Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Débats : quel soutien à la lutte du peuple ukrainien ?

Guerre en Ukraine

De quel côté sommes-nous ?

Il y a quelques jours, le site des Socialistes démocrates d’Amérique (DSA) a publié mon article sur mon voyage en Ukraine sous le titre « Notes de Kiev : de quel côté sommes-nous ? ». Désormais, DSA a répondu à cette question en retirant l’article de son site web à la suite d’une décision de son comité politique national.

Alors que je me promenais dans Kiev par une belle matinée ensoleillée du début du mois de septembre, j’ai remarqué les échafaudages sur les places de la ville. Les statues étaient recouvertes pour les pro- téger des dommages causés par les bombes. Plus tard, j’ai vu une statue sans aucune protection – un mémorial couvert de graffitis à la mémoire d’un général de l’Armée rouge dont personne ne se souvenait du nom. On m’a dit que cette statue avait été recouverte d’un échafaudage de protection avant la guerre mais que celui-ci avait été enlevé lorsque la guerre a éclaté. On espérait que les bombes russes résoudraient le problème du devenir de cette relique du régime soviétique.

On ne peut pas comprendre la guerre en Ukraine sans connaître son histoire. Cela m’est apparu très clairement lors d’une conversation avec Olesia Briazgounova, qui travaille pour l’une des deux centrales syndicales nationales d’Ukraine, la KVPU (Confédération des syndicats libres d’Ukraine). J’ai alors suggéré que je voyais des similitudes entre la situation en Ukraine aujourd’hui et la guerre civile espagnole.

Olesia m’a interrompu sur-le-champ et m’a demandé s’il y avait eu un génocide en Espagne. J’ai répondu par la négative. Elle m’a dit : « Eh bien, il y a un génocide ici : les Russes essaient d’anéantir la nation ukrainienne depuis très longtemps ». J’ai pensé à la famine terroriste organisée par Staline au début des années 1930, que les Ukrainiens appellent l’Holodomor et qu’ils considèrent à juste titre comme un acte de génocide délibéré. Elle n’avait pas tort.

À Kiev, l’histoire est omniprésente. On l’entend dans les conversations, on la voit dans les noms de rue et on la respire dans l’air. Le Centre de solidarité, qui est le projet mondial de l’AFL-CIO en matière de droits des travailleurs, est situé dans une rue qui portait autrefois le nom de l’Internationale communiste de Staline. La rue a été rebaptisée en l’honneur de Symon Petlioura, un dirigeant de la République populaire d’Ukraine et une figure très controversée de l’histoire du pays.

En plus de renommer des rues liées à l’Union soviétique, la ville semble également vouloir se débarrasser d’une grande partie de son histoire russe. À un moment donné, Google Maps m’a indiqué la rue Pouchkine. Mais cette rue n’existe plus.

Lorsque j’ai interrogé Georgiy Troukhanov, le dirigeant du syndicat des enseignants ukrainiens, qui compte 1,2 million de membres, sur leurs relations avec le syndicat des enseignants russes, il m’a dit que les enseignants russes étaient en partie coupables. « Coupables de quoi ? », ai-je demandé. « Tous les soldats russes qui se battent actuellement en Ukraine ont étudié dans des écoles russes. On leur a appris à être ce qu’ils sont devenus : des tueurs et des violeurs. »

La guerre a uni la société ukrainienne comme jamais auparavant. Les syndicats se sont engagés à fond. Le président du FPU, Grygorii Osovyi, m’a dit que 20% des membres des syndicats ukrainiens servaient désormais dans les forces armées. Georgiy Troukhanov m’a expliqué que les enseignants ne pouvaient pas être enrôlés car ils sont considérés comme des travailleurs essentiels : des milliers d’entre eux se sont donc portés volontaires.

J’ai parlé avec de nombreux dirigeants syndicaux de la situation dans ce que les Ukrainiens appellent les « territoires temporairement occupés ». Les occupants russes ont banni la langue ukrainienne des salles de classe. De nombreux travailleurs ont fui ces territoires et les syndicats font un travail remarquable pour les aider, en collectant de l’aide, en fournissant des logements et bien d’autres choses encore. Les bureaux des syndicats que j’ai visités étaient pleins de cartons d’aide, notamment de bâches en plastique pour remplacer les fenêtres détruites par l’artillerie russe. Mykhailo Volynets, ancien mineur et chef du KVPU, m’a dit qu’il y avait un besoin urgent de bandages.

Au milieu des horreurs de la guerre, il y a parfois des nouvelles très positives. Un militant LGBTQI m’a expliqué comment Poutine avait instrumentalisé l’homophobie en Russie, notamment en faisant circuler des rumeurs selon lesquelles le président ukrainien Volodymyr Zelensky et d’autres dirigeants étaient homosexuels. Pendant ce temps, en Ukraine, l’opinion publique a énormément évolué en ce qui concerne les personnes LGBTQI, dont beaucoup servent au front [1]. Il s’agit d’une région du monde où l’homophobie est endémique, voire violente, comme nous l’avons vu dans des pays comme la Géorgie. Mais en Ukraine, la guerre a contribué à faire évoluer les mentalités de manière positive.

J’ai parlé avec des socialistes ukrainiens, avec de jeunes travailleurs qui organisent des messageries, avec des travailleurs de l’aviation et des chemins de fer. J’ai été interrogé par des femmes membres du syndicat des travailleurs de l’énergie nucléaire, qui restent à leur poste dans la plus grande centrale nucléaire d’Europe, à Zaporijjiia, aujourd’hui sous occupation russe.

Le message que j’ai reçu de tous n’aurait pu être plus clair : le mouvement syndical et la gauche d’Ukraine s’opposent totalement à l’invasion russe. Ils souhaitent et attendent la solidarité du mouvement ouvrier et de la gauche d’autres pays. Ils apprécient énormément les gestes de solidarité tels que les visites de syndicalistes de premier plan, dont Randi Weingarten, présidente de la Fédération américaine des enseignants, et les dons des syndicats, qui vont de générateurs à des pansements indispensables.

Malgré les différences, je continue à considérer ce conflit comme la guerre civile espagnole de notre époque. Les nombreux jeunes hommes et femmes qui sont venus en Ukraine pour participer à la lutte sont une source d’inspiration, comme l’étaient les Brigades internationales il y a 90 ans. La République espagnole a été vaincue en grande partie parce que de nombreuses démocraties ne sont pas venues à son secours, alors que les fascistes étaient pleinement soutenus par l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste. La même chose va-t-elle se produire en Ukraine ?

Le régime de Poutine est fasciste et la guerre contre l’Ukraine est une guerre illégale et impérialiste. L’Ukraine n’est pas une société parfaite et son gouvernement n’est pas un gouvernement parfait. La République espagnole ne l’était pas non plus. Mais dans la lutte contre le fascisme, nous devons nous demander, pour paraphraser la vieille chanson « Which Side Are You On ? » [2], de quel côté es-tu ?

[1] Voir « Le syndicat des LGBTQIA+ en uniforme », Soutien à l’Ukraine résistante n°20 ; « Le syndicat des LGBTQIA+ en uniforme, vient de publier la liste des unités des forces armées ukrainiennes où il a des membres », Soutien à l’Ukraine résistante, n° 22.
[2] NdT : chanson écrite en 1931 par Florence Reece pendant la grève des mineurs de Harlan (Kentucky). Elle a notamment été interprétée par Pete Seegers.

Eric Lee

Eric Lee est le rédacteur de LabourStart, le site d’information et de campagne du mouvement syndical international. On peut lire ses articles sur l’Ukraine sur LabourStart.org. Cet article, déprogrammé par DSA, a été publié par New Politics le 29 septembre 2023. Traduction : Patrick Silberstein.
Publié dans Les Cahiers de l’antidote : Soutien à l’Ukraine résistante (Volume 25)

https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/11/09/garder-le-cap/
https://www.syllepse.net/syllepse_images/soutien-a—lukraine-re–sistante–n-deg-25.pdf

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