Édition du 26 mars 2024

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Élections européennes

Élections européennes

La gauche est en grand danger

La gauche française et européenne ; la gauche de transformation sociale est en grand danger. Jamais celle-ci n’était apparue aussi divisée, faible et impuissante depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. Sans étoffer l’analyse, il semble évident que les partis de gouvernement (sociaux-démocrates et conservateurs) ont failli à leur responsabilité de représentation démocratique des intérêts du peuple. Les politiques d’austérité, qui torturent les peuples européens, constituent le terreau sur lequel le vote anti-élites est en train de prospérer.

Pas de success story à gauche

François Hollande et le gouvernement Valls, davantage que leurs homologues européens, ont fait entrer la France dans l’œil du cyclone. C’est un parti d’extrême droite à la généalogie fasciste qui a largement remporté l’élection française. Il menace aujourd’hui de faire exploser l’édifice politique. Nul ne sait dans quel état le pays sortira de cette situation, mais le pire n’est plus à exclure.

Je laisse à d’autres le soin d’analyser les ressorts de la percée des forces « eurosceptiques », « populistes » et d’extrême droite en Europe. Je me concentre sur le sort de la gauche, car il y a urgence. Ne nous voilons pas la face : il n’y aucune success story à rapporter de ce côté de l’échiquier politique. En Grèce, Syriza remporte l’élection, mais Nouvelle démocratie, le parti chargé de mettre en œuvre les violentes politiques d’austérité imposées par la troïka, résiste bien et n’est pas (encore) abattue. En Espagne, le recul marqué du PSOE (ainsi que du PP) n’est que partiellement compensé par la percée de Podemos (issu du mouvement des Indignados) et la coalition verte-rouge Izquierda Plural. On notera ici que la bonne tenue de la gauche radicale se fait dans la dispersion des voix de gauche, synonyme d’impuissance politique.

Il va de soi aujourd’hui que les appareils dirigeants sociaux-démocrates, empêtrés dans leur vision néolibérale du monde, n’ont guère l’intention de réorienter leur cap austéritaire. Hier soir, Valls, Moscovici et Cambadélis, après quelques humbles paroles de circonstance, ont rapidement contre-attaqué : c’est « l’Europe » qui serait responsable de la débâcle du PS (et de l’ensemble de la gauche). Aucun d’entre eux n’a fait d’autocritique ou ne s’est penché sur les raisons du rejet radical de la politique du gouvernement. C’est un classique social-démocrate : l’Union européenne va, une fois de plus, servir de bouc-émissaire pour apaiser la colère de la plèbe et après, ce sera business as usual ! Comme dit le proverbe britannique : après avoir infligé une blessure aux Français, le gouvernement socialiste ajoute à leur encontre les insultes. Nul besoin d’être un expert en affaires communautaires pour savoir que le Pacte de stabilité européen a été négocié entre chefs d’États, et que Hollande, reniant sa promesse de campagne, s’est agenouillé devant Angela Merkel le lendemain de son élection.

Il n’y a évidemment rien à attendre de ce petit groupe de carriéristes socialistes aussi droitiers que la vraie droite. Leur trahison du peuple est ignominieuse ; leur politique est directement responsable de l’appauvrissement des Français, et a largement contribué à la résurgence du Front national. Mais n’étendons pas cette féroce critique au-delà de cette oligarchie. S’il faut combattre le microcosme des décideurs socialistes à l’Élysée, à Matignon et à la direction du PS, il ne faut surtout pas tourner le dos à la grande majorité des élus, des militants et des électeurs socialistes qui sont en désaccord profond avec cette politique et qui, de plus en plus, s’y opposent ouvertement.

L’« hypothèse Syriza »

Appelons « hypothèse Syriza » l’idée selon laquelle une social-démocratie défaillante serait sur le point de s’effondrer en Europe, pour être remplacée par une gauche de transformation sociale. Force est de constater que le cas grec crée et démontre l’hypothèse à lui seul. En effet, cette prédiction ne se vérifie nulle part ailleurs en Europe. Quand un parti social-démocrate décline de manière dramatique (comme le PS en France), il tend à emporter l’ensemble des forces de gauche avec lui dans l’abîme. On peut expliquer cet apparent paradoxe : un électorat « modéré » qui vote majoritairement pour la social-démocratie le fait en ayant conscience d’apporter son soutien à un parti et un programme de gauche. Confronté à la trahison sociale-démocrate, l’électeur lambda perd toute confiance envers la gauche sui generis. Il va ainsi, dans nombre de cas, s’abstenir, et parfois voter Front national en signe de protestation. Outre que le programme plus « radical » du Front de gauche n’attire pas spontanément l’électeur « modéré », il hésitera à se rapprocher d’une autre force de gauche qui a échoué à démontrer qu’elle pouvait nouer des alliances avec les sociaux démocrates qui pourtant s’opposent à la trahison de leurs chefs.

Aussi droitier et impopulaire que puisse être ce gouvernement « socialiste », les faits ont tordu le cou à l’« hypothèse Syriza ». À l’exception de quelques pays européens (France, Pays-Bas), les partis sociaux-démocrates font plutôt de bons scores. Ils remportent même les élections dans certains pays (Portugal, Italie, Suède, Malte). La preuve est faite que la social-démocratie, aussi discréditée soit-elle, demeure aux yeux du peuple, nolens volens, la principale force de gauche en Europe ; celle qui, en dépit de ses graves défauts et trahisons, semble être la mieux placée pour offrir une protection contre les attaques de la droite réactionnaire ou fascisante. La gauche radicale doit tirer les enseignements de ce constat et construire une nouvelle stratégie politique sur cette base.

Le 14 mai, lors d’un débat des dirigeants de gauche organisé par Mediapart, Jean-Luc Mélenchon a d’ailleurs reconnu qu’il ne croyait plus à l’« hypothèse Syriza » : « Toute la gauche recule ensemble, j’en suis conscient ». Peu relevé par les commentateurs, cet aveu est pourtant important. Il semble marquer le discrédit de l’idée selon laquelle l’anéantissement du PS était imminent, et que la gauche de gauche allait devenir le nouveau bloc hégémonique à gauche. Je reconnais volontiers que la politique du gouvernement aura à terme le même effet sur le PS qu’avait eu la guerre d’Algérie sur la SFIO. Mais un PS moribond entrainera dans sa chute finale l’ensemble de la gauche française.

Une riposte unitaire et concrète

Que faire ? Le Front de gauche doit de toute urgence revoir sa stratégie politique qui ne marche pas. La démarche sectaire classe contre classe dans les années 20 n’a pas affaibli la SFIO, mais a failli faire disparaître le PCF. Aujourd’hui, le bashing socialiste sui generis discrédite ceux qui le pratiquent, et écarte de notre combat les socialistes prêts à basculer dans une critique plus virulente du gouvernement.

Le renouveau de la gauche ne se fera pas contre le PS dans son ensemble, mais avec les forces socialistes (nombreuses) qui s’opposent à la politique d’austérité du gouvernement. Il ne doit y avoir aucun préalable à un rassemblement rouge-rose-vert. Chacun doit pouvoir contribuer à cet effort collectif depuis son organisation de gauche, quelle qu’elle soit. Les attaques et remarques méprisantes à l’endroit des socialistes sont totalement contre-productives et doivent cesser immédiatement. Il faut respecter l’affiliation, la culture et le processus de maturation politique de chacun.

C’est le sens du manifeste des « Socialistes affligés » que j’ai signé avec Liêm Hoang Ngoc. Liêm est un dirigeant national du PS, je suis pour ma part un compagnon de route du Front de gauche. [1] Des états généraux de l’ensemble de la gauche doivent être organisés rapidement. Ceux-ci doivent avoir une finalité pratique, entièrement tournée vers la riposte politique. Ces échanges ne doivent pas s’arrêter sur ce qui divise et fâche à gauche : appartenance partisane, stratégies et erreurs du passé de chacun ou autres palabres idéologiques dont se contrefichent les Français.

Cette assemblée de la gauche rouge-rose-verte doit permettre la mise sur pied d’un cadre démocratique de débats qui permettra d’aboutir à un accord sur un petit nombre de mesures concrètes : 32 heures, réforme fiscale, séparation des banques, sauvetage des retraites, défense et revalorisation du Smic, contrôle des licenciements, recrutement de fonctionnaires dans les hôpitaux et l’enseignement public, transition énergétique, 6e république. Des positions communes existent du Front de gauche à la gauche socialiste sur des sujets qui concernent au plus haut point les Français. Une telle démarche unitaire permettrait à la gauche de reprendre la main et de regagner la confiance de l’électorat de gauche. La gauche pourrait ainsi enrayer la spirale de la défaite, du désenchantement et de la démobilisation.

Edwy Plenel, dans le « Direct Mediapart » hier soir s’emportait contre une gauche française « désunie, sectaire, de chapelles ». Il a raison, hélas. Chacun, dans le Front de gauche et dans la gauche socialiste, doit balayer devant sa porte. Cela presse, sinon la catastrophe annoncée deviendra réalité.

Note

[1] Liêm Hoang Ngoc, Philippe Marlière, « Le manifeste des Socialistes Affligés », Mediapart, 11 mai 2014, http://blogs.mediapart.fr/blog/socialistes-affliges/110514/le-manifeste-des-socialistes-affliges

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