Édition du 23 avril 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

L’énigme du NPD

En août prochain, le Forum social des peuples du Québec, du Canada et des Premières Nations doit réunir à Ottawa des militants et des militantes des divers mouvements populaires habitant ce territoire qui s’appelle le Canada. C’est un projet, qui mijote depuis 10 ans, a pour but de commencer un dialogue entre les divers mouvements, un dialogue qui n’existe pratiquement pas.

Face à la révolution Harper

Un facteur facilitant, si on peut dire, est le fait que tout le monde est interpellé par les conséquences de la « révolution de droite » animée par le gouvernement de Stephen Harper. En effet, Harper veut changer quelques-uns des fondements de la gouvernance canadienne, un peu comme l’ont fait dans leurs contextes Ronald Reagan (États-Unis) et Margaret Thatcher (Angleterre), et dont les résultats ont été désastreux pour les mouvements et les classes populaires. Comment bloquer ce projet, c’est sans doute la question qui traverse l’esprit des gens de bien des secteurs et régions. Dans cette question se trouve posée l’équation politique. Quelles sont les conditions qui permettraient aux mouvements de non seulement défier Harper, mais de proposer une alternative ? Réalistement, au niveau politique électoral, la seule option est celle du NPD. Mais ce n’est pas une option évidente pour plusieurs secteurs militants. En effet, l’expérience du NPD, comme opposition ou encore dans le cadre des gouvernements provinciaux que le NPD a mis en place ces dernières années, n’est pas vraiment convaincante. Maintenant que le NPD est devenu l’opposition officielle en captant le vote au Québec (43 % du vote populaire !), le dilemme pour les mouvements est plus pressant. Que faire avec le NPD dans le contexte de la nécessaire lutte contre la « révolution Harper » ?

Bref rappel sur la social-démocratie au Canada

Le Canada depuis sa naissance a toujours été gouverné par des partis représentant l’establishment. L’« alternance » entre les « bleus » (conservateurs) et les « rouges » (libéraux) a été un positionnement entre deux partis et deux options des élites. Mise en place en 1933 sous le nom de Co-operative Commonwealth Federation (CCF), la social-démocratie canadienne est restée relativement minoritaire, contrairement à ce qui s’est passé en Europe. La défense de l’État-providence, la mise sur la table d’un projet universel d’assurance-maladie, une fiscalité progressive, la défense des couches populaires, furent alors la marque de commerce. Plus tard dans les années 1960, le CCF devient le NPD, avec l’appui des syndicats notamment. L’objectif est de constituer un vaste regroupement de centre-gauche capable de confronter le gouvernement de l’époque du Parti progressiste-conservateur. Le nouveau chef du NPD est le populaire Tommy Douglas, ex premier ministre de la Saskatchewan.

La question québécoise

D’emblée, le NPD (et son ancêtre le CCF) affiche ses couleurs fédéralistes. Plus encore, il est partisan d’un gouvernement fédéral « fort », capable d’imposer des politiques sociales progressistes d’un bout à l’autre du pays. Assez rapidement, cette inflexion heurte les militants québécois investis dans l’aventure sociale-démocrate. Des syndicalistes comme Fernand Daoust et des intellectuels décident de quitter le NPD pour mettre en place diverses formations politiques dont le Parti socialiste du Québec (PSQ), à la fois social-démocrate et indépendantiste. Pendant plusieurs années, le NPD est quasi absent de la scène québécoise.

Gouvernance provinciale

Parallèlement, le NPD parvient au pouvoir en Colombie-Britannique, en Saskatchewan, au Manitoba et plus tard, en Ontario, Nouvelle-Écosse et au Yukon. La Saskatchewan est la première province à mettre en place un programme public de soins hospitaliers. En Colombie-Britannique, le gouvernement néo-démocrate impose un monopole étatique dans le domaine de l’assurance-auto. Il hausse les redevances minières. Au Manitoba, divers gouvernements du NPD adoptent une loi anti-scab. Mais la politique du NPD est vacillante. Au tournant des années 1970, les sociaux-démocrates appuient l’imposition de contrôle des salaires par le gouvernement fédéral de Trudeau. Un peu plus tard, des gouvernements NPD deviennent obsédés par la lutte contre les déficits. En Ontario, le gouvernement NPD de Bob Rae (1990-95) abroge des droits de négociation collective et impose de sévères coupures dans les services publics. Devant ce tournant, plusieurs grands syndicats canadiens comme les TCA rompent leurs liens avec le NPD.

L’impulsion de Jack Layton

En 2003 avec l’élection de Jack Layton, le NPD connaît un rebond. Sans effectuer de changement sur le fonds, Jack propose des réformes modestes en matière de soins de santé, de pensions publiques, de transport en commun et de logement, ce qui distingue clairement les néo-démocrates des conservateurs de Stephen Harper. En même temps, le NPD s’engage à ne pas augmenter les taux d’imposition des grandes entreprises au-dessus de ceux imposés aux États-Unis. En tout cas, le message de Jack passe bien grâce à sa personnalité attachante, d’où les résultats de 2011, notamment au Québec. En fin de compte, la population québécoise refuse très majoritairement le projet de Harper. Elle n’est pas encline à appuyer le Parti libéral, encore entaché des pratiques de corruption mises en place dans les années 1990. Le Bloc Québécois apparaît usé, comme d’ailleurs le PQ. Le NPD fait « oublier » ses appuis au « fédéralisme fort », au rapatriement de la constitution en 1982 contre la volonté du Québec et sa participation au camp du « non » lors des référendums de 1980 et de 1995.

Lors de son congrès de 2006, la petite section québécoise du NPD adopte le texte aujourd’hui connu sous le nom de la « Déclaration de Sherbrooke », qui est par la suite entérinée par le NPD fédéral. Même si elle ne va pas très loin, la Déclaration reconnaît au moins le « droit à l’autodétermination » et même le droit du Québec de se séparer dans l’éventualité d’un référendum qui serait adopté par de 50 % + 1 des électeurs et électrices.

Des lendemains incertains

Depuis l’arrivée de Thomas Mulcair à la tête du NPD, le dilemme demeure ouvert. Face aux questions sociales, le parti reste timide, dans la lignée des gouvernements provinciaux administrés par le NPD. Il faut dire que, face à Harper, cela semble très à gauche ! D’ailleurs au Canada anglais, les médias parlent du NPD comme si c’était une grave menace socialiste ! Mais dans les faits, Mulcair mise sur une évolution à droite, dans le but de gagner les électeurs « au centre », qui sont traditionnellement la clientèle du Parti libéral. Mulcair, ex-ministre du gouvernement libéral de Jean Charest, ex-avocat d’Alliance-Québec, bien connu pour sa défense inconditionnelle d’Israël et son appui à l’ALENA, pense qu’il peut gagner son parti et même éventuellement faire alliance avec le Parti libéral. On peut donc comprendre qu’il n’existe pas beaucoup d’enthousiasme parmi les mouvements populaires et syndicaux, même si plusieurs pensent qu’il faut se rallier, si ce n’est que pour bloquer Harper. Au Québec, l’opinion est également partagée. La belle performance de syndicalistes comme Alexandre Boulerice face aux assauts de Harper contre le monde du travail permet de penser que le vote progressiste ira majoritairement au NPD, à moins d’une remontée miraculeuse du Bloc Québécois (peu probable). Il se pourrait que le NPD cependant perde plusieurs comtés où la remontée du Parti libéral déplace l’appui de secteurs centristes dans des régions comme l’ouest du Québec et la capitale nationale.

Il faut en discuter !

Lors du Forum social des peuples, l’idée de base est de se connaître et éventuellement de se concerter. Il y a d’immenses batailles à penser, que cela soit dans le domaine du travail ou de l’environnement. Mais la question politique sera également très présente. Traditionnellement, les progressistes du Canada anglais n’ont pas été trop intéressés par ce qui se passait au Québec et on peut dire que c’est un peu la même chose du côté québécois. La question nationale, notamment le droit à l’autodétermination, n’est ni connue ni aimée au Canada anglais, pour toutes sortes de raisons et cet « angle mort » a longtemps empoisonné les relations entre les peuples. Dans quelle mesure le Forum social des peuples permettra-t-il un rapprochement sur cette question ? Également, dans quelle mesure peut-on mesurer les énergies à mettre dans la prochaine campagne électorale fédérale et influencer le NPD pour qu’il soit un peu plus « à gauche » ? Ce sont quelques-uns des thématiques qui pourront être abordées.

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