Édition du 23 avril 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

Kebek/Kanada

La « découverte » de l’Amérique
Quand nos ancêtres ont exploré les rives du Saint-Laurent il y a 400 ans, ils ont constaté que le territoire était riche et surtout, très peuplé. Proclamer la « souveraineté française » sur cet immense pays était plus facile à dire qu’à faire. Et c’est ainsi que conflits et rapprochements se sont succédés jusqu’à temps que soit conclu « la Grande Paix » de 1704. Plus par nécessité que par vertu, nos ancêtres ont compris qu’une alliance avec les Premières Nations s’avérait indispensable pour aller vers l’ouest et le sud et résister à la colonie anglaise de Boston et de Virginie. Entre la vision coloniale « pure et dure » de l’Angleterre et la vision « néocoloniale » française, il y avait tout de même un fonds commun, bien que les modalités aient été différentes. Tout cela s’est terminé avec la conquête de 1759 et l’établissement du pouvoir colonial sur la plus grande partie de l’Amérique du Nord.

Conquête et colonialisme

Cette conquête a déclenché une série de confrontations qui ont fortement marqué la suite des choses. Dans les années 1830, les Français qui étaient devenus des Canadiens-Français se sont révoltés pour exiger la république et l’indépendance. Leur projet incluait de s’allier aux résistants anglais et surtout irlandais qui voulaient également rompre avec le pouvoir colonial. Fait à noter, la Déclaration d’indépendance de 1838 affirmait la nécessité d’accorder des « droits égaux » aux autochtones. Après la cuisante défaite, le pouvoir colonial a eu l’intelligence de confier aux élites anglo-canadiennes le soin de créer un « dominion » dit du Canada, en réalité, un allié-subalterne, où on invitait également la petite élite canadienne-française fortement appuyée par une Église catholique ultramontaine. À partir de ces bases, le nouvel État s’est lancé à l’assaut des communautés autochtones pour les confiner dans de misérables réserves tout en anéantissant les Métis de l’Ouest.

Une subordination contestée

Pendant longtemps, le « deal » a bien fonctionné du point de vue des couches dominantes. Des résistances épisodiques ont éclaté ici et là, mais la structure de l’État caractérisé par la formule britannique du « divide and rule » a été efficace pour contraindre les peuples subordonnés. Au tournant du vingtième siècle, ce Canada mal décolonisé a connu une mutation en s’insérant dans le dispositif mis en place par la nouvelle puissance impériale des États-Unis. La centralisation des pouvoirs qui avait été pensée au départ s’est alors heurtée aux aspirations d’un peuple qui était en train de devenir québécois. Dans cette révolution pas-si-tranquille est né au Québec un projet embryonnaire dont l’intuition était que l’émancipation nationale n’avait pas d’avenir sans l’émancipation sociale et sans établir une ligne de démarcation avec les États-Unis. Dans l’essor de ce mouvement national se sont développées de puissantes mobilisations sociales. Cependant, le projet est resté incapable de penser une réelle alliance avec les autres peuples habitant le territoire. La question de l’autodétermination québécoise est restée dans une large mesure muette sur les aspirations autochtones. Par ailleurs, la question du Canada, aux yeux d’un certain nationalisme québécois, est restée dans l’obscurité, au-delà d’une volonté un peu naïve d’apaiser les craintes des élites canadiennes, comme si une élection ou un référendum étaient suffisants pour briser l’impasse.

De la grande séduction …

Aujourd’hui, une sorte de Kanada post-colonial avec comme béquille cette « administration provinciale » qui sévit au Kébec est aujourd’hui fort et faible. Sa domination n’est pas vraiment sur la brèche, d’autant plus que Trudeau comme Legault sont passés maîtres dans l’art de la duplicité autour d’un austéritarisme qui se veut à « visage humain ». Les médias mercenaires et les intellectuels de service parlent de « réconciliation » avec les peuples autochtones à condition qu’ils abandonnent l’essentiel, c’est-à-dire leur souveraineté. Pour cela, Ottawa cultive une couche d’entrepreneurs autochtones aux dents longues qui sont prêts à brader les territoires pour quelques pipelines. Face aux revendications québécoises, l’art de Legault est de les dévier dans la lutte contre le « péril » immigrant, comme si la gestion réelle de l’exploitation et de la domination n’était pas solidement dans les mains d’un Québec Inc. maintenant bien intégré dans un Canada Inc.

…À la grande transition

Ces opérations de charme pourraient cependant ne pas tenir la route au moment où le capitalisme globalisé entre dans une période de grandes turbulences. Les États-Unis comme un ours blessé visent à affaiblir des « émergents » comme la Chine, dans d’obscures guerres par procuration qui pourraient devenir plus dévastatrices. Le processus d’accumulation est enrayé par la gloutonnerie des grands groupes financiers qui veulent préserver leur économie de casino tout en accélérant le pillage d’une planète sur le bord de l’effondrement. C’est ce qui explique la révolte généralisée qui éclate partout en France, au Chili, en Algérie, en Irak, en Chine et qui mine l’édifice de la domination par d’interminables fissures. Les jeunes générations essaient de prendre les choses en main en sachant que l’écologie doit faire le saut vers la politique et l’anticapitalisme.

Prendre des risques

De tout cela émergent des projets politiques balbutiants, qui ont bien des croutes à manger avant de sérieusement menacer les dispositifs du pouvoir. La naïveté n’est plus acceptable dans notre monde vacillant. Il n’y a plus de solution « magique ». Le terrain politique, qu’il faut secouer, est terriblement bloqué. Il faut le secouer, sachant par ailleurs qu’aucun changement n’est pensable à moins de mobilisations immenses et soutenues. Pour autant, ces mobilisations ne peuvent déboucher sans stratégie, car on ne lutte pas pour lutter, mais pour gagner. Des victoires partielles, il y en a et elles délimitent les sentiers de la longue marche devant nous. On va continuer, on va reconstruire un autre Kebek, un autre Kanada, un autre monde.

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