On a beaucoup parlé de la Catalogne, mais quelle est la situation au niveau de l’État central, notamment concernant les affaires de corruption ?
Le procès Gürtel touche directement Rajoy, Barcenas [ancien trésorier du PP] et compagnie, mais la réaction nationaliste espagnole est si forte qu’elle réussit à éclipser cette question.
Selon les sondages, la droite la plus dure se renforce : Ciudadanos pourrait prendre un million de voix au Parti populaire. Or avec la crise catalane, Ciudadanos s’est placée à la droite du PP, réclamant dès le début l’application de l’article 155, définissant le référendum comme un « coup d’État », et développant un nationalisme encore plus exacerbé que celui du PP.
Il y a aussi une différenciation générationnelle. La vieille génération, qui vient de la dictature, est très fidèle au PP. Mais les jeunes se tournent vers Ciudadanos. Au départ, ça paraissait plus moderne, macroniste, mais cela bascule de plus en plus vers l’extrême droite. Cela mélange le nationalisme espagnol et le libéralisme à outrance. Le seul ingrédient qui manque pour devenir réellement d’extrême droite, c’est la question du racisme, où Ciudadanos maintient un discours « mainstream », pas aussi radical que le Front national.
La crise politique est étouffée par le nationalisme, mais pourrait-elle revenir rapidement ?
Le résultat de la crise catalane est la fragilisation du système politique espagnol, car la formule de gouvernement tripartite monarchiste est usée. Mais si Ciudadanos devient troisième force, devant Podemos, cela changera. Il pourrait y avoir un gouvernement PP-Ciudadanos avec la majorité absolue, sans avoir besoin du PSOE. Aznar, depuis longtemps, se bat au sein de la droite face à Rajoy pour un rapprochement avec Ciudadanos. Et le PSOE n’a plus beaucoup d’espace, de marge au sein du système.
Quelle est la situation dans les -régions ouvrières ?
La montée réactionnaire est forte dans le sud et dans le centre, dans les villages. Dans les villes, les progressistes sont sur la défensive, et Podemos et nos camarades sont victimes des attaques du PSOE et du PP. En Andalousie, le sentiment unitariste est très fort et il est difficile de défendre le mouvement catalan. Notre mot d’ordre de République catalane dans un État confédéral reste propagandiste : le mouvement républicain est faible, seul Podemos défend la République et il est la première victime de cette crise, perdant 3 ou 4 points dans les sondages.
L’élection du 21 décembre en Catalogne peut-elle changer la situation ?
Hélas, les partis dominants vont chercher un compromis. Les menaces d’une intervention armée de la part de l’État, la menace qu’il y ait des morts, leur permettent de justifier leurs reculs. Les partis qui soutiennent le 155 crient à la calomnie, mais il est clair qu’un plan existait, qui a été révélé par la presse, pour prendre d’assaut le Parlement catalan. La Guardia Civil et les corps d’élite avaient un plan d’intervention avec des hélicoptères, et même une arrivée souterraine.
Quel bilan de vos élus et de votre intervention dans Podemos à la veille du congrès d’Anticapitalistas ?
L’aspect positif, c’est une obligation à se poser des problèmes concrets, pas seulement de la propagande. Cela a permis de nouveaux liens avec les mouvements sociaux, de nombreux contacts par le biais de Podemos avec le mouvement ouvrier.
Mais il y a la dynamique de la vie des institutions bourgeoises, une perte d’énergie et de temps. La force d’intégration des institutions bourgeoises est très forte. On verra dans la prochaine période si cela permet de créer un nouveau parti plus à gauche ou si ça nous bloque.
En tout cas, comme l’explique Daniel Bensaïd dans Stratégie et parti, le travail de masse, le contact avec la population, le « peuple de gauche », te donne une connaissance des mouvements sociaux beaucoup plus importante que lorsque tu maintiens seulement un groupe propagandiste isolé pendant des années.
La qualité des militants que tu gagnes dans ce type de mouvement est très importante. En Catalogne par exemple, on gagne des militants ouvriers, intégrés dans des villes ouvrières. Nous apparaissons comme le seul courant qui n’est pas là pour prendre des postes, qui est à la fois radical et non sectaire.
Notre tâche maintenant est de mettre en place un travail ouvrier et syndical plus centralisé, avec l’élaboration d’une orientation. Nous avons commencé un travail de recrutement dans la jeunesse, et maintenant il nous faut avancer dans l’intervention ouvrière. Sinon, nous serons bloqués par Podemos. Nous devons, sans perdre nos positions à l’intérieur, déplacer notre centre de gravité et relancer l’apparition propre d’Anticapitalistas. Il faut éviter la « politique politicienne » et construire le travail politique propre vers les masses. C’est l’enjeu de la prochaine période.
Propos recueillis par Antoine Larrache
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