Édition du 26 mars 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Débats : quel soutien à la lutte du peuple ukrainien ?

De la centralité de l’autodétermination des peuples, « campisme », Otan et UE face à la guerre contre l’Ukraine

La guerre lancée par Poutine en Ukraine – et la résistance ukrainienne qu’elle rencontre – recompose en partie les visions et divisions de la gauche internationale qui s’étaient manifestées dans la phase post-1989 face à la crise yougoslave et à l’intervention de l’OTAN dans la guerre en Bosnie puis sur les enjeux du Kosovo. Mais elle recouvre aussi bien des héritages de divergences sur ce que furent les grandes transformations et confrontations du monde dit-bipolaire du XXè siècle.

tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2022/06/28/de-la-centralite-de-lautodetermination-des-peuples-campisme-otan-et-ue-face-a-la-guerre-contre-lukraine/

On a utilisé la notion de « campisme » dans ces différentes types de contextes. Je voudrais expliciter ce que l’on entend par cette notion et à quelle condition son usage a été et reste utile – si elle ne se transforme pas en simple étiquetage stigmatisant bloquant les débats nécessaires dans des contextes complexes, sans précédents historiques. Il s’agit de modifier les rapports de forces et dynamiques vers les urgences globales anti-capitalistes à partir de situations où les forces réactionnaires sont à l’offensive et où bien des logiciels des gauches du XXème siècle sont devenus inadéquats.

La crise ukrainienne de 2014 de même que la crise yougoslave des années 1990 tout en étant marquées par des scénarios différents, s’inscrivaient dans un tel horizon brouillé. Ma critique des approches « campistes » n’a évacué ni les enjeux internationaux ni les confrontations immédiates dans l’espace yougoslave ou post-soviétique. Mais elle a mis l’accent sur des sociétés en pleine restructuration, leurs conflits sociaux et nationaux, le droit d’autodétermination des peuples [1]. Mais cela se transformerait en « formule » si l’on ne soulignait pas ses dimensions ouvertes, associées aux luttes elles-mêmes, dans des contextes et rapports de force donnés – là où se construisent historiquement les « peuples » et leurs « choix souverains ».

1°) Le campisme passé/présent – c’est-à-dire ?

Je partage largement les rappels historiques et la critique des exemples de campisme passé (du temps de l’URSS) et postérieur à 1989/91, évoqués notamment par Bernard Dréano (« Le campisme, une vision binaire et idéologique des questions internationales » [2]) et par Vincent Présumey – « ‘Campisme’ et réaction impérialiste contemporaine » [3]. Avec des histoires politiques différentes (et de possibles divergences conceptuelles sur l’analyse des sociétés dites socialistes) nous nous retrouvons dans le même réseau (ENSU) mettant l’accent sur la résistance ukrainienne – c’est ce qui nous différentie des autres visions qui, dans la gauche internationale, l’ignorent ou la relativisent, comme le souligne Vincent Présumey (VP).

« Campisme » : ce terme est à présent banalisé, car il désigne le problème principal que rencontrent les mobilisations en défense du peuple ukrainien dans le monde.
VP énumère ainsi plusieurs positions « campistes » :
L’idée selon laquelle la guerre de Poutine visant à la destruction de l’Ukraine serait justifiée par la pression exercée sur la Russie par l’OTAN, ou la représentation niant qu’elle est une guerre impérialiste visant à écraser une nation opprimée et serait directement une guerre entre puissances impérialistes, faisant de l’Ukraine un pur fantôme…

Sans avoir de désaccord avec ce qui est dit, je propose d’expliciter ainsi ce qu’est le campisme – en recouvrant ce faisant toutes les situations passées et présentes : cette démarche consiste a) à désigner un ennemi principal (impérialiste) – et b) face à lui, un autre « camp », progressiste parce que résistant à cet ennemi ; enfin, c) à mettre entre parenthèse (relativiser, dénigrer ou ignorer) les luttes sociales et contradictions du « camp progressiste ».

VP ajoute à son énumération une autre caractéristique du campisme que nous critiquons également ensemble :
La tendance à percevoir les ennemis lointains de nos ennemis immédiats comme des amis possibles est certes tout à fait explicable. Mais le campisme, qui s’en sert, est autre chose.

Ce résumé permet d’englober comme « campistes » d’une part la partie des gauches pour qui il n’existe en réalité qu’un seul impérialisme – étasunien (la Russie de Poutine étant un appui à la lutte contre lui), mais aussi ceux pour qui il existe réellement un impérialisme russe, mais « secondaire » ou encore allié possible contre l’ennemi principal ; ou encore ceux pour qui la guerre est – comme la Première guerre mondial – une lutte entre deux impérialismes qui doivent être renvoyés dos-à-dos et que l’on doit combattre, chacunE dans « son propre pays » : l’analyse concrète d’une guerre d’agression et d’une résistance du peuple ukrainien est occultée.

Dans ce contexte, VP a raison de dire que même les « ni, ni » débouchent de diverses manières sur le dénigrement de l’autonomie et du caractère non seulement légitime mais progressiste de la résistance ukrainienne. Les camarades d’Anticapitalistas tendent vers une telle position, même s’ils-elles soutiennent la gauche ukrainienne sur le plan des collectes (mais pas de l’envoi d’armes). Leur jugement se présente comme simplement « réaliste » contre toute « idéalisation » de la résistance : ils mettent alors l’accent sur la « guerre civile » qui divise l’Ukraine et les forces qui la domine, de droite pro-Otan ou d’extrême-droite – adoptant sous des formes plus soft la propagande poutinienne sur le Donbass [4]. Même si une agression « Grand Russe » est dénoncée, la lutte ukrainienne n’est possible qu’en étant instrumentalisée par les Etats-Unis. La livraison d’armes de pays de l’OTAN illustrerait dans cette optique une lutte inter-impérialiste exploitant « jusqu’aux derniers ukrainiens » – victimes donc et non acteurs et actrices dans ce conflit.

Une variante de cette position est évoquée par VP quant il ajoute à son énumération ceux qui basculent dans le campisme à cause de la crainte que les États-Unis, l’OTAN ou l’UE puissent tirer profit du soutien au peuple ukrainien.

Je suis d’accord de souligner que les diverses approches initialement énumérées par VP ont en commun de faire de l’Ukraine « un pur fantôme ». Et je partage également la critique des positions qui débouchent de fait (au nom des craintes évoquées) sur le refus de répondre positivement aux demandes d’armes (adressées aux pays membres de l’OTAN) et d’adhésion à l’UE venant du peuple ukrainien.

Mais encore faut-il ajouter qu’une telle crainte est légitime (et devrait nous interroger) – il faut qu’elle puisse s’exprimer (ce qui n’est pas facile en Ukraine et dans les pays proches de la Russie et menacés par elle). Mais nous ne devons pas nous transformer en idiots de l’OTAN et de l’UE – pire adhérer aux idéologies apologétiques sur leur défense de la démocratie et de la civilisation – cachant leurs pratiques et agendas hypocrites.

Autre chose est comment on exprime nos propres analyses critiques, sans renoncer à exiger une aide concrète de ces pays pour la résistance (armée et non armée) ukrainienne – et leurs aspirations à intégrer des cadres perçus comme protecteurs comparativement à ce que leur impose Poutine. Il ne s’agit donc pas de modifier notre plateforme et son axe.

Dans cette otique, je rappelle et remets à l’ordre du jour le court amendement que j’avais proposé dans le cadre de la plate-forme de consensus du réseau ENSU et qui s’insérait après les sept points de lutte immédiate en soutien à la résistance (armée et non armée) du peuple ukrainien dans l’optique de nos camarades de la gauche ukrainienne.

Dans la partie suivante (« au-delà » de ces points), je proposais d’ajouter l’amendement ici en gras :

Le danger d’agression militaire pour les pays de l’est de l’Europe ne vient pas de l’Otan impérialiste mais de la Russie. L’effet de la guerre lancée par Poutine (et des menaces pesant sur la périphérie de la Russie via l’OTSC – Organisation du Traité de Sécurité collective) est donc actuellement de renforcer l’Otan et la militarisation de l’UE dans cette région du monde.
Comprendre cette réalité immédiate en Europe renforce l’exigence commune d’une critique radicale du militarisme, de tous les blocs militaires et des politiques économiques qui les soutiennent.
C’est pourquoi, au-delà de l’urgente solidarité avec le peuple ukrainien, nous luttons aussi, en lien avec les courants qui partagent ces objectifs en Ukraine et en Russie :

8. Pour un désarmement nucléaire global. Contre l’escalade militaire et la militarisation des esprits.
9. Pour le démantèlement des blocs militaires
10. Pour que toute aide à l’Ukraine échappe à l’emprise et aux conditions d’austérité du FMI ou de l’UE
11. Contre le productivisme, le militarisme et la concurrence impérialiste pour la puissance et le profit qui détruisent notre environnement et nos droits sociaux et démocratiques.
Tel est le cadre dans lequel je propose de rester, en l’explicitant. A défaut de quoi nous basculerions dans un défaut propre au campisme = se taire sur les adversaires de l’impérialisme russe agresseur du peuple ukrainien – le régime de Kiev, l’OTAN, l’UE…

Plusieurs distinctions s’imposent :

1- Toute agression impérialiste et néo-coloniale et la défense de son droit de légitime défense et d’auto-détermination s’imposent aux internationalistes – quel que soit le gouvernement qui le dirige et les choix dominants. Mais cela n’implique pas qu’ils s’abstiennent d’évaluer et critiquer ces choix et de se battre pour imprimer une orientation progressiste à la lutte de libération nationale et sociale.

C’est en pratique ce que font nos camarade de la gauche ukrainienne. et que soutient notre plate-forme. Celle-ci rejette tout conditionnement des aides apportées (de toutes sortes) par des choix et critères de politiques économiques anti-sociaux ; elle associe la résistance et sa cohésion à une lutte démocratique. Notre conviction est que la consolidation de masse de la souveraineté populaire de l’Ukraine impose la critique, avec nos camarades de Sotsialny Rukh, de toute limitation des libertés syndicales et des droits sociaux (menace de loi-anti-travail) et toute limitation des libertés de débats idéologiques, historiques, éthiques (loi et politique de décommunisation) : comme l’a exprimé la déclaration adoptée à la fin de notre rencontre des 4-8 mai à Lviv, la victoire contre l’offensive guerrière et criminelle de Poutine et la reconstruction de l’Ukraine est impossible sur la base d’une société qui protège ses oligarques et non la grande masse de ceux et celles qui sont mobilisées – les travailleurs – hommes et femmes. La destruction des services publics – ces chemins de fer, ces hôpitaux littéralement vitaux pour résister aux désastres de cette guerre – affaiblit la résistance populaire. De même, notre conviction est que la résistance populaire de masse à la guerre de Poutine ouvre une phase sans précédent d’affirmation d’une identité ukrainienne qui s’impose au monde entier dans sa dignité et sa force. Mais elle se consolidera par la libre et pluraliste appropriation collective des pages noires de l’histoire passée – écrites par l’empire russe, les forces nazies ou la politique stalinienne. La victoire de Poutine verrait au contraire l’affirmation d’une ukrainité exclusive et raciste.

2- Le soutien à la lutte (armée et non armée) du peuple ukrainien – contre tout basculement vers une guerre mondiale inter-impérialiste n’empêche pas de dénoncer l’immense écart entre l’aide distribuée et les budgets militaires réels, ainsi que leurs finalités autres que le soutien à l’Ukraine : derrière cet écart, nous devons analyser les agendas et politiques de l’OTAN, dénoncer les idéologies « civilisatrices » ainsi que les intérêts des industries d’armements et des Etats impérialistes [5].

3- La dénonciation du maintien et de l’extension de l’OTAN comme bloc militaire du monde bipolaire – alors que le Pacte de Varsovie était démantelé en 1991 – n’impose nullement d’adhérer à la thèse que la guerre de Poutine est une guerre défensive d’une Russie menacée par l’OTAN.

On peut au contraire démontrer aisément 1°) que Poutine a construit son projet à partir d’une idéologie et motivation Grand-russe de remise en cause de la construction « léniniste » d’une Ukraine (et Bielorussie) indépendante ; 2°) que Poutine a déterminé la date de son offensive guerrière non pas en fonction d’une « menace » contre la Russie venant de l’OTAN, mais au contraire d’un constat (en 2021) de la crise de l’OTAN – (« en mort cérébrale » disait Macron) après le retrait d’Afghanistan d’une part et dans le contexte de divisions majeures entre Etats-Unis et UE et au sein de l’UE entre Allemagne, France et nouveaux membres d’Europe de l’Est.

On peut également discuter les comparaisons souvent faite entre la crise des missiles de Cuba en 1962 et l’extension de l’OTAN vers les frontières de la Russie en reprenant les arguments de Taras Bilous, membre de l’association Sotsialny Rukh à ce sujet [6] : la crise de 1962 « est née du déploiement de missiles nucléaires soviétiques à Cuba et s’est terminée par leur démantèlement en échange de garanties américaines de non-agression contre Cuba et du retrait des missiles américains de Turquie ». Or, ajoute Bilous, en Ukraine, « il n’y a pas de missiles américains dotés d’ogives nucléaires. Même la participation à l’OTAN n’implique pas nécessairement le déploiement de missiles – à cet égard, l’exemple de la Norvège, qui était le seul pays de l’OTAN à partager une frontière avec l’URSS pendant la guerre froide et qui se méfiait donc de placer des missiles sur son territoire, est assez parlant ». En outre, ajoute-t-il pour montrer que les objectifs russes n’étaient pas défensifs, « les États-Unis, tout en rejetant l’opposition de la Russie à l’élargissement de l’OTAN, ont parallèlement proposé de nouveaux accords de contrôle des armements que les dirigeants russes ont rejetées comme étant « secondaires ». Ce faisant, Poutine « a montré que sa préoccupation première n’était pas la sécurité, mais son désir de voir l’Ukraine revenir sous contrôle russe, ou du moins la conquête de nouveaux territoires ukrainiens ».

4- Ce n’est pas l’extension de l’OTAN et de l’UE (largement en crise) qui aurait « produit » un nationalisme russe (réactif). Par contre, souligne Bilous elle a suscité une « transformation du chauvinisme grand-russe » (ayant sa propre histoire et logique san rapport avec l’OTAN) : « Lorsqu’il est devenu évident que le pays n’occuperait pas une position aussi privilégiée dans le nouvel ordre international que le souhaitaient ses élites, celles-ci ont manifesté un désir croissant de réévaluer leur participation à cet ordre » – par une politique d’expansion guerrière.

5- L’ère Poutine (à partir du tournant des années 2000) a marqué la reconstitution d’un Etat fort au plan interne (contre les oligarques), régional et international. Ces transformations produisent (aux Etats-Unis comme en Russie) le passage d’un « partenariat pour la paix » avec l’OTAN à une « nouvelle guerre froide ». Poutine adopte une logique de rapport de force et de partage de « sphères d’influence » – l’Union économique eurasiatique face à l’UE et à son « partenariat oriental » (à partir de 2009) ; à partir de 2003 la mise en place de l’OTSC (Organisation du traité de sécurité collective) souhaité par le Kazakstan – et qui se présentera comme mini OTAN, face à l’extension de celle-ci mais aussi face à ce qui est désigné comme « révolutions de couleurs » (soulèvements populaires anti-corruption, financés et instrumentalisés par les Etats-Unis) redoutées par les pouvoirs autocratiques russes et ses alliés post-soviétiques.

Mais la vision poutinienne de tout mouvement contestataire comme « pion » de l’étranger et toute révolution embryonnaire comme « révolution de couleur », pénètre aussi de façon désastreuse au sein d’une partie de la gauche : ses divisions face à Maidan (en Ukraine et au plan international reflètent aussi l’absence d’analyse concrète tant du Maidan que de l’anti-Maidan – des différences entre l’Ukraine de 2004 (révolution de couleur) et celle de l’après-Maidan où se démontre la défiance manifeste populaire envers tous les partis politiques – y compris « proUE » ou pro-OTAN, sans parler des échecs des forces d’extrême-droite.

6- Si l’OTAN n’est pas « cause » de la guerre, celle-ci produit l’imprévu – aux antipodes des pronostics de Poutine (et des Etats-Unis) : a) Zelensly refuse d’être exfiltré et de transforme en dirigeant efficace d’une résistance populaire qui est seule cause de l’échec premier rencontré par Poutine : il n’y a pas eu chute de Kiev et il ne dispose pas d’un Pétant pour remplacer Zelensky – outre que celui ci illustre bien mal la thèse d’un pouvoir fasciste et anti-russe. b) la guerre de Poutine a permis une consolidation (provisoire ?) de l’OTAN perçu dans les pays proches de la Russie comme une protection face à un danger concret. Et c) la popularité de la résistance ukrainienne – et dans un contexte raciste, – sa « blanchité » aut à la population ukrainienne d’être accueillie comme « européenne ». Nous devons nous appuyer sur toute avancer dans l’accueil des migrants pour exiger son application réelle et son extension aux réfugiés et migrants de toutes les guerres.

7- La question de l’OTAN – pacte militaire de la guerre froide et enjeu mondial – doit être distinguée de l’aide à la résistance armée et non armée ukrainienne dans chaque pays ;de plus l’OTAN n’’est pas l’UE. Cette distinction a été mise en pratique à juste titre par Zelensky. Nous devons l’affirmer tout en ayant notre propre argumentation – aux antipodes de toute apologie d’un « européeisme » civilisé contre des « non-Européens » barbares qui seraient critiques et non membres de l’UE.

8 – Nous devons developper de façon concrète – notamment en exigeant l’annulation de la dette extérieure de l’Ukraine – la critique des pseudo ouvertures de l’UE à la « candidature » de l’Ukraine et des réponses de « substitution » proposées.
a) Avec nos camarades d’Ukraine et de tous les pays membres ou pas de l’UE, candidats ou non à l’adhésion, nous devons développer un débat sur les critères et priorités concrètes économiques, sociaux et démocratiques que nous défendons pour des relations égalitaires sur l’ensemble du continent européen(et entre lui et le reste du monde). Ces positions peuvent être défendues et accompagnées de campagne concrètes, à la fois contre l’UE et ses « partenariats » de libre-échange concurrentiels, et contre des critères analogues de l’Union économique eurasiatique.
b) En tout état de cause, notre critique radicale des Traités et politiques de l’UE n’empêche pas d’en être membre : il s’agit d’un choix qui dépend de l’analyse concrète des moyens de défendre des droits concrets selon la position que l’on occupe sur le continent et face au reste du monde. En aucun cas notre critique de l’UE ne doit être un « veto » – provenant de surcroît de militantEs de pays riches et en paix – contre une demande d’adhésion formulée par un quelconque peuple de l‘Europe. Dans tous les cas il s’agit de construire les meilleures conditions de rapport de force pour défendre des droits et donc de liens avec d’autres forces de gauche et syndicales – des droits sociaux- économiques et politiques dans/contre même si nous en critiquons les traités, politiques et institutions : Dans tous les cas nous reconnaissons le droit de tout pays à organiser.
c) Une telle orientation valable dans/hors l’UE en critique de ses actuels traités – doit englober les grands enjeux soulevés par la guerre en Ukraine -notamment ceux de l’urgence de la transition énergétique mais aussi des rapports égalitaires entre peuples de tout le continent et une autre conception de la « sécurité ». Même si nous n’attendons pas des lendemains de guerre pour en débattre et agir dans ce sens, cette orientation ne peut s’abstraire de la situation immédiate marquée par le pouvoir et la politique d’agression de Poutine.

9 – Concernant l’OTAN

a) La dénonciation des pactes de la guerre froide (OTAN et Pacte de Varsovie) s’est toujours accompagnée d’une critique de la notion de « sphères d’influence » partagée entre « grandes puissances, dans le dos des peuples. Chacun des pôles du monde dit « bi-polaire » était traversé de luttes sociales, politiques démocratiques radicales. Pas plus hier (contre l’intervention soviétique en Hongrie ou Tchécoslovaquie), nous n’adhérons à cette logique de « sphère d’influence. La dissolution de l’OTAN aurait du accompagner celle du Pacte de Varsovie. Le redire n’implique ni de faire de l’OTAN la « cause » et légitimation de la guerre de Poutine ni de renoncer à la critique de son maintien et à l’analyse concrète de ce que furent les moteurs de son extension – les choix des Etats-Unis en 1991, et dans leur exploitation de la crise yougoslave, hors de toute procédure transparente et démocratique.

b) L’exploitation par les Etats-Unis de la dissolution de l’URSS s’est accompagnée d’un soutien explicite de la sale guerre menée par la Russie de Eltsine puis de Poutine en Tchétchénie – et par une logique de « partenariat pour la paix » incluant la Russie, contre la « guerre au terrorisme » où chaque nouvelle ou ancienne puissance impérialiste a déployé ses propres initiatives guerrières camouflant les intérêts géo-politiques et économiques et son industrie d’armement.
c) Dans tous les conflits, notre axe est le soutien aux droits et révoltes des peuples – quelle que soit la puissance régionale ou mondiale qui les opprime et tue. C’est vrai en Syrie, en Israël ou en Ukraine. Notre indépendance envers tout gouvernement – en Ukraine, dans ou au-delà de l’UE, comme aux Etats-Unis ou en Russie) s’accompagne d’une indépendance et critique vigilante contre toutes les propagandes de guerre et de « civilisation » néo-coloniales.

d) Une alternative sécuritaire aux guerres existantes et à la militarisation des blocs doit être réfléchie et préparée dès aujourd’hui. Le texte cité (note 6) de Taras Boulas exprime à sa façon notre difficulté : « il est possible d’affirmer que l’OTAN est un phénomène contradictoire qui, d’une part, sert de couverture à l’impérialisme américain et, d’autre part, est un instrument de protection pour de nombreux petits pays ». De même, ajoute-il, « l’OTSC est une couverture pour l’impérialisme russe et a récemment été utilisée pour réprimer un soulèvement populaire au Kazakhstan, mais sert de protection à une Arménie relativement démocratique ». Et il en conclut : « Reconnaître ce fait ne fait pas de vous un partisan de l’impérialisme américain ou russe ». Il prône de désigner les pays (ici les Etats-Unis, là la Russie ou la Turquie, etc.) qui décident des guerres plutôt que les institutions qu’ils utilisent plus ou moins. Mais il questionne : « Cela signifie-t-il que la gauche aurait dû soutenir l’expansion de l’OTAN ? Non. » Il souligne en critique d’une telle extension, si elle a été perçue comme augmentant la sécurité de certains pays, « a nui à celle de l’Ukraine ».

e) Nous devons mettre en commun – à partir d’histoires et de situations différentes, l’analyse critique de l’OTAN et de son bilan négatif : le choix du maintien de l’OTAN date de 1991. Il fut une décision unilatérale des Etats-Unis – qui n’a rien à voir avec des demandes émanant de nouveaux pouvoirs en place en Europe de l’Est au cours de la décennie suivante. Sans entrer dans les détails, ce choix releva de la volonté d’insérer l’Allemagne unifiée dans ce cadre, mais aussi de contrer les politiques de construction d’une « Maison commune européenne » (prônée par Gorbatchev et Mitterand) ou encore d’entraver la construction de l’Union européenne (UE) comme projet politique autonome. En outre, c’est encore un choix des Etats-Unis qui ont, en 1999 forcé à une « opération militaire » de l’OTAN qui s’est transformée en guerre sans mandat de l’ONU ni aucun vote des parlements des pays concernés – plaçant l’OTAN au bord de l’explosion – avec une guerre fort impopulaire dans les sociétés d’Europe de l’est et des Balkans. Dans la décennie 2000 les « partenariats » pour la paix se sont transformés en adhésions et nouvelle guerre froide – dont les ressorts du côté russe et états-uniens doivent être analysés concrètement [7].
f) Il n’est pas plus convaincant de nier la réalité d’une « question albanaise » non résolue au nom du fait que les Etats-Unis (à la tête de l’OTAN) ont exploité le conflit du Kosovo pour leur propre agenda que de nier la réalité de la question nationale ukrainienne – pour des raisons analogues. Dans les deux cas, les résistances populaires ont évolué et ont tiré (tireront) des leçons de leurs nouvelles dépendances. Les dénigrer à cause de l’aide qu’elles ont cherché en exploitant à leur tour les conflits entre grandes puissances ne doit pas en faire des « peuples sans histoire » (ou pire « réactionnaire » dans leur essence parce que « sans Etat » ) – comme le critiquait le marxiste ukrainien Roman Rosdolsky contre une formule et des positionnements initiaux d’Engels ou Marx. Le mise à plate des débats sur la combinaison des questions nationales, sociales et politiques d’un point de vue internationaliste fait partie des tâches urgentes pour mieux comprendre les enjeux immédiats et stratégiques de la question ukrainienne – et des unions socialistes de peuples libres que nous voulons construire contre les relations de domination, les guerres et les blocs militaires de l’ordre mondial existant.

g) Nous devons constater malheureusement que la guerre de Poutine conforte dans l’immédiat en Europe les Etats-Unis et leur rôle dans l’OTAN. Mais ceci est précaire (les divisions et intérêts conflictuels entre Etats-Unis et Allemagne, France, Turquie pays du Caucase ou d’Europe de l’Est subsistent, majeurs). Nous ne pouvons prévoir l’issue de la guerre – et refuser que les conditions d’une « paix » juste et durable échappent au peuple ukrainien. Nous devons analyser avec nos camarades e la gauche politique et syndicale ukrainienne – mais aussi de Biélarus, de Russie et des pays voisins, les effets concrets de la guerre et des sanctions. L’OTAN est une construction de la guerre froide qui doit disparaître – ainsi que toute politique hégémoniste des Etats-Unis. Il est normal que ces politiques et réalités soient perçues différemment dans les différentes régions du monde ; et on doit comprendre que tant qu’existe en Russie un pouvoir menaçant pour ses voisins, l’OTAN soit perçu comme cadre protecteur.

En tout état de cause, même si nous sommes incapables de dire quand et comment il sera possible de dissoudre l’OTAN il est certain qu’un tel mot d’ordre est inaudible et impraticable s’il n’est pas accompagné d’une dissolution de l’OTSC – et globalement des pouvoirs d’intervention militaire de toute puissance dans la vie politique d’une autre.

h) L’appel à des aides internationales et contrôle de gestion d’accords de cessez-le-feu doit donc impliquer nécessairement des pays relativement indépendants des puissances militaires dominantes.

i) C’est au plan international, et donc nécessairement vers une autre ONU (ou sa réforme radicale) comme le suggère justement Taras Bilous, qu’il faut porter la réflexion sur une alternative sécuritaire

Pour la gauche ouest-européenne des dernières décennies, s’il y avait une alternative à l’OTAN, c’était l’idée d’un système de sécurité internationale commun qui engloberait « l’Ouest » et « l’Est » après la fin de la guerre froide. Mais si cette idée avait du sens dans les années 1990, elle semblait déjà irréaliste après 2008 et encore plus après 2014. Pour une raison que j’ignore, cependant, ces militants de gauche ont obstinément ignoré le fait que la Russie, qui au début des années 1990 préconisait un rôle accru pour l’OSCE, est ensuite devenue le principal opposant à la réforme et au renforcement de l’OSCE. Une autre partie de la gauche européenne, notamment l’alliance de gauche polonaise Lewica, propose un système de sécurité européen comme alternative à l’OTAN – une armée commune, un bouclier antimissile, une politique énergétique, etc. Un tel système aiderait les membres de l’UE mais pas ceux qui sont en dehors de l’UE. Au contraire, ce projet comporte des menaces de « forteresse Europe » (on pourrait dire la même chose de l’idée précédente). Par conséquent, la priorité doit être donnée à un système de sécurité mondial.

j) Il faut oeuvrer à des relations (politiques, syndicales, féministes…) par en bas en appui aux résistances contre les agressions impérialistes pour incarner même en pointillé des alternatives en construction, mais aussi s’emparer des peurs justifiées de guerre et d’embrasement nucléaire pour des campagnes en faveur des traités de non-prolifération et de remise en cause des armes nucléaires et contre la logique d’ une « économie de guerre ».

Catherine Samary http://csamary.fr

[1] Cf. « Quel internationalisme dans le contexte de la crise ukrainienne ? Les yeux grands ouverts contre les ‘campismes’borgnes’ ». Voir également sur mon site http://csamary.fr les articles sur le désordre mondial et notamment la crise du Kosovo et la guerre de l’OTAN ou le « ni, ni » était construit sur la base de la reconnaissance de l’autodétermination des Albanais du Kosovo – et des enjeux oppresseurs (s situant dans des espaces-temps différents) portés par le pouvoir serbe de Milosevic et par l’OTAN.
[2] cf. ESSF 14 avril 2018, http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article45673 et le 21 mai 2019 http://europe-solidaire.org/spip.php?article50195 A propos de la gauche latino-américaine et du ‘campisme’
[3] Arguments pour la lutte sociale (Aplutsoc) https://aplutsoc.org/2022/04/27/campisme-et-reaction-imperialiste-contemporaine-vp/
[4] Lire à ce propos les réponses des camarades de Sotsialny Rukh, notamment Taras Boulas et le texte de Michael Karadjis https://mkaradjis.com/2022/06/16/on-the-fantastic-tale-that-the-ukrainian-army-killed-14000-ethnic-russians-in-donbas-between-2014-and-2022/
[5] Cf. par exemple ce texte de Gilbert Achcar : https://jacobinmag.com/2022/04/arms-weapons-manufacturers-ukraine-war-military-spending
[6] https://www.contretemps.eu/guerre-ukraine-securite-internationale-gauche/ Taras Bilous est historien, militant du groupe Sotsialnyi Rukh (Mouvement social) et rédacteur du magazine ukrainien de gauche Commons. Il a grandi dans la région du Donbas, en Ukraine.
[7] Voir les écrits de Gilbert Achcar à ce sujet – et sur mon site l’analyse des conflits dans les Balkans et en Georgie.

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