Ce film a été réalisé en vue de commémorer le vingtième anniversaire de la célèbre révolte des matelots du cuirassé Potemkine. Cette œuvre a été commanditée par une Commission de l’État soviétique dirigé à l’époque par le Parti communiste russe. Œuvre de propagande ? La question mérite d’être posée.
Un peu d’histoire
En 1904-1905, la Russie est en guerre contre le Japon. La flotte russe encaisse une succession de défaites et capitule devant la force militaire nipponne. Parallèlement à ce conflit armé, des mouvements locaux de révoltes explosent un peu partout dans le pays de Nicholas II (grèves ouvrières, révoltes paysannes, marche des ouvriers de Saint-Pétersbourg en janvier 1905 qui sera réprimée dans le sang, mutinerie en juin et juillet de 1905 sur le cuirassé Potemkine, etc.). Les conditions d’existence à bord du cuirassé sont insupportables.
Les marins doivent manger de la viande avariée. Ils refusent de mettre dans leur bouche la soupe préparée à partir de morceaux de viande impropres à la consommation humaine. Le capitaine décide de réprimer très sévèrement le climat d’agitation qui se propage à bord de son bateau. Il ordonne aux marins de se mettre au garde-à-vous et réclame une bâche. Il fait couvrir de cette toile des meneurs de la désobéissance et ordonne qu’ils soient fusillés. La situation se renverse. Ce sont plutôt plusieurs officiers qui sont abattus ou jetés par-dessus bord. La population de la ville d’Odessa prend position en faveur des mutins.
La division du film
Ce film est la deuxième réalisation d’Eisenstein. Il n’a que 27 ans quand il le tourne. Il se divise en cinq actes :
1. À bord du Cuirassé Potemkine, il règne une discipline stricte et rigide. Des matelots refusent de manger la nourriture préparée à partir de morceaux de viande en état de décomposition avancée.
2. Le capitaine en condamne un certain nombre à être fusillés. Au moment où ils doivent être exécutés, le matelot bolchevique Vakoulintchouk parvient à empêcher leur mise à mort et la situation se renverse à l’avantage des marins-mutins. Des officiers sont jetés par-dessus bord ou tirés dessus. Les matelots prennent le contrôle du bateau.
3. Pendant l’affrontement, Vakoulintchouk est tué. Son corps est exposé sur un quai du port d’Odessa. La population de la ville manifeste sa solidarité à l’endroit des marins.
4. Un détachement des troupes d’infanterie du tsar se prépare à réprimer la révolte populaire. Alors que la foule en colère se disperse, une partie des personnes attroupées, en état de panique, se fait impitoyablement massacrer dans les escaliers d’Odessa.
5. L’équipage du Potemkine fait feu sur le Quartier général. La flotte amirale est mobilisée en vue d’anéantir les insurgés. Après un moment de situation d’attente angoissée, elle laisse finalement passer le cuirassé rebelle qui se défile et réussit à s’enfuir en mer.
L’impact de cette œuvre cinématographique
Le cuirassé Potemkine est au cinéma ce que Guernica de Picasso est à la peinture : une authentique icône dans l’imaginaire symbolique de la résistance progressiste. La scène de l’escalier, qui dure un bon six minutes, a fait l’objet de citations dans plusieurs films (Partner de Bernardo Bertoluci ; Speed de Jan de Bont ; The Untouchables de Brian de Palma). Le génie d’Eisenstein réside dans le fait qu’il a voulu appliquer la dialectique hégéliano-marxiste (thèse-antithèse-synthèse) au montage cinématographique. L’affrontement entre deux forces opposées débouche ici sur la victoire des opprimés. Les héros sont le peuple qui affronte les troupes du tsar et les marins du Potemkine qui combattent collectivement contre les officiers du bateau qui se comportent en dictateurs.
À la fin du visionnement de ce film vous vous direz que l’approche d’Eisenstein de la pars pro topo (« une partie pour le tout » ou l’usage de la synecdoque) qu’il veut reproduire à l’écran, est d’une efficacité redoutable. Vous vous direz également que l’histoire est faite de mille et une choses : tantôt de victoires populaires et tantôt, hélas, de défaites.
Yvan Perrier
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