Édition du 16 avril 2024

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États-Unis

Etats-Unis. Une attaque raciste contre le mouvement Black Lives Matter

« Ce soir des suprématistes blancs ont attaqué le #4thPrecinctShutDown en ce qui est un acte de terrorisme intérieur. » [1] C’est ainsi que Black Lives Matter Minneapolis ont décrit la fusillade contre cinq manifestant·e·s Afro-américains désarmés par un groupe d’au moins trois hommes à l’extérieur du poste de police de Minneapolis dans la soirée du 23 novembre 2015.

Des activistes manifestaient à l’extérieur du commissariat de Police du quatrième arrondissement de Minneapolis depuis le 15 novembre, jour où Jamar Clark, âgé de 24 ans, a été abattu par la police.

Clark a été tué après que la police a reçu un appel provenant d’ambulanciers affirmant qu’une personne les empêchait de venir en aide à une victime d’agression. Des témoins ont déclaré que Clark, qui était désarmé, était allongé sur le sol, menotté et les bras dans le dos lorsqu’il a été abattu par la police. Clark est décédé le jour suivant, une fois que les appareils de maintien de vie artificielle ont été débranchés.

Bien que le meurtre ait été filmé sur de nombreux supports vidéos, y compris par des caméras de sécurité d’un bâtiment à loyer modéré ainsi que par des passants, les autorités ont jusqu’ici refusé de les diffuser publiquement, alimentant ainsi les spéculations sur les méfaits policiers et encourageant les protestations continues à l’extérieur du commissariat de police.

Plus tôt, la police avait évacué un campement installé près du commissariat, mais les manifestant·e·s sont restés à l’extérieur de celui-ci 24 heures sur 24, tous les jours, afin d’exiger qu’il soit rendu justice à Jamar outre la tenue d’actions plus amples, y compris un sit-in sur l’autoroute 94 qui a bloqué le trafic et conduit à l’arrestation de plus de 50 personnes.

Au moins l’une des personnes impliquées dans la fusillade au cours de la nuit du 23 novembre, selon les rapports, portait un bonnet cagoule pour le ski alors qu’un autre, (au moins) aurait porté un gilet pare-balles, ce qui indique que l’attaque a été préméditée.

Yolanda, une militante engagée dans le mouvement Black Lives Matter, avant le décès de Jamar, a déclaré qu’elle a été terrifiée de voir ce qui lui était arrivé dans son quartier situé au nord de Minneapolis. C’est l’une des personnes qui était présente devant le commissariat du quatrième arrondissement suite à l’assassinat par balles. Elle est revenue manifester contre les attaques racistes le jour suivant.

Elle raconte qu’un groupe d’hommes s’est présenté au campement. Leurs visages étaient recouverts et ils ont refusé de retirer leurs masques. A ce moment, il leur a été demandé de s’en aller et un groupe de manifestants les a conduits à l’extérieur du lieu. Yolanda a dit que lorsqu’un groupe plus petit s’est détaché pour éloigner encore plus les hommes portant des masques, ces derniers ont insulté les activistes de Black Lives Matter en les traitant de nègres [« N-word » en anglais]. C’est lorsque le groupe de manifestant·e·s se préparait à revenir au campement qu’ils ont tiré.

L’horreur et l’indignation que beaucoup ressentent suite à cette fusillade sont amplifiées par la façon dont la police a réagi. Yolanda explique qu’elle a tenté d’appeler le 911 [numéro de la police] trois fois avant que quelqu’un ne réponde. Mais, ajoute-t-elle, comme il y avait des policiers à l’intérieur du commissariat, il est difficile de comprendre comment il est possible qu’ils n’aient pas entendu les coups de feu et les cris qui demandaient du secours. Ils ne sont sortis qu’une fois que les véhicules de police sont arrivés sur les lieux.

Yolanda, déterminée, affirme : « La nuit dernière a été un révélateur. Je vais désormais dormir ici chaque nuit. » 

Carrie Brown, cousine de Wesley Martin, l’une des victimes de la fusillade, a déclaré au Minneapolis Star Tribune : « C’était effrayant. On ne s’attendait pas à une chose pareille. Nous n’avons pas un service d’ordre. Tout le monde était pacifique. » 

Heureusement, les cinq victimes de la fusillade guériront.

« Il ne peut plus attendre de revenir ici », dit Brown de son cousin. « Il est en colère parce que la blessure l’empêche de revenir manifester ». 

Brown ajoute : « Nous étions tous terrorisés la nuit dernière. Je n’ai jamais vu un racisme de ce genre. » 

Dans les heures qui ont suivi la fusillade, une foule de manifestant·e·s s’est présentée devant le commissariat en un déferlement de colère et de solidarité contre l’attaque. Black Lives Matter Minneapolis et d’autres activistes ont lancé un appel à une manifestation de masse et à un rassemblement le jour suivant, partant du commissariat en direction de l’Hôtel de ville, du Tribunal d’Hennepin County et du Tribunal fédéra,l afin de lancer le message suivant : « nous ne serons pas intimidés, nous ne nous tairons pas ».

Environ 1000 personnes ont participé à la manifestation, y compris des élèves de lycées qui ne se sont pas rendus aux cours. L’ambiance dominante était marquée par la ténacité et la conviction. Des manifestant·e·s portaient des banderoles et des pancartes portant les slogans suivants : « Justice pour Jamar », « Black Lives Matter », « Nous n’avons rien d’autres à perdre que nos chaînes », ainsi que « Votre ville pourrait être la prochaine ». Parmi les slogans criés : « Menotté ? Ne tirez pas ! », « Pas de justice, pas de paix. Poursuivez en justice la police ! ». Et aussi : « Envoyez ces flics assassins en prison ! »

Un jeune américano-irakien s’est adressé à la foule sur la nécessité de la solidarité. Il a déclaré que la lutte s’étend de Minneapolis à Gaza. Il a cité une parole de Martin Luther King : « une injustice en quelque endroit est une menace faite partout à la justice ».

Izy est une manifestante impliquée dans le mouvement depuis les premières manifestations qui ont suivi l’assassinat de Jamar. Elle a été arrêtée avec 50 autres personnes le soir où l’autoroute I-94 a été bloquée. Pour elle, pire encore que les politiques de droite sont ceux qui prétendent être neutres, affirmant qu’ils « voient l’existence de deux côtés ». La neutralité, pour elle, est un luxe que tout le monde ne peut pas se permettre.

« Je suis ici afin de m’assurer que ces lâches sachent qu’ils n’effraient personne », a expliqué au Washington Post Demetrius Pendlteon, qui gère un abri local pour sans-abri, « nous voulons voir la justice à l’œuvre, et nous ne nous arrêterons pas tant qu’elle ne sera pas rendue. »

Danny Givens Jr, un pasteur qui fait office de liaison avec le clergé pour Black Lives Matter (BLM) Minneapolis, a dit à la foule, à travers un porte-voix, que les manifestant·e·s ne laisseraient pas des groupes de « vigilants » [« milices », groupes armés faisant « justice » eux-mêmes, « veilleurs », etc.] les effrayer. « Nous n’irons nulle part. C’est notre arrondissement. Nous ne serons pas effrayés par des terroristes locaux ».

Miski Noor, activiste de Black Lives Matter Minneapolis, a déclaré à KARE news : « ce qui s’est passé la nuit dernière était un crime de haine planifié, un acte de terrorisme contre des militants qui occupaient le quatrième arrondissement ».

Au moment où cet article était rédigé, deux suspects ont été mis en garde à vue, mais l’un d’entre eux a ensuite été relâché. Deux autres se sont présentés d’eux-mêmes à la police.

Janée Harteau, chef de la police de Minneapolis, a encensé la police sur Twitter, affirmant que les agents étaient de « véritables professionnels » et indiquant que « le MPD [Minneapolis Police Department] avait œuvré toute la nuit pour que justice soit rendue suite à la fusillade de la nuit dernière ». 

Selon les manifestant·e·s, toutefois, ce n’est pas la première fois que des racistes se sont présentés lors d’une action à Minneapolis du mouvement BLM afin de le perturber. Noor a déclaré à la Star Tribune que des suprématistes blancs s’étaient présentés le 23 novembre « comme ils l’ont fait la plupart des nuits ». Les activistes affirment que la police n’a rien fait contre la menace qu’ils représentaient. 

Ainsi que le rapporte les City Pages des Twin Cities [les villes jumelles, soit Minneapolis et St. Paul] au soir du 19 novembre :

« Deux hommes portant un camouflage, le visage dissimulé, sont arrivés sur les lieux pour filmer. Ils se sont dirigés vers un livestreamer de Unicorn Riot [média alternatif] et ont affirmé qu’ils étaient curieux de savoir comment se déroulait la protestation. 

« Je ne sais pas si c’est ce que projettent [les manifestant·e·s BLM], se contenter de rester ici », l’un des suprématistes blancs a déclaré. « C’est presque comme s’ils s’attendaient à ce que l’un d’entre nous fasse quelque chose. Ils attendent que l’un d’entre nous intervienne dans ce désastre. Les choses sont en ébullition. Cela va se produire très bientôt. » 

Lorsqu’il leur a été demandé ce que signifiait pour eux « justice pour Jamar Clark », l’un d’entre eux a ricané, rigolant : « tous les types qui sont ici devraient obtenir la justice et la paix qu’ils méritent. Ce que nous devons faire c’est tendre la main à nos communautés, en particulier envers nos communautés enrichies à la mélanine [le degré de composition de mélanine détermine la pigmentation de la peau et des cheveux]. »

Pour reprendre City Pages :

« Black Lives Matter a découvert plus tard une vidéo que les deux hommes ont filmée alors qu’ils se dirigeaient des quartiers résidentiels vers le quatrième arrondissement. Elle montre l’un d’entre eux brandissant une arme. « Nous allons voir de qui ces putains de crétins sont capables », dit-il [utilisant une insulte raciste désignant les Noirs]. « Nous allons écraser cette merde… un petit renversement d’enrichissement culturel. Laissons le feu s’enflammer. » 

Bien que l’implication de ces hommes dans la fusillade du 23 novembre ne soit pas encore claire, ce qui est en revanche évident c’est que des racistes organisés avaient l’intention de perturber violemment les manifestations pour Jamar Clark – et que la police n’a rien fait, même après qu’ils ont attaqué les manifestant·e·s. De leur côté, les organisateurs de la protestation ont mis en place un comité de sécurité afin de surveiller les agitateurs racistes et les éloigner.

Noor a déclaré de manière compréhensible à KARE news : « Nous réitérons notre absence totale de confiance dans la volonté de la police de garantir la sécurité de notre communauté ». 

Raeisha Williams, responsable de la communication pour la section de Minneapolis du NAACP, a déclaré à la chaîne d’information CNN que la police se « tapissait » près des lieux et qu’elle avait refusé de fournir de l’aide aux manifestants blessés. Williams suggère qu’au moins l’une des personnes impliquée dans la fusillade pourrait être de la police :

« Nous sommes convaincus que le commissariat de police contribue aux injustices, intimidant les manifestant·e·s. Nous sommes également convaincus qu’ils sont impliqués dans la fusillade. Nous savons, sur la base de discussion sur internet ainsi que par des vidéos que nous avons posté sur notre site internet, que des policiers venant de divers comtés, des différents districts sont venus pour provoquer les manifestant·e·s, pour les intimider…

Nous sommes fermement convaincus que la police de Minneapolis ne nous protège pas, ils se situent par conséquent aux côtés des suprématistes blancs qui veulent détruire un mouvement pacifique. »

Williams a déclaré que l’un des agents de police arrivé sur les lieux de la fusillade a affirmé : « voilà ce que vous vouliez ». Il a fallu au moins 15 minutes à la police pour arriver – bien que la police prétende qu’ils sont arrivés sur place dans les trois minutes. Williams a aussi déclaré que la police a commencé à frapper à coups de matraque certains manifestant·e·s Black Lives Matter lorsqu’ils sont arrivés. Une affirmation corroborée par Yolanda qui a déclaré qu’elle a rencontré un jeune homme qui faisait partie du groupe qui avait éloigné les hommes armés. Alors qu’il pressait, pour éviter une hémorragie, la blessure de l’un de ses camarades qui avait été touché à l’estomac, a-t-il dit à Yolanda, la police est arrivée et lui a ordonné de se déplacer. Ils l’ont frappé au visage avec une matraque alors qu’il ne s’exécutait pas suffisamment vite.

Certains activistes ont en outre rapporté qu’un raciste armé s’est présenté au campement le jour suivant la fusillade. Ils affirment que lorsqu’ils ont appelé la police, l’arme a été confisquée, mais ils l’ont laissé aller.

Les fusillades de Minneapolis font partie d’une réaction violente destinée à intimider le mouvement contre le racisme et les brutalités policières.

De manière incroyable, certains à Minneapolis ont suggéré que les manifestations antiracistes devaient être tenues elles-mêmes pour responsable de la fusillade. Barb Johnson, par exemple, la présidente du conseil municipal semble être plus concernée pour le sort des personnes qui vivent dans le 4e arrondissement [très gentrifié] qu’au sujet de Jamar Clark ou des manifestant·e·s antiracistes sur lesquels on a tiré. Elle s’est lamentée dans la Star Tribune que les fusillades étaient « la poursuite d’un moment stressant pour les voisins qui vivent dans la zone entourant le quatrième arrondissement » – ajoutant sans ironie que les résidents « méritaient un peu de paix et de repos ».  

Johnson a continué en rendant responsable les « agitateurs extérieurs », un bouc émissaire classique qui a été ciblé autant à Ferguson, dans l’Etat du Missouri [après les émeutes et manifestations qui éclatèrent suite à l’assassinat de Mike Brown le 9 août 2014] qu’à Baltimore [suite aux émeutes et manifestations qui éclatèrent suite à l’assassinat de Freddie Gray, le 12 avril 2015] et dans maints autres endroits dès lors qu’il s’agissait de sévir contre les manifestations contre les brutalités policières. « C’est l’un des problèmes avec ces manifestations : plus elles durent, plus de gens venant de tout le pays y participent » ajoute Johnson dans le Star Tribune. « Plus elles durent, pire cela devient ». 

Dans les jours qui ont précédé les fusillades du 23 novembre, il est rapporté que la famille de Jamar Clark et les partisans de Black Lives Matter ont discuté de mettre un terme aux manifestations devant le commissariat et de trouver d’autres lieux pour le combat afin que l’on rende justice à Jamar. A la suite de la fusillade, sur la base d’une inquiétude quant à des questions de sécurité, la famille de Clark a appelé à mettre fin à l’occupation du quatrième arrondissement.

Mais dans le sillage des fusillades, les activistes ont annoncé qu’ils renouvelaient leur engagement en faveur de la protestation devant le commissariat du quatrième arrondissement jusqu’à ce que justice soit rendue pour Jamar et toutes les victimes de la dernière attaque. Les fusillades ont suscité une colère renouvelée ainsi qu’une détermination de rester uni dans le combat contre le racisme et les brutalités policières, sans être abattu par la peur et la violente réaction raciste. Les manifestant·e·s exigent, entre autres, une poursuite directe des agents impliqués dans la fusillade de Jamar (ce qui s’oppose à un procureur présentant une affaire devant un grand jury pour dresser une accusation – ce qui est improbable dans le cas de fusillades impliquant des policiers) ainsi que pour ce que le bâtiment du quatrième arrondissement soit transformé en centre communautaire.

Ainsi que l’a écrit Mychal Denzel Smith dans un article de The Nation :

« Des fissures sont visibles, mais elles ne peuvent s’élargir sans réaction violente. Tout changement du système, quelle qu’en soit l’ampleur, menace de miner les fondations, et donc l’identité, du pays. Le statu quo produit ses propres défenseurs. Et, ainsi qu’on le voit maintenant, ces défenseurs ont ouvert le feu à Minneapolis…

« Se battre pour sa vie et ses droits est une activité dangereuse.

Et le combat ne s’arrêtera pas. Il est effrayant de penser que l’un des conséquences de s’élever contre les injustices puisse être une balle, mais le prix de ne pas s’opposer est celui de la poursuite du massacre. Ce que les tireurs voulaient : que les manifestant·e·s se recroquevillent de crainte. Ce qu’ils verront probablement c’est que cela n’a fait que renforcer leur résolution. »

Ainsi que l’a déclaré Miski Noor à la foule lors de la marche du 24 novembre : « nous ne plierons pas devant la peur et l’intimidation ».

Article publié le 25 novembre sur le site SocialistWorker.org. Ryan Green et Chance Lunning ont contribué à la rédaction de cet article. Traduction A L’Encontre.

Note

[1] Une vidéo a été enfin rendue publique, le 24 novembre 2015, portant sur l’assassinat d’un jeune Afro-Américain, âgé de 17 ans, Laquan McDonald, le 20 octobre 2014, à 22 heures. Un assassinat commit par l’officier de police Jason van Dyke. Après une première balle tirée, Laquan McDonald, sans arme, se trouvait à terre. L’officier de police le crible alors de 16 balles. Le conseil municipal de Chicago a versé, six mois après l’assassinat, une somme de 5 millions de dollars à la famille, alors qu’elle n’avait pas porté plainte. Un aveu. Quant à la police de Chicago, elle a planqué la vidéo – avec la complicité des autorités – car elle démentait ses affirmations. La vidéo illustrait, en effet, « l’histoire d’un meurtre » commis de sang-froid. Les autorités de Chicago, par la proposition de « dédommagement » et la suppression de la vidéo, indiquaient qu’elles se refusaient à tout examen sérieux des activités du Chicago Police Department (CPD). La mobilisation contre ce crime et d’autres a pris de l’ampleur vendredi soir, le 27 novembre 2015, entre autres dans une des rues commerçantes de Chicago, à l’occasion du « Black Friday », cette journée de déchaînement organisé des achats. L’exigence de rendre publiques de nombreuses vidéos des activités policières est au centre des revendications et BLM, par sa capacité de réaction, met ainsi en lumière une des facettes du racisme aux Etats-Unis. L’immunité de la police commence à être battue en brèche. (Réd. A l’Encontre)

Nicole Colson

SocialistWorker.org

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