Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

L’esclavage et le salaire

Être obligé de gagner sa vie est une drôle de situation, comme si la vie ne nous était pas donnée et comme si les personnes qui préfèrent la poésie à la fabrication des matraques méritaient moins d’accès aux fruits de la Terre.

C’est en pensant à cette désolante hiérarchie des valeurs qu’on peut trouver fort à propos la suggestion de Dotation inconditionnelle d’autonomie (DIA) que mettent en avant les objectrices et les objecteurs de croissance, ce qui nous sortirait aussi de la tyrannie du travail salarié.

En effet, la croissance n’est certainement pas la façon de répartir équitablement le travail et ses fruits, puisqu’elle exige toujours plus de consommation pour justifier cette dite croissance, qui en retour nécessite toujours plus de travail pour avoir accès à cette dite consommation.

Depuis le tout début de la mécanisation, il est clair qu’on a besoin de moins en moins de travail. C’est la course au profit qui engage à de plus en plus de travail par de moins en moins de gens, ce qui crée de plus en plus d’exclus pour une somme totale de biens de plus en plus grande, biens dont une large part est futile et dont l’immense majorité est programmée pour durée le moins longtemps possible.

La DIA, qui est une forme plus précise et mieux structuré du revenu minimum garanti, met fin à la course au travail inutile et permet à chacunE de faire des choix plus éclairés. Elle exigera toutefois des discussions démocratiques pour s’assurer que le travail nécessaire et ennuyeux (par exemple les ordures, l’entretien des égoûts, etc.) soit mieux réparti.

Si une forme de revenu minimum garanti est soutenue à la fois à droite et à gauche, c’est qu’il n’a pas la même signification de chaque côté. Pour la droite, il est vraiment minimal, il ne permet pas nécessairement de vivre, mais remplace toutes les aides concernant l’assurance maladie ou médicament, l’aide aux garderies, au logement, etc. et est un prétexte pour renvoyer les femmes à leurs fourneaux.

Pour une gauche bien pensée, la DIA ou allocation universelle comme l’appelle André Gorz, ce revenu minimum donc, afin de bien fonctionner et de ne pas multiplier les inégalités au lieu de les réduire, doit être universel (s’adresser à tout le monde), inconditionnel (ne souffrir aucune exception) et suffisant (il doit permettre de vivre).

Qui voudra travailler, me demande-t-on ? TouTEs les artistes ne demandent pas mieux que d’exercer leur art. Pour ce qui est des emplois lourds et ennuyeux, on a dit plus haut qu’il faudra un système de répartition, sans doute par rotation. Pour ce qui est des autres emplois, si on prend l’exemple des personnes retraitées, on constate qu’elles ne se font pas prier pour exercer des emplois se sentant libres de s’engager. C’est un très bon indice de la tendance des humains à aimer se rendre utiles à leur société et à effectuer des tâches valorisantes.

La question d’un revenu minimal entraîne toutefois par corrollaire celle d’un revenu maximal acceptable. Il devrait y avoir un seuil au-delà duquel toutes les sommes seraient renvoyées à une instance de répartition entre les services d’utilité publique, au premier chef desquels se trouvent les établissements d’éducation et les hôpitaux.

Mais, on ne pourra plus faire de folies ! me direz-vous. Je ne sais pas de combien de folies on a besoin dans la vie ni de quelle nature elles sont, mais quand votre logement est assuré et que votre subsistance l’est aussi, vous seriez étonnéEs des plaisirs qui vous sont encore accessibles : se payer une bonne bouteille, faire un petit voyage, s’offrir une œuvre d’art...

Tout cela est possible et fort différent des excès dont parlait par exemple Gerard Hastings dans une de ses conférences. Vous connaissez les montres qui sont remontées automatiquement par le mouvement que vous faites en les portant, en agissant et en marchant. Il existe par exemple des coffrets qui permettent de conserver jusqu’à quarante de ces montres et qui les agite automatiquement de sorte que vous n’avez plus besoin de vous inquiéter pour les trente-neuf montres que vous ne portez pas au moment où vous en portez une. Est-ce ce genre de folies qu’on a peur de perdre ?

On me dira encore que de telles limites empêcheront les meilleurs d’exceller. C’est un préjugé difficile à prouver. Les gens qui gagnent le plus d’argent sont ceux qui vendent le plus. Est-ce que ça veut dire qu’ils excellent ? Est-ce que les artistes écrivent des chansons pour faire de l’argent ? Ils font des chansons et parfois font de l’argent, la plupart du temps n’en font pas. Les chercheurEs en science fondamentale font des découverts parce que le sujet les passionne pas pour faire de l’argent.

On me dira aussi que cela empêchera les millionnaires de faire des dons aux fondations. Ils n’en auront heureusement plus besoin parce que l’État le fera à leur place. On pourra décider démocratiquement de financer les services publics plutôt que d’espérer que telle ou telle cause soit assez sexy pour attirer les vedettes.

Libérer sa subsistance de l’obligation de vendre sa force de travail, c’est se libérer de l’esclavage du salariat, c’est assurer la justice parce que tout le monde n’a pas la chance de savoir séduire les foules, mais ça demande probablement aussi qu’on limite l’appât du gain.

LAGACÉ, Francis

Francis Lagacé

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