Édition du 12 mars 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Débats : quel soutien à la lutte du peuple ukrainien ?

Arrive le premier anniversaire de la barbare guerre russe contre l’Ukraine

Le Canada doit faire mieux, plus vite y compris en armements

Nous ne vivons pas dans un monde sans guerre, tant s’en faut. Intenses en Ukraine, en Birmanie, au Yémen, hier encore Éthiopie, la « plus meurtrière du XXIe siècle » avec ses 600 000 morts selon Amnistie internationale, elles sont larvées et sans fin en Palestine, en Syrie, au Kurdistan, au Soudan du Sud que seul le Pape semble ne pas oublier, au Sahel, dans l’est du Congo-Kinshasa avec plusieurs millions de morts depuis des dizaines d’année.

Elles n’ont pas cependant toutes les mêmes poids politiques et économiques. Ce qui caractérise la guerre ukrainienne, et l’isole du lot,

• C’est qu’elle se situe en Europe, alors que les autres sont dans ce qu’on appelait le tiers-monde ;
• Qu’elle concerne uniquement des peuples « blancs » contrairement aux autres à peu de choses près dans certains cas ;
• Qu’elle concerne directement une grande puissance qui s’implique becs et ongles et non marginalement comme la France au Sahel et la Russie en Syrie … mais de plus en plus par ses mercenaires en Afrique ;
• Qu’elle est uniquement une guerre « traditionnelle » entre États et non une guerre civile ou de plus en plus hybride comme au Yémen (Arabie saoudite), en Éthiopie (Érythrée), au Sahel (France, Russie), en Syrie (Russie, Iran, Liban) ;
• Qu’elle synthétise les grandes guerres du vingtième siècle qu’elles soient mondiales (des grandes puissances qui envahissent des pays limitrophes) soit coloniales quoique ces guerres concernaient des pays non limitrophes du dit tiers-monde ;
• Qu’elle a un impact sur l’économie mondiale dont elle perturbe les marchés énergétique et alimentaire mais surtout ceux des pays dépendants ;
Last but not least, qu’elle donne un coup de pied dans l’équilibre en transformation de la géopolitique mondiale, requinquant l’OTAN, affaiblissant l’OTSC, ébranlant le rapprochement Chine-Russie, écartelant les alliances des BRICS et compagnie, ramenant l’attention des ÉU sur l’Europe après qu’ils se sont difficilement extirpés du Moyen-Orient pour se centrer sur l’Indo-Pacifique.

Pour la première fois depuis le Vietnam, l’appui populaire à la libération est à l’ordre du jour

Pour le meilleur et pour le pire, cette guerre a touché le coeur des peuples dit occidentaux et l’intérêt stratégique de leurs gouvernements. Avec raison, on a dénoncé le fait que les peuples et gouvernements « blancs » ne se soucient que de leurs semblables, en particulier ceux européens des européens. Ce n’est cependant qu’un côté de la médaille. Car enfin, surtout en Europe, une question internationale, particulièrement de guerre et paix, s’immisce au sein des préoccupations politiques à la fois majeures et populaires, en plus dans le sens de la solidarité avec la lutte de libération nationale d’un peuple envahi par une puissance impérialiste. On avait pas vu ça depuis la guerre du Vietnam, où les « boys » étasuniens risquaient leur vie, même si cette fois-là les ÉU étaient davantage concernés que l’Europe. (Les guerres dans l’ex Yougoslavie ont certes été au centre de l’actualité mais elles n’impliquaient pas de « boots on the ground » des pays impérialistes sauf des casques bleus bien passifs.)

Évidemment, cette fois-ci les « méchants » ne sont pas les ÉU, l’impérialisme dominant, mais la Russie, un impérialisme secondaire luttant désespérément pour sa place dans l’ordre hiérarchique impérialiste. La perte de leur colonie ukrainienne, tsariste puis stalinienne, aussi importante pour la Russie que le Québec l’est pour le Canada, la réduirait à terme, suite à sa désindustrialisation sauf pour l’armement, à un puissance de l’énergie fossile dont les jours sont maintenant comptés avec les énergies renouvelables désormais plus rentables. Les oligarques, dont Putin est le chef de file, qui sortent leurs capitaux de la Russie à la pelle, compromettant par-là l’accumulation du capital en Russie, ne s’y sont pas trompés.

Une défaite russe en est une de l’impérialisme global ce qui pousse à la démocratisation mondiale

Par contre, s’imaginer qu’une victoire russe ferait le jeu des ÉU est ne pas saisir qu’une défaite russe serait d’abord et avant tout une victoire mondiale des peuples contre la coterie impérialiste ce qui est bien plus crucial que le renforcement de l’impérialisme étatsunien aux dépens de la Russie. La défaite de l’impérialisme étasunien tant par les peuples irakien qu’afghan, après celle du Vietnam jadis, serait consolidée par celle de l’impérialisme russe. Que les régimes irakien et afghan n’aient rien de démocratiques et pire encore — en y ajoutant si l’on veut la consolidation néostalinienne du Vietnam — démontre les conséquences barbares des guerres impérialistes et oublie de constater qu’un pays sans menace d’invasion crée les conditions politiques favorables à un règlement de compte populaire à l’encontre des classes dirigeantes nationales.

Une défaite russe accroîtrait les chances d’une démocratisation tant de la Russie, sur le chemin d’une dictature fascisante, que de l’Ukraine, une démocratie très néolibérale dont la défaite ouvrirait la porte à la domination de l’ultra-nationalisme revanchard. (Le mythe d’une Ukraine fasciste suite à une révolte fasciste en 2014, issu de la propagande russe, ignore le score électoral dérisoire des partis fascistes ukrainiens depuis lors tout comme la conquête bien réelle en 2014 par les sbires russes de la Crimée et d’une partie du Donbass ce qui a valu à la Russie une tape sur les doigts et à l’Ukraine un modeste soutien étatsunien.) Faut-il ajouter que plus la guerre se prolonge, faute d’un appui massif tous azimuts à l’Ukraine et non pas à cause d’absence illusoire de négociations-capitulation qui renforcerait le va-t’en-guerre russe, plus grandes seront les souffrances et plus grands seront les risques de dérapage.

Contrairement à la guerre du Vietnam, le Canada comme les ÉU supportent le gouvernement ukrainien qui a lui-même, particulièrement son président, l’appui de la grande majorité de la population malgré une inhérente corruption du régime et un parti-pris pro-oligarque et anti-syndicat, ce qui bien sûr affaiblit l’unité nationale anti-impérialiste. Tout comme la gauche ukrainienne, la gauche et les démocrates occidentaux doivent appuyer la résistance ukrainienne et critiquement son gouvernement jusqu’au rejet total de l’armée russe hors d’Ukraine à moins que le peuple et le gouvernement ukrainiens en décident autrement étant donné le coût humain et matériel de la barbarie russe résolue à oblitérer l’Ukraine et pour qui négocier ne serait que gagner du temps ce qui n’est pas en ce moment pour elle à l’ordre du jour.

L’appui canadien est à la remorque de celui des ÉU tentés par le pacifisme à la Munich

Le Canada a jusqu’ici reçu environ 150 000 personnes réfugiées ukrainiennes par rapport à une acceptation de plus de 500 000 sur une demande de plus de 800 000. Et il y a aussi pas mal de personnes de Birmanie, du Yémen, de Syrie, surtout après le dévastateur tremblement de terre qui a frappé la ville martyre de Alep, qui auraient besoin d’un refuge canadien. Il faut réclamer de faire mieux et plus vite en plus d’exiger l’annulation de la dette extérieure, à commencer par celle canadienne, et non seulement se contenter d’un moratoire sur le remboursement. Ce n’est pas un prêt de deux milliards $ qu’il aurait fallu faire, et plus encore, mais carrément un don. Idem pour la résistance démocratique birmane. La pression de l’importante minorité ukrainienne au Canada et l’alignement de plus en plus prononcé de l’impérialisme junior canadien sur celui hégémonique étatsunien font en sorte que le soutien canadien à l’Ukraine est parmi les plus élevés en termes de PIB, à l’exception des traumatisés pays limitrophes à la Russie. Il n’en reste pas moins que le soutien militaire, étant donné que le Canada n’a pas besoin de son matériel militaire sauf pour des aventures comme partenaires junior de l’impérialisme étatsunien en Afghanistan et ailleurs, pourrait être bien supérieur à un peu plus d’un milliard $ et quatre tank Léopard-2 alors que le Canada en possède une vingtaine.

Pour beaucoup de progressistes canadiens et québécois, pétris de pacifisme ou obnubilés par les ÉU-OTAN qui à eux seuls seraient le Mal incarné, le soutien militaire à l’Ukraine est anathème. Façon de dire que l’Ukraine devrait se laisser écrasée puis vivre sous la botte de la Russie qui, encouragée comme Hitler le fut par les Accords de Munich, poursuivrait de plus belle ses conquêtes territoriales pour reconstituer l’empire tsariste-stalinien. Inutile de dire que le danger de guerre nucléaire s’en trouverait décuplé. D’ailleurs les hésitations canado-étatsuniennes à soutenir plus fortement l’effort de guerre ukrainien, au même niveau que l’URSS et la Chine de Mao avaient appuyé le Vietnam, n’ont rien à voir avec le danger de guerre nucléaire, tout aussi présent lors de la guerre du Vietnam, qu’avec la peur des possibles conséquences politiques d’une victoire du peuple ukrainien tant vis-à-vis l’Ukraine que la Russie, ce qui pourrait mettre le feu à toute la plaine. C’est d’ailleurs la même peur qui minimise le soutien à la résistance birmane par les pays impérialistes et limitrophes malgré qu’elle soit strictement démocratique.

Marc Bonhomme, 6 février 2023
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca

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