Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Billet

"Il vaut 10 millions"

On entend souvent : "Il vaut 5 millions, 10 millions, etc." Il n’y a pas d’ expression plus significative de la dérive des valeurs de notre époque qui confond de plus en plus être et avoir.

"C’est simplement une façon de parler" diront certains. Justement, cette façon de parler reflète bien jusqu’à quel point on ramène la valeur d’être humain à ce qu’il possède et comment dans notre société l’argent prend plus d’importance que l’humain. La preuve : ces salaires faramineux que gagnent certains alors que 8 enfants meurent des conséquences de la pauvreté à chaque seconde, qu’un milliard d’êtres humains vont se coucher le ventre creux, que des médicaments existants pouvant sauver le vie de milliers de gens ne sont pas reproduits car jugés non "rentables"... Comme nous sommes loin de la déclaration des droits humains : "Tous les êtres humains naissent libres et égaux"...

Le prétexte pour expliquer cette dérive de salaires honteux ? La compétence ! Pourtant quand ces supposés compétents font plonger la Caisse de 40 milliards, que tous ces PDG de banques, tous ces "traders", enfoncent le monde dans une crise économique, ils continuent d’empocher leurs milliers de dollards ! Y a-t-il plus belle illustration de la fausseté de cet argument ? Pour trouver des gens compétents dit-on ? Les gens ne sont pas dupes !

Parlant de compétence, comment se fait-il que le même argument ne vaut pas quand il s’agit de donner un juste salaire, de bonnes conditions de travail à nos infirmières ? à nos enseignantEs ? L’éducation d’un enfant ce n’est pas important ? Ce n’est pas un des investissements le plus précieux dans notre société ? Combien de fois une travailleuse sociale doit transiger avec des personnes qui veulent se suicider, avec des couples qui songent à se divorcer, avec des enfants en deuil ? Ceux qui plaident en faveur de salaires faramineux pour les dirigeants, les entend-on plaider pour l’augmentation du salaire de ces personnes qui doivent transiger avec un stress élevé ? Combien de travailleurs ont perdu la vie ou sont devenus handicapés à cause de leur travail ? Est-ce que leurs salaires reflétaient ces conditions difficiles ? Ceux qui font tant l’éloge de la richesse, comment se fait-il qu’on ne les entend plus lorsqu’il s’agit des salaires de tous ces gens ?

Bien sûr, il est normal qu’un travail comportant une plus grande responsabilité, un stress élevé, soit reflété dans le salaire. Que notre premier ministre reçoive un salaire plus élevé qu’actuellement, compte tenu de ses responsabilités, soit ! Petite remarque en passant : si le salaire de M. Charest reflétait la fidélité avec laquelle il remplit le mandat reçu par la population, à savoir gouverner en fonction de l’intérêt public, son salaire subirait toute une dégringolade. Mais revenons à notre propos...

Dans les années 70, la rémunération de hauts dirigeants équivalait à 40 fois le salaire moyen d’un employé. Maintenant, c’est plus de 400 fois !!! Si un sondage était fait sur la différence acceptable entre le salaire moyen d’un travailleur et ceux de dirigeants, il est fort probable que les citoyens jugeraient qu’un ratio de cinq fois le salaire moyen serait bien suffisant. Il serait étonnant toutefois que les médias corporatifs publient un tel sondage. D’ici le temps qu’on revienne au bon sens, des milliers d’êtres humains vont encore faire les frais de cette démesure.

Entre temps, comme les mots ne sont pas neutres, on peut toujours poser un petit geste citoyen en refusant d’utiliser l’expression : "Il vaut 10 millions".

Françoise Breault

Après une carrière en enseignement, dont un an avec les Échanges France-Québec, j’ai poursuivi en travail social auprès des familles. Vers l’âge de cinq ans, je me demandais pourquoi il y avait des pauvres et ce que je pouvais faire. Sans en prendre pleinement conscience, cette interrogation m’a habité toute ma vie. Une année en Amérique du Sud ne m’avait toujours pas apporté de réponse. Cela m’a pris du temps à voir clair... Maintenant que la lumière est allumée, je ne peux et ne veux la refermer... Tous les faits, toutes mes lectures me confirment comment le système économique actuel contribue à ce fossé grandissant entre riches et pauvres. Me voici maintenant à ma 3e carrière, celle où je peux mettre tout mon temps et énergie à sensibiliser les gens aux graves enjeux d’aujourd’hui, afin de vivre dans un monde plus juste... « mais nous, nous serons morts mon frère... ».

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