Édition du 30 avril 2024

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Intrusion impromptue dans le champ lexical de la « science économique »

Conclusion provisoire d’un politologue dans le champ d’une discipline connexe

Depuis le mois de janvier 2020, nous avons publié une série de textes sur l’économie, l’économie capitaliste et un certain nombre d’auteurs plus une autrice qui ont écrit sur ce sujet (Platon, Aristote, Hobbes, Locke, Smith, Marx, Engels, Schumpeter, Keynes et Flora Tristan). Au milieu de ces cinq mois qui vont de janvier à mai a surgi une crise que certains spécialistes en science économique ont qualifiée « d’inédite ». Inédite ? Ça reste à prouver.

À partir du mois de mars, notre regard analytique s’est comme métamorphosé en une sorte d’intrusion impromptue d’un politologue dans le champ lexical d’une discipline intellectuelle connexe : la « science économique ». Le temps est venu de tirer une conclusion provisoire à nos pensées vagabondes. Dans le contexte de la présente crise sociosanitaire, il importe de tenter de mettre en perspective la portée des mesures d’urgence adoptées par les gouvernements des pays dits avancés pour sauver l’économie mondiale capitaliste.

1.0 Mise en contexte

Pour affronter la crise sociosanitaire qui a un impact incontestable sur les économies capitalistes, les gouvernements des pays développés (le groupe du G20) adoptent en ce moment toute une série de mesures qui rappellent l’interventionnisme étatique qui avait cours lors de la Deuxième Guerre mondiale et durant la période des Trente glorieuses. Ne nous laissons pas berner ou illusionner par les chiffres et les statistiques qui nous tombe dessus sur une base quotidienne par les temps qui courent. Oui, c’est la pluie, pour ne pas dire l’avalanche, des milliards de dollars, dont on entend surtout parler jour après jour. Il faut souligner que les dirigeantEs des grands pays dits développés n’annoncent pas l’adoption de nouveaux programmes sociaux. Elles et ils mettent en place des mesures de soutien aux entreprises et créent des programmes provisoires de revenus pour les particuliers. Et quand la pandémie sera derrière nous, quand arrivera le temps de rembourser les sommes empruntées, il y a fort à parier que les bonnes vieilles manières de faire, propres au libéralisme et au rétrolibéralisme, seront de nouveau prônées par les voix de celles et ceux qui veulent régner en maîtresSES et posseseurEs de la nature.

2.0 Un peu de perspective : Léger retour en arrière USA/Canada

Lors de la Grande Dépression, de 1929 à 1933, le New Deal de Roosevelt et le Wagner Act de 1935 ont été des mesures qui ont contribué à la sortie de crise et à la relance économique aux USA. La Grande compression de Roosevelt (à la fin des années tente et au début des années quarante) et les diverses mesures associées à l’effort de guerre sont également des mesures qui ont concouru à réduire le chômage et à permettre un redémarrage de l’activité productive et par la suite une relance de la consommation dans ce même pays.

La mise en place des politiques préconisées par Keynes (le Canada sera un des premiers pays à adopter un budget de type keynésien à partir de 1939 et au Québec il faudra attendre le début des années soixante) sera rendue possible grâce à la croissance économique observée au Canada durant la Deuxième Guerre mondiale et la majorité des années de la période dite des Trente Glorieuses (de 1945 à 1975, environ).

S’ouvrira alors un monde fort contrasté avec celui qui existait de 1929 à 1945. CertainEs sociologues se sont misEs à parler de la Société des loisirs, les économistes parlaient d’une Économie du savoir accompagnée d’une croissance sans fin. Puis se produit les premiers chocs pétroliers, le problème du financement de la guerre du Vietnam aux USA, la dévaluation de la devise américaine et l’emballement des prix combiné à la hausse du taux de chômage, ce qui donna lieu à une situation inédite : la stagflation et les problèmes associés à l’endettement des États (ce que certaines personnes ont appelé « La crise fiscale de l’État »).

3.0 Du keynésianisme au rétrolibéralisme : des Trente Glorieuses aux Quarante-cinq Douloureuses

Depuis le milieu des années soixante-dix, le keynésianisme a été attaqué par de nombreux économistes de droite et des gouvernements qui partageaient cette orientation idéologique qualifiée à l’époque de monétarisme (Thatcher, Reagan, Mulroney, Lévesque (à partir de 1981), Bourassa et tutti quanti). Les partisans d’un libéralisme « pur et dur » se sont mis à réclamer une désindexation (dès la première moitié des années soixante-dix) des budgets alloués aux affaires sociales et à l’éducation. Pour contenir l’inflation, ils ont pressé les gouvernements d’adopter des mesures de contrôle des augmentations salariales des secteurs privé et public (fédéral, provincial, municipal et commissions scolaires). Les salariéEs syndiquéEs des secteurs public et parapublic du Québec ont eu droit, en plus, à un gel de leur salaire (c’est-à-dire une augmentation de 0%) à cinq reprises depuis 1983 (1983, 2003, 2004, 2015 et 2019). Les programmes de prestations d’assurance-chômage, de rentes de retraite pour les personnes âgées et les allocations familiales et le bien-être social ont fait l’objet de mesures d’accès plus restrictives et les programmes de redistribution de la richesse ont été amputés. Depuis le milieu des années soixante-dix, nous sommes résolument passés des Trente Glorieuses aux Quarante-cinq Douloureuses.

4.0 Le moment actuel : Le « Grand Confinement », vraiment ?

La crise que nous traversons en ce moment semble avoir au moins trouvé son « appellation suggérée » (ou « imposée ») par l’économiste en chef du FMI, madame Gita Gopinath : le « Grand Confinement ». Est-ce le moment pour proposer un qualificatif propre à la présente période ? N’avons-nous rien retenu du conflit de 1914 à 1918 ? Il a fallu plus de vingt ans de tergiversations de toutes sortes avant que l’expression utilisée une première fois, en septembre 1914, par le philosophe allemand Ernst Haeckel soit devenue l’expression consacrée pour la désigner pour ce qu’elle était réellement : la « Première Guerre Mondiale ». C’est le nom qu’on lui a donné en raison du déclenchement, en 1939, de la Deuxième Guerre mondiale.

D’une année de croissance mondiale anticipée de 3% pour 2020, le Fonds Monétaire International (FMI) parle plutôt maintenant d’un recul anticipé de 3%. Au Canada, ce sera possiblement -6%. Le ministre des Finances du Québec parle d’une chute du PIB possible de 5% pour la présente année et d’un déficit de 12 à 15 milliards dans le budget de la Province. Les économistes anticipaient une récession pour 2020. Jamais de cette ampleur. En quelques jours, les prévisions les plus optimistes se sont métamorphosées en prévisions pessimistes impossibles à quantifier de manière sûre. En l’espace de quelques jours, la crise déclenchée par le coronavirus a littéralement transformé de manière radicale les conditions économiques et sociosanitaires des pays développés. Du credo « Moins d’État », nous avons subitement entendu les dirigeantEs des démocraties occidentales mettre de l’avant un programme d’investissement massif quasiment inédit : par ici les annonces de programmes dont le coût se chiffre par des milliards de dollars. La lutte contre cet ennemi de virus invisible semble requérir un effort de ressources monétaires pour le moment au plafond non déterminé. L’aide de l’État, cet acteur honni par les forces de la droite néo-libérale et néoconservatrice depuis le milieu des années soixante-dix du siècle dernier, soit environ quarante-cinq ans (sauf en période de récession comme en 2008), est maintenant réclamée par les porte-parole du Conseil du patronat du Québec et des diverses Chambres de commerce et autres porte-parole du monde de la finance et du milieu bancaire. Car, selon ces divines voix de l’économie capitaliste, il faut absolument soutenir la demande et assainir le bilan des entreprises en cette période où les faillites d’entreprises risquent de se multiplier.

5.0 Conclusion : le retour du politologue

Nous posons sérieusement la question suivante ici : assistons-nous réellement au grand retour de l’État ? C’est-à-dire un État qui met au pas les grandes forces du capital qui n’ont de cesse de réclamer le moins de présence de l’État dans le champ de l’activité économique ? Un État capable de discipliner les détenteurs des capitaux pour qu’ils acceptent le jeu de la libre négociation des rapports collectifs de travail au sein de leurs entreprises ? Un État qui prend en charge la gestion collective des risques associés aux nombreux aléas de la vie du berceau au tombeau ? Un État qui fixe les règles de l’équité salariale entre les sexes et de la relativité salariale entre catégories d’emplois au sein d’une même entreprise ? Un État qui redistribue la richesse et qui adopte des mesures qui s’inscrivent dans une vision d’égalité des chances sans égard pour l’âge, le sexe, l’origine sociale ? Un État qui adopte des pratiques non discriminatoires à l’endroit des populations autochtones ? Un État qui applique une politique d’accueil et d’intégration harmonieuse des immigrantEs, etc.? Nous dirigeons-nous réellement vers la fin du rétro libéralisme et de cette honnie mondialisation telle que nous la connaissons depuis 1) le voyage de Nixon en Chine (au début des années soixante-dix du siècle dernier), 2) la création de la Commission trilatérale, 3) et la création des forums internationaux et des cercles de concertation des grandEs dirigeantEs politiques des États du G5, du G7, du G8 et du G20 ?

Honnêtement, nous en doutons. Nous doutons réellement de la capacité de celles et de ceux qui occupent les postes de leaders du monde et des personnes qui dirigent les grandes institutions internationales privées et publiques de changer de direction. Ce ne sont pas les idées qui manquent pour amorcer un virage écologique et créer une économie plus résiliente. C’est plutôt du côté de celles et ceux qui dirigent ou accumulent de la richesse à la manière de Midas qu’il y a un manque de volonté pour imposer un changement de cap !

Telle est la modeste conclusion que le politologue que nous sommes tire des textes que nous avons rédigés sur l’économie et l’économie capitaliste depuis le mois de janvier 2020.

Yvan Perrier

26 mai 2020

yvan_perrier@hotmail.com

16 h 50

Lexique :

Par “néolibéralisme” ou “rétrolibéralsime”, nous entendons ce programme politique de la droite néo conservatiste qui a pour objectif, depuis le début des années quatre-vingt du siècle dernier, de faire adopter, par les gouvernements des pays développés du monde industrialisé, les quatre orientations suivantes :

1) Priorité de la lutte à l’inflation au détriment du chômage ;
2) Multiplication des traités de libre-échange ;
3) Réduction de la taille de l’État ;
4) et Affaiblissement du mouvement syndical.

Yvan Perrier

Yvan Perrier est professeur de science politique depuis 1979. Il détient une maîtrise en science politique de l’Université Laval (Québec), un diplôme d’études approfondies (DEA) en sociologie politique de l’École des hautes études en sciences sociales (Paris) et un doctorat (Ph. D.) en science politique de l’Université du Québec à Montréal. Il est professeur au département des Sciences sociales du Cégep du Vieux Montréal (depuis 1990). Il a été chargé de cours en Relations industrielles à l’Université du Québec en Outaouais (de 2008 à 2016). Il a également été chercheur-associé au Centre de recherche en droit public à l’Université de Montréal.
Il est l’auteur de textes portant sur les sujets suivants : la question des jeunes ; la méthodologie du travail intellectuel et les méthodes de recherche en sciences sociales ; les Codes d’éthique dans les établissements de santé et de services sociaux ; la laïcité et la constitution canadienne ; les rapports collectifs de travail dans les secteurs public et parapublic au Québec ; l’État ; l’effectivité du droit et l’État de droit ; la constitutionnalisation de la liberté d’association ; l’historiographie ; la société moderne et finalement les arts (les arts visuels, le cinéma et la littérature).
Vous pouvez m’écrire à l’adresse suivante : yvan_perrier@hotmail.com

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