Tiré d’Europe Solidaire Sans Frontières
19 octobre 2025
Ces dernières semaines, du 8 septembre au 15 octobre, une valse de désignation et démission de Sébastien Lecornu, un fidèle de Macron aura finalement abouti à un gouvernement n’ayant l’appui réel que du président lui-même. Même les groupes partie prenante du « bloc du centre » (Renaissance, Horizon et le Modem) sont en train d’afficher leur prise de distance avec Macron et son gouvernement de fin de règne. Edouard Philippe (Horizon), ancien premier ministre de Macron appelle ouvertement et avec insistance à la démission de ce dernier et à une présidentielle anticipée. Gabriel Attal (Renaissance) lui aussi ancien premier ministre de Macron ne se manifeste que pour marquer ses distances avec celui-ci. Enfin, les Républicains, soutien des deux gouvernements précédents, ont décidé de ne pas participer au gouvernement finalement mis sur pied par le macroniste Lecornu, ne voulant pas être contaminés par la radioactivité de Macron et de ses derniers fidèles.
En clair, on assiste à une fin de règne et un délitement du macronisme, reflet du rapport de force social dans le pays, du rejet massif de sa politique et de ses responsables politiques. Ce désaveu va largement de pair avec une exaspération qui cible les superprofits des grandes entreprises et la richesse toujours plus arrogante des « super riches » (le 15 octobre, en une seule journée, grâce à un bond en Bourse de l’action LVMH, Bernard Arnaud a vu sa fortune -la première de France et la septième au niveau mondial- bondir de 16 milliards d’euros, atteignant 164 milliards d’euros), l’affirmation grandissante de la nécessité d’une justice sociale et fiscale. Cette affirmation s’était reflétée dans les mobilisations sociales de ces dernières semaines, notamment les 10 et 18 septembre.
Cet isolement grandissant, au sein même de la majorité présidentielle, avait amené Lecornu à renoncer à former un gouvernement le 6 octobre dernier après la perte du soutien des Républicains de Bruno Retailleau. Le risque le plus grand était un échec total amenant à une dissolution de l’Assemblée nationale et de nouvelles élections législatives 16 mois après les précédentes. La plupart des sondages prédisent dans ce cas une hécatombe pour les partis politiques du « camp présidentiel » (Renaissance, MODEM, Horizons et UDI) perdant un tiers de leurs voix et la moitié des sièges (162 sur 577 aujourd’hui). Quelle que soit la valeur de cette prévision, aujourd’hui une majorité de la population rejette le président, les deux tiers veulent son départ.
Macron avait mandaté à nouveau Lecornu le jour de sa démission, le 6 octobre, pour arriver à mettre sur pied un gouvernement qui soit surtout capable d’éviter la dissolution et arrivant à faire voter un budget 2026, en reprenant, grosso modo, les mêmes orientations que les deux gouvernements précédents, mais sans être immédiatement renversé. Vu les rapports de force parlementaires, la seule issue était d’obtenir la bienveillance du Parti socialiste, pour éviter qu’une nouvelle motion de censure ne soit majoritaire à l’Assemblée nationale. La France insoumise avait dans tous les cas appelé à censurer tout nouveau gouvernement. Le PCF et les Verts, firent de même, après deux entrevues avec Lecornu qui leur avait enlevé toute illusion sur un changement d’orientation. Comme le RN annonçait aussi qu’il voterait immédiatement la censure, la seule possibilité restait de faire un geste pour obtenir l’aval du PS sans remettre en cause la politique globale pro-patronale d’austérité et sans trop heurter les groupes politiques du camp néolibéral. D’ailleurs, Lecornu, dans sa déclaration de politique générale a voulu aussi flatter la droite et l’extrême droite en s’engageant à écrire dans la Constitution les clauses de l’accord de Bougival sur la Kanaky qui vise à mettre à bas tout processus de décolonisation et qui est dénoncé par le FLNKS.
Au-delà des impératifs politiciens, il y a surtout une crainte et une exigence venant des rangs du patronat, des grands groupes capitalistes. La crainte que le mécontentement social ne débouche sur une explosion sociale, ou tout au moins une forte mobilisation prolongée comme la France en a connu en 1995 ou 2023, une situation qui, vu la faiblesse des partis du centre et de la droite, au minimum remettrait en cause toutes les réformes libérales de la « politique de l’offre » réalisées au profit des capitalistes depuis 2012 et la présidence de Hollande. Sentant la faiblesse politique du pouvoir, le MEDEF avait annoncé un grand rassemblement national le 13 octobre, appelant tous les chefs d’entreprise à venir à Paris pour, explicitement, s’opposer à toute pression fiscale supplémentaire - en clair au maintien de leurs privilèges fiscaux -, s’opposer à toute politique amenant à remettre en cause les quelque 200 milliards d’aides et de dégrèvements budgétaires accordés aux entreprises, à toute politique fiscale frappant les grandes fortunes et leur patrimoine. Un exemple de ces privilèges fiscaux est la loi Dutreil qui permet d’exonérer de l’essentiel des droits de succession, de la fiscalité commune sur les héritages, les donations ou héritages concernant des parts ou des actions de sociétés industrielles ou de « holding animatrice » (une société mère). Cette exonération de classe coûte 4 milliards par an.
Macron a donc réussi à sortir provisoirement de l’impasse. Le PS a volontairement affaibli le front politique de rejet de Macron, la marche chaotique, mais réelle, vers un affrontement social, aidant par la même une majorité des directions syndicales (CFDT, CGC et CFDT et FO) à se sortir de la dynamique de mobilisation engagée depuis le début du mois de septembre. Pour faire cela, Macron a dû faire une grosse concession symbolique : promettre une pause dans l’allongement de l’âge de départ et de la durée de cotisation pour une retraite à taux plein. En clair le gel à 62 ans et 9 mois comme âge de départ à taux plein (avec la condition d’avoir versé 170 trimestres de cotisations), gel jusqu’en 2027, c’est-à-dire la prochaine élection présidentielle. Sans ce gel, chaque année, 3 mois de plus (en âge et en durée de cotisations) seraient nécessaires pour partir à taux plein.
Vu que la question des retraites a été l’affrontement social et politique central depuis notamment 2023, la mesure du gel a pu apparaitre, au moins symboliquement, comme un recul important. 300000 personnes pourraient ainsi en théorie partir trois mois plus tôt à la retraite en 2026 et 2027. Cela pourrait apparaître comme un encouragement, un recul des politiques patronales devant le mouvement social, un recul qui en appellerait d’autres. Mais le PS a préféré se vendre pour un plat de lentilles, et Macron a réussi à réaliser un « gambit », un petit sacrifice qui peut lui faire espérer d’éviter la catastrophe immédiate. Pour l’instant, il sauve l’essentiel, et notamment le peu de crédibilité qui lui reste auprès des groupes capitalistes.
La « suspension » promise n’est qu’un engagement oral de Lecornu qui ne se retrouve pas dans le projet de budget déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale et devrait prendre la forme d’un amendement à la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) qui doit être débattu et voté en novembre/décembre. Les promesses n’engagent donc que ceux qui croient. Mais surtout toute la structure financière des projets de budget de l’Etat et de la Sécurité sociale prévoient plus de 30 milliards d’économies, essentiellement au détriment des classes populaires, salariéEs, retraitéEs. Gel du montant des retraites, du salaire des fonctionnaires, des prestations sociales. Gel aussi du barème des impôts, ce qui amène mécaniquement à une hausse des impôts. Augmentation des impôts des millions des retraités frappant près de 2 millions de foyers, déremboursements de médicaments et des indemnités de maladie. Compression des budgets publics et suppression de 3000 postes de fonctionnaires, aucun tournant pour investir massivement dans la transition écologique, avec une division par deux du Fonds vert, passant à 600 millions d’euros pour les financements des collectivités locales pour les projets concrets vis-à-vis des changements climatiques et du développement des énergies renouvelables. Tout un symbole : le budget des armées augmente de 6,7 milliards quand le projet de budget prévoit 7,1 milliards d’économies pour la Santé.
D’un autre côté, aucune remise en cause des 91 milliards d’exonérations de cotisations sociales dont bénéficient les entreprises, une nouvelle baisse de plus de 1 milliard des impôts de production. Depuis 2021 la baisse de l’ensemble de ces impôts de production (CVAE et CFE) est de 10 milliards par an.
Quant à la justice fiscale, la ligne rouge de Lecornu est la même que celle des gouvernements précédents : pas question de toucher à la fiscalité des entreprises ni celle des revenus venant de l’entreprise. La taxe Zucman qui proposerait 2% d’imposition sur les patrimoines est rejetée d’un même chœur par l’extrême droite, la droite et les macronistes comme sapant les fondements de l’investissement et mettant en péril les entreprises. Pourtant, touchant les 1800 plus gros foyers fiscaux (patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros), elle pourrait rapporter d’après Gabriel Zucman, 25 milliards d’euros par an. En pratique, cela n’aurait pas comme effet de diminuer le patrimoine des ces gros privilégiés mais de diminuer l’accroissement de leur fortune, ce qui est déjà un crime pour les défenseurs du système. Entre 2003 et 2023, en France les 500 plus gros propriétaires d’entreprises ont vu leur fortune multipliée par 9,3, atteignant 1200 milliards d’euros en 2021 (124 milliards en 2003). La taxe ne serait donc qu’un petit correctif dans cet accroissement des richesses sur le dos des classes populaires.
Donc, pas question pour Macron (ni pour les Républicains ou le RN) de remettre en cause les piliers du capitalisme, les « biens professionnels ».
Pour essayer d’éviter les dangers d’une mobilisation sociale, le gouvernement a aussi annoncé une nouvelle conférence sociale sur la retraite et le travail, remettant sur les rails le passage d’une retraite par répartition à une retraite par capitalisation, en faisant miroiter une gestion paritaire syndicat-patronat, avec comme dans de nombreux pays, la porte ouverte à la gestion des groupes bancaires et d’assurances. Le problème est que, comme début 2025, où Bayrou avait mis sur pied un conclave sur les retraites, la majorité des directions syndicales (CFDT, CFTC, CGC et FO) s’engouffrent dans ce nouveau piège dont le seul but est de diviser et de freiner les mobilisations frontales contre la politique d’austérité de ce gouvernement et de ce président fragile.
L’enjeu se décale donc ces derniers jours. Il va s’agir de contrer ces ferments de divisions ouvertes et d’œuvrer à des rassemblements unitaires, des mobilisations autour des exigences de justice sociale, budgétaire et fiscale autour d’axes qui étaient déjà mis en avant dans le programme du Nouveau Front Populaire (NFP). La direction du PS espère se servir électoralement sur les restes du macronisme en se présentant à nouveau sous un visage de gestionnaire compatible avec le néolibéralisme. C’est pourtant cette orientation qui a coulé le PS avec la présidence de François Hollande et beaucoup de militants socialistes ne l’ont pas oublié. Beaucoup, dans les directions des partis de gauche, ont toute leur attention tournée vers les péripéties parlementaires ou la préparation des élections municipales de 2026. Pourtant, l’attention devrait plutôt être tournée vers l’organisation unitaire de la riposte sociale et politique aux politiques patronales.
Les budgets doivent être votés dans les deux mois qui viennent. Semaine après semaine vont apparaître les attaques qu’ils contiennent et la droite elle-même va tenir à y renforcer les attaques sociales.
Aussi comme il y a un an, le PS aura du mal à maintenir une position de bienveillance vis-à-vis d’un gouvernement encore plus faible que ses deux prédécesseurs. Cela rend d’autant plus important que le mouvement social trouve la force de disloquer cet attelage réactionnaire.
Léon Crémieux
P.-S.
• Article écrit pour la revue Viento Sur.
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