Édition du 26 mars 2024

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Attentats de Paris

L'aveuglement guerrier de Hollande

C’est entendu : ce qui vient d’arriver à Paris, après l’attentat contre Charlie dont le souvenir n’est pas encore éteint, relève de la barbarie absolue. C’est entendu aussi, en tout cas pour moi : la folie sanglante des islamistes radicaux peut s’alimenter à une idéologie religieuse devenue folle. Mais cela ne suffit pas à justifier la stratégie guerrière que Hollande a mise en place en Syrie, et plus largement au Moyen Orient.

Tiré du blogue de l’auteur sur le Club de Mediapart | 14 novembre 2015

D’abord, elle occulte ce qui est réellement en jeu : la situation de peuples opprimés par des dictateurs locaux, religieux ou pas, mais, surtout, exploités directement ou indirectement par l’impérialisme occidental à travers l’appui intéressé et ignoble apporté à des pétromonarchies (Arabie Saoudite, Qatar) qui foulent aux pieds les droits de l’homme et la démocratie, mais dont nous avons besoin du pétrole. A quoi s’ajoute un jeu subtil et hypocrite d’interventions multiples, avouées ou dissimulées, dans cette région et depuis des années, qui renforcent, à l’occasion des désordres ainsi provoqués, la rivalité des sunnites et des chiites, au point d’arriver à susciter des extrémistes et à les armer. Enfin, Hollande (comme de nombreux chefs d’Etat) a une conception instrumentale de la politique étrangère qui m’indigne : non seulement il l’utilise au service des intérêts économiques et géopolitiques de la France, mais, par des coups d’éclat ou des postures emphatiques, il y voit un moyen de redorer son blason aux yeux de l’opinion publique quand sa côte de popularité est en baisse ou au plus bas. Tactique classique, qui frise le machiavélisme (au sens courant du terme) et indique qu’il n’a aucune vision d’ensemble du monde et des malheurs qui le rongent, ni aucune ambition pour aider à y mettre fin. Ne l’a-t-on pas vu soutenir le roi du Maroc, pays où la liberté d’expression est régulièrement bafouée, alors qu’il prétend la défendre partout ? On est loin de la stature d’homme d’Etat que possédait un de Gaulle, avec une conception des rapports internationaux digne d’intérêt, quelle que fussent les désaccords qu’on pouvait avoir avec lui par ailleurs.

Et puis, il faut carrément le dire à la suite de nombreux spécialistes qui ont osé s’exprimer sur ce sujet : les frappes aériennes visant Daech en Syrie sont totalement inutiles sur le long terme tant l’armée des djihadistes constitue une armée volatile et insaisissable (c’est le cas de tous les groupes terroristes) qui, si elle disparaît ici, renaît ailleurs. Mais surtout, cette stratégie meurtrière qui vise à éliminer des ennemis fanatisés et répète en un sens l’horreur qu’ils commettent à notre égard, est absolument contreproductive car elle va alimenter encore plus leur fanatisme et leur haine – comme elle vient précisément de le faire. En agissant ainsi, Hollande est un irresponsable : il nous désigne comme l’ennemi à abattre à tout prix et le communiqué de Daech assumant les massacres de Paris l’indique explicitement puisqu’il fait allusion aux frappes aériennes en Syrie ; et aucun argument ne saura amener ces fanatiques à changer tant le propre du fanatisme est d’être insensible à l’argumentation rationnelle ou morale.

C’est donc à un changement complet d’approche et de stratégie qu’il faut impérativement procéder, sous peine d’aller vers les pires catastrophes dont personne n’aurait pu soupçonner l’éventualité au siècle dernier et dont personne ne peut prédire la gravité future. Cela suppose, comme je l’ai entendu sur une radio, non de voir dans Daech le mal, mais le symptôme du mal, à savoir : la situation faite aux peuples du Moyen Orient par l’Occident capitaliste dans son ensemble, tous pays confondus. C’est le malheur économique, social et politique, qui engendre la haine l’égard de ceux qui le provoquent, quelle que soit la responsabilité, aussi, des motifs religieux qu’elle se donne. C’est donc à ce mal-là qu’il faut songer d’abord, une fois l’indignation passée : il faut l’analyser avec lucidité, ne pas se raconter d’histoires, en repérer les multiples variables et les divers responsables, et s’engager courageusement à le traiter, quel que soit le poids des intérêts qu’il faudra mettre en cause. La paix suppose que l’on renonce tous à nos égoïsmes matériels et non qu’on mette le drapeau de la morale sur nos interventions guerrières.

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