Édition du 10 décembre 2024

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Catalogne

Le verdict catalan : police vs politique

En Espagne, la Cour suprême vient de condamner pour sédition les organisateurs catalans du référendum pour l’indépendance du 1er octobre 2017. Les peines sont très lourdes : de 9 à 13 ans de prison ferme. À ce texte écrit à la veille du verdict, pour la presse catalane (Ara) et espagnole (Ctxt), il n’y a rien à changer : tout était joué d’avance – au nom de la Constitution, contre la démocratie.

Tiré du blogue de l’auteur.

« Prisonniers politiques » : dois-je le dire en français ? Car, en Espagne, je ne suis pas sûr d’avoir le droit de nommer « presos políticos » (ou « presos polítics », en catalan) les hommes politiques qui viennent d’être condamnés à Madrid par la Cour suprême (Tribunal Supremo), en raison de leur action politique en Catalogne. La Commission électorale (Junta Electoral) a en effet estimé que ces mots (tout comme « exilés ») sont partisans, et donc contraires à la neutralité politique. C’est pourquoi ils sont bannis des médias du service public pour évoquer ce que pourtant il faut bien appeler un jugement politique, venant conclure un procès politique. Sinon, comment aurais-je pu écrire ce texte avant même le verdict, en sachant d’avance que celui-ci correspondrait précisément aux vœux exprimés par le parti au pouvoir – à savoir une condamnation pour sédition ?

Refuser de reconnaître le caractère politique du référendum du 1er octobre 2017, et de la répression policière puis judiciaire qui s’est déployée en réaction, c’est sacraliser la Constitution, et donc la soustraire à la politique démocratique. Or refuser la politique, c’est choisir la police. Pourtant, la répression judiciaire n’était pas l’unique option. L’État espagnol aurait pu considérer que le référendum était nul et non avenu. Un acte performatif qui n’est pas autorisé n’a pas d’effet : si je prononce un mariage sans en avoir l’autorité légitime, ma parole reste lettre morte. Qualifier le référendum de sédition, c’est au contraire en proclamer l’efficacité. D’ailleurs, la lourdeur des peines dit bien la peur des autorités : elles sont comparables à celles prononcées contre la « Manada », la « meute » de violeurs à Pampelune – de 9 ans en première instance à 15 ans par cette même Cour suprême. Dire que la Constitution a été violée, c’est donc reconnaître ce référendum comme une action politique – au moment même de le nier.

Et si, au lieu de sédition, on parlait de « désobéissance civile » ? C’est ainsi que les minorités peuvent tenter de se faire entendre des majorités sans recourir à la violence. Condamner si lourdement la désobéissance civile, c’est faire un pari dangereux. Sans doute l’État espagnol espère-t-il la soumission catalane ; mais ne risque-t-il pas au contraire d’encourager la violence en retour ? Il faudra bien l’admettre un jour : pour la démocratie, la politique est moins dangereuse que la police.

Eric Fassin

Sociologue, Université Paris-VIII

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