Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Planète

L’apparition de la Terre

La mobilisation populaire autour des enjeux écologiques – les marches mondiales pour le climat et le Pacte pour la transition qu’ont déjà signé plus de 250 000 personnes au Québec, entre autres – est l’expression d’une prise de conscience qui dépasse la politique partisane. Elle exige des orientations sociétales radicales ainsi que des changements majeurs dans nos rapports avec l’environnement, nos manières de vivre, de travailler, de produire, de consommer et même de nous projeter dans l’avenir. Les gouvernements ne peuvent faire la sourde oreille. L’erre d’aller ne tient plus. Une étape cruciale est franchie.

tiré de : Infolettre du CJF | Janvier 2019

Le monde dans lequel nous vivons est profondément ébranlé. La Terre qui était tenue pour acquise, comme un lieu allant de soi, apparaît soudain dans toute sa centralité : comme la condition de notre humanité et de tout projet démocratique. Avec la grave crise écologique, l’air, l’eau, les océans, les arbres, les plantes, les animaux, tout cela devient soudain précaire. À cause de notre mode de vie, de production et de consommation. À cause de notre insouciance et de notre indifférence à leur égard, en grande partie liées à notre conception du monde prisonnière d’un rationalisme étroit et de l’idéologie capitaliste dominante.

Nous ne nous comportons pas comme des habitants et des enfants de la Terre, notre maison commune – la Terre-mère, pour reprendre la manière autochtone de la désigner, ce qui implique une profonde gratitude à son égard en tant que matrice de la vie. Les arbres, les animaux, l’eau, le sol, l’air, sont nos frères et sœurs, comme le chantait saint François. Or, nous agissons plutôt envers eux comme des maîtres et possesseurs, des exploiteurs, préoccupés uniquement par le profit qu’on peut en tirer. Nous avons bâti notre monde habités par ce fantasme, cette volonté de domination, qui nous rend étrangers à la Terre et à ce qui l’habite. Nous constatons cependant l’impasse de cet aveuglement et les conséquences catastrophiques de cette démesure.

Le cri de la Terre, pour reprendre une image biblique, appelle à une véritable « conversion », à un retournement radical de nos comportements, de notre agir. Il nous faut prendre conscience des liens vitaux qui nous unissent à la Terre, au moment même où nos conditions d’existence sont fragilisées, menacées dangereusement. C’est notre existence de « terriens », partie intégrante de la Terre, qui émerge et s’impose à nous avec force.

L’idéologie capitaliste, posant le profit et la croissance à tout prix comme des dogmes et la marchandisation du monde comme un processus irréversible, manifeste son caractère mystificateur. Continuer à abuser ainsi de la Terre a un prix que nous ne pouvons plus nous permettre de payer. La fragilité et les limites de la vie reprennent leurs droits. La démesure et la croissance infinie se révèlent des idoles sanguinaires. S’enrichir impunément de la sorte signifie dilapider les ressources de manière éhontée et hypothéquer gravement non seulement les prochaines générations, mais aussi celles d’aujourd’hui.

L’accusation rabâchée adressée aux écologistes selon laquelle ils auraient une posture utopiste et irréaliste ne tient plus. C’est plutôt de continuer dans ce cul-de-sac productiviste et consumériste qui est de l’ordre d’une illusion létale.

La situation présente est intenable et exige en effet de la part des gouvernements des actions concrètes à la mesure de l’urgence écologique. Ne pas le faire serait consacrer notre impuissance et consentir à la fatalité, et donc au dessein des grandes forces technocratiques et financières qui contrôlent la planète et profitent encore de cet état de choses. Cependant les politiques publiques, pour être à la hauteur de la situation, doivent être faites au bénéfice de la population et de la société entière et non seulement d’une élite.

Avec la révolte des gilets jaunes en France, on en voit l’importance : ces politiques doivent s’attaquer de front aux structures économiques, industrielles, financières, fiscales qui fragilisent l’environnement et la société, mais sans fragiliser, du même coup, les plus pauvres. Elles exigent d’être accompagnées de mesures sociales et fiscales et du renforcement des services publics universels (notamment le transport en commun). Les mesures écologiques d’envergure doivent tourner radicalement le dos au néolibéralisme qui appauvrit la société et détruit les écosystèmes au profit d’une élite financière toujours plus vorace. Le cri de la Terre et le cri des pauvres ne font qu’un.

L’élan populaire en faveur de l’écologie balaie l’argument qui rime avec démission selon lequel l’adoption de mesures écologiques « trop radicales » dans un pays ne sert à rien si celles-ci ne sont pas aussi adoptées par l’ensemble des autres pays. Car ce que cet élan exprime, au fond, est de l’ordre d’un impératif éthique autant que politique, d’un projet de société qui ne peut être remis à plus tard parce qu’il s’arrime au plus près avec les raisons de vivre. Ne pas s’y engager sous prétexte d’un soi-disant « réalisme » serait vécu comme une véritable trahison, une complicité honteuse avec un processus qui détruit le monde et la vie.

Jean-Claude Ravet

Auteur de la revue Relations.

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