Édition du 16 avril 2024

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États-Unis

Etats-Unis : En quête de nouvelles formes de politique électorale indépendante

Le mécontentement face au statu quo politique s’est manifesté diversement ces derniers temps aux USA, d’abord au sein des principaux partis politiques, mais pas seulement.

A droite, le Tea Party est devenu une force significative chez les républicains. A gauche, le plus frappant a été l’an dernier la victoire écrasante (à 73,3 contre 24,3 %) du démocrate Di Blasio aux élections à la mairie de New York. Lassés du milliardaire républicain Bloomberg, septième fortune des USA, qui servait les riches aux dépens des pauvres, les New-Yorkais ont voté Di Blasio, qui s’est présenté en s’opposant aux inégalités économiques croissantes. Ancien activiste, ayant été au Nicaragua pour soutenir la révolution sandiniste dans les années 80, Di Blasio avait évolué en démocrate à la Clinton. Mais avec sa plateforme « populiste » il a gagné le soutien des élec­teurs·trices de la classe ouvrière multi­ethnique [ le terme « populiste » ne correspond pas à ce à quoi il est en général associé en Europe ; il s’agit d’un courant progressiste sans référence à un projet socialiste qu’incarne bien par exemple aujourd’hui le cinéaste Michael Moore NdR].

En même temps, et c’est peut-être plus important à terme, les USA connaissent de nouvelles sortes de campagnes, manifestant la recherche de nouvelles formes politiques indépendantes. La crise de 2008, la politique d’austérité des républicains et des démocrates, le racisme continu envers les Afro-américains, ont conduit divers groupes à gauche, syndicalistes et noirs à rejeter le modèle politique bipartisan pour créer de nouvelles formations politiques. Ces tentatives sont locales, à petite échelle, et presque toutes ont un aspect expérimental, mais c’est une tendance émergente dans un pays dominé depuis 1920 par deux partis capitalistes, où ceux d’en bas ont rarement eu de représentation politique propre.

Lumumba et son « Jackson Plan »

Dans la gauche radicale, beaucoup croient encore que des mouvements sociopolitiques progressistes doivent être bâtis dans le parti démocrate. A Jackson, ville du Mississipi, de 175 000 ha­bi­tant·e·s, 59 % blancs et 37 % noirs, Chokwe Lumumba, avocat défenseur des droits civiques et nationaliste noir, ancien dirigeant de la Republic of New Afrika, s’est présenté à la mairie au printemps 2013. Sa campagne a été le fait de la Jackson People’s Assembly, émanant du Malcolm X Grassroots Movement.

Leur « Jackson Plan » appelait à la démocratie participative, une économie solidaire, un développement soutenable, avec une organisation progressiste au plan des quartiers et en matière de politique électorale. Lumumba l’a emporté dans cinq des sept circonscriptions et a battu son adversaire de 3000 voix. Sa campagne n’a pas parlé de socialisme, mais les maoïstes qui l’ont soutenu disent qu’il s’agit d’un pas dans ce sens. D’autres à gauche ont critiqué la campagne pour n’avoir pas brisé avec les démocrates. Un des développements les plus intéressants est le rôle plus indépendant joué par les syndicats. Historiquement, l’AFL-CIO et d’autres syndicats ont soutenu quasi exclusivement les démocrates et combattu férocement toute tentative syndicale de se positionner plus à gauche, disant que des campagnes indépendantes divisaient la gauche et menaient à des victoires républicaines. Mais, dans certaines régions, des syndicats ont été prêts à défier l’AFL-CIO et leurs organisations nationales en soutenant des candidatures indépendantes vertes, socialistes ou syndicales.

De Syracuse à Seattle… les syndicats s’engagent

A Syracuse, état de New-York, l’Association des employé·e·s de la fonction publique, affiliée à la fédération nationale des employé·e·s du secteur public (AFSCME) et à l’AFL-CIO, a défié la tradition et soutenu Howie Hawkins, ancien prétendant vert au poste de gouverneur, dans sa candidature au conseil de ville. Hawkins a perdu face au sortant. A Seattle, Kshama Sawant, candidate de Socialist Alternative au conseil de ville a été soutenue par plusieurs syndicats locaux : AFCSME, postiers, enseignants, électriciens. Sawant a remporté une victoire surprenante. [1]

A Lorain County dans l’Ohio, l’Union syndicale locale a décidé de présenter ses propres candidats, le maire ayant dénoncé un accord par lequel la ville s’engageait à employer de la main d’œuvre, locale, issue de minorités et syndiquée. « Il nous a fallu trois ans pour négocier cet accord historique et il leur a fallu trois jours pour le tuer ! » a dit Joe Thayer de la Sheet Metal Workers Union. Face à la trahison du Parti démocrate, les syndicats ont décidé de présenter leurs propres candidats. « A contrecœur…, a indiqué le président local de l’AFL-CIO, mais quand les dirigeants démocrates ont pensé que notre soutien était automatique et ont piétiné les droits des travailleurs, nous devions réagir. » Avec le soutien des syndicats, d’un centre de travailleurs immigrés et d’un groupe étudiant, la liste syndicale a emporté deux douzaines de sièges au Conseil. « Se présenter en indépendants n’était pas notre premier choix, mais on peut espérer que ça aidera les dirigeants démocrates à reprendre leurs esprits » a déclaré le mécanicien Art Thomas « sinon on leur a montré qu’on peut travailler avec nos amis et faire élire les nôtres ! »

Vers des alternatives politiques radicales indépendantes

Aux USA, la plupart des activistes de mouvements sociaux et de syndicats tendent encore à soutenir des démocrates comme Di Blasio ou des candidatures de gauche comme celle de Lumumba présentées dans le cadre du parti démocrate. Mais ça change : avec l’expérience de la crise, de l’austérité et du mouvement Occupy, on a vu émerger un milieu de gauche radicale, multiethnique, de jeunes rejetant le système bipartisan, mais aussi la domination de la société par les grandes entreprises, le consumérisme et la destruction de l’environnement. Cette nouvelle gauche soit rejette l’engagement politique institutionnel, soit est encline à soutenir de nouvelles alternatives politiques radicales. Plus important encore, des travailleurs·euses dans les syndicats pensent désormais que si les démocrates les trahissent, ils doivent organiser des options politiques alternatives.

Notes

[1] sur ESSF (article ), Résultats étonnamment bons de candidats socialistes aux élections locales dans plusieurs villes des Etats-Unis.

* Paru en Suisse dans « solidaritéS » n° ° 241 (09/01/2014). http://www.solidarites.ch/journal/

Dan La Botz

L’auteur est un professeur d’université américain et un militant de l’organisation socialiste Solidarity.

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