats et des groupes populaires étaient sceptiques, pour ne pas dire méfiants. C’était d’ailleurs bien avant le ramdam fait par les groupes marxistes-léninistes. Michel Chartrand, parmi d’autres, pensait que le projet du PQ était mi-chair mi-poisson, tant du point de vue de l’émancipation sociale que sur celui de l’émancipation nationale.

Rapidement après son élection, la politique du PQ a confirmé cette intuition négative. Les législations plus progressistes, par exemple l’assurance-automobile, étaient adoptées en les vidant d’une bonne partie de leur substance. Peu à peu, les éléments progressistes comme Robert Burns et Lise Payette se sont rendu compte qu’ils étaient des faire-valoir et ils se sont retirés.

Après la défaite prévue et prévisible du référendum de 1980, le gouvernement péquiste s’est mis à la tâche pour « ajuster » la gouvernance selon la bonne volonté des milieux financiers. Les salariés ont été durement échaudés. Entre-temps, le gouvernement fédéral a imposé sa réforme constitutionnelle en déjouant totalement la tactique de Lévesque qui cherchait à amadouer les gouvernements provinciaux. Après son départ, Pierre-Marc Johnson a tenté de consolider ce virage néolibéral tout en appuyant le nouveau gouvernement conservateur de Brian Mulroney à Ottawa (Lévesque avait appelé cette politique un « beau risque ». Et ainsi, le PLQ est revenu au pouvoir pour presque une décennie.

En 1994 devant le gouvernement libéral usé et corrompu, le PQ a été élu avec quelques votes de plus que son adversaire. Pour mener le référendum de 1995, les stratèges du PQ n’ont eu aucune idée sinon que de rallier la droite nationaliste, Lucien Bouchard et Mario Dumont en tête. Les syndicats et la FFQ sont venus plus tard dans le décor, c’est probablement cela qui a mené au fameux 49,5% pour le oui. La défaite était amère, mais il est probable qu’une équipe plus audacieuse et courageuse aurait pu continuer le combat, au lieu de capituler bêtement comme l’a fait le roi Lulu alors devenu « cheuf » du PQ.

Heureusement pour lui et malheureusement pour les mouvements populaires, des dirigeants syndicaux ont alors abandonné leur projet social autonome, ce qui les a menés à appuyer la politique austéritaire. La Fédération des femmes du Québec (FFQ) a résisté, mais le gouvernement du PQ en dépit des appuis apparemment majoritaires au sein de la population a bêtement refusé d’appuyer leurs revendications.
Bernard Landry, arrivée après le départ braillard de Lulu, se présentait comme un grand « économiste » partisan des politiques de libre-échange et confortable de jouer à l’intérieur de la boîte néolibérale. En 2001 lors du Sommet des peuples des Amériques avec des dizaines de milliers de manifestants qui condamnaient l’arnaque orchestrée par Washington et Ottawa, le premier ministre a réussi à ne rien dire.

En 2003, le PLQ avec un autre voyou du nom de Jean Charest est revenu au pouvoir. Jusqu’en 2012, ce gouvernement a entrepris de démanteler les acquis arrachés par les luttes antérieures, devant une opposition péquiste totalement amorphe, malmenée par un autre aventurier de droite, André Boisclair.

Encore une fois, ce sont les luttes populaires qui ont bloqué la « réingénierie » de Charest, des mamans et des papas des garderies en passant par les ouvriers, les profs et les étudiants, qui ont alors entrepris une longue marche pour relancer leurs mouvements. En 2012, ce patient travail de fourmi a permis le printemps érable, encore là devant un PQ endormi, incapable de prendre position clairement en faveur des étudiants.

Aussitôt installé au gouvernement par la peau des fesses, le PQ a continué dans ses angoisses et tergiversations, reniant ses promesses (abolition de la sinistre taxe santé) et essayant de jouer au plus fin avec les étudiants. Quelques mois plus tard, le PQ était relégué sur les banquettes comiques de la « loyale opposition ».
L’histoire récente, vous la connaissez. La pauvre Pauline partie, PKP a été intronisé alors que presque tout le monde savait que c’était une « bombe à retardement », selon l’expression de Jean-François Lisée. Son départ larmoyant a fait peut-être oublié à ceux qui veulent oublier, au PQ et ailleurs, sa médiocre gouverne, au grand plaisir de la bande sans foi ni loi qui règne autour de Couillard.

Aujourd’hui, on essaie de nous raconter que le parti va se renouveler. Certes, Véronique Hivon et Alexandre Cloutier sont 100 fois plus sympathiques que le roi du lockout. Mais est-ce qu’ils ont vraiment quelque chose de différent à proposer ?
À moins d’un virage spectaculaire, les prétendants au trône ne semblent pas savoir ni comment ni sur quoi reconstruire un projet. Comme dans le passé, toute l’attention est consacrée à l’intronisation d’un nouveau cheuf, un nouveau « produit » qui passera mieux la rampe. Il faut dire que la « recette » est validée par l’essor des politiciens « nouveau style », genre Justin Trudeau. La « people-isation » de la politique orchestrée par les spins des partis et les médias transforment les combats politiques en concours de personnalités. Il faut surtout être beau, avoir les dents blanches et ne pas rien dire qui ouvre la porte aux controverses.

Peut-être que Véronique ou Alexandre nous surprendront, cependant, s’ils ne dévient pas du « modèle », ils vont échouer. Au mieux, ils gouverneront une autre très petite administration provinciale sans avoir ni l’idée ni la capacité de changer quoi que ce soit dans notre paradis capitaliste. Et alors les médias et les péquistes de profession diront qu’il faut trouver un autre cheuf …

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