Montréal, 25 avril 2012, Peu après le Jour de la Terre, une quinzaine de groupes écologistes communautaires lancent un cri du coeur. Ils rappellent que onze ans après l’adoption de la politique de reconnaissance de l’action communautaire, le soutien au secteur environnemental n’a cessé de diminuer, jusqu’à atteindre un seuil critique, et ce malgré de nombreuses pressions. Les groupes écologistes font maintenant le constat d’une stratégie délibérée du gouvernement libéral pour museler l’opposition à ses projets controversés, comme les gaz de schiste, la réfection de Gentilly-2 et le Plan Nord.
Une politique prometteuse
En 2001 le gouvernement adoptait la politique L’action communautaire : une contribution essentielle à l’exercice de la citoyenneté et au développement social du Québec[1], de concert avec le milieu communautaire. En octobre 2011, lors d’un colloque soulignant les dix ans de la politique, l’ensemble des secteurs du milieu communautaire reconnaît que malgré certaines faiblesses, cette politique a été bénéfique pour tous les secteurs. Tous, à l’exception du secteur environnemental, dont la reconnaissance et le financement se sont détériorés depuis 2001.
« Ce que la politique dit, » spécifie Yvan Croteau du Regroupement écologique de Val-d’Or et des environs, « c’est que le gouvernement valorise l’autonomie des groupes, c’est-à-dire le pouvoir de déterminer sa propre mission, de s’exprimer librement et, au besoin, de critiquer le gouvernement. C’est la base de la démocratie. De plus, la politique stipule que non seulement les différents ministères doivent financier l’action communautaire autonome, mais ils doivent aussi prioriser un financement à la mission globale, ce qui assure une stabilité aux organismes, contrairement au financement par projet. »
En 2010-2011, dix huit ministères contribuaient à l’action communautaire en finançant 5 089 organismes pour une moyenne de 102 357$ à la mission globale par organisme.
Une question de répartition
Tandis que le Ministère de l’Environnement, du Développement durable et des Parcs (MDDEP) se défend de respecter la politique, une lecture attentive des derniers rapports porte à tracer une tout autre conclusion.
Depuis 2005, il n’y a plus de financement à la mission globale pour les groupes écologistes à l’échelle locale. Maintenant, selon les chiffres les plus récents, 95% du financement à la mission globale est attribué à deux types d’organismes : les Conseils régionaux d’environnement (CRE) et les Organismes de bassins versants (OBV).
« Les CRE et les OBV sont des organismes de concertation, ce qui est bien beau, mais ce ne sont pas des groupes de base, » précise François Lapierre de l’Association de protection des Hautes-Laurentides. « En plus, des élus municipaux siègent sur plusieurs de leurs conseils d’administration. Ça va à l’encontre de la définition d’un organisme communautaire, mais le MDDEP s’en lave les mains. »
Henri Jacob de l’Action Boréale ajoute : « Plusieurs perçoivent ces organismes ’para-municipaux’ comme des ’coquilles vide’ rattachées au pouvoir. Ils servent, involontairement ou non, d’instruments de désinformation, je dirais même de ’greenwashing’ médiatique. Pendant ce temps-là, les autres groupes nationaux se partagent des miettes et les groupes locaux n’ont rien. Ça ne fait aucun sens ! »
Deux joueurs manquent à l’appel
Au-delà de la mauvaise répartition du financement accordé aux groupes écologistes par le MDDEP, on remarque que deux ministères ne sont toujours pas au rendez-vous en ce qui concerne la politique d’action communautaire.
« C’est inacceptable que le Ministère de l’Agriculture, des Pêches et de l’Alimentation (MAPAQ) et le Ministère des Ressources naturelles et de la Faune (MRNF) ne contribuent d’aucune façon au financement des groupes d’action communautaire autonome, » commente Michel Leclerc des AmiEs de la Terre de Québec. « Pendant que le MDDEP ne reçoit que 3,5% du budget accordé aux ministères, le MAPAQ et le MRNF reçoivent à eux deux 25% du budget total. C’est huit fois plus ! Et même si leur domaine d’intervention touche directement l’environnement du Québec, ils ignorent complètement les groupes écologistes communautaires. »
Les coffres grands ouverts pour l’industrie
Il n’y a pas eu de surprise au dévoilement du dernier budget Bachand : le gouvernement coupe dans l’éducation et dans la santé tout en investissant massivement dans les industries extractives et dans le secteur privé. Une étude de l’Institut de recherche et d’information socio-économique (IRIS) intitulée À qui profite le Plan Nord ?[2] vient toutefois démentir le mythe selon lequel le Plan Nord sera la grande panacée qu’espère le gouvernement libéral. Selon cette étude, les compagnies vont effectivement s’enrichir, mais c’est la population du Québec qui va recevoir la facture.
« C’est un choix politique, » explique Marilyne Tovar de SOS Levasseur. « C’est se demander quelle société on veut au Québec. Est-ce que l’on veut ce modèle colonialiste extractif où une minorité s’enrichit aux dépens de l’environnement et du bien commun ? Ou est-ce qu’on a une vraie vision à long terme, qui inclut la fragilité des écosystèmes et le bien-être des générations futures ? Bâtir une société réellement durable, ça veut dire protéger l’environnement et renforcer les communautés. Les groupes écologistes communautaires ont un rôle clef là-dedans, autant parce qu’ils émergent des citoyens et citoyennes que parce qu’ils aident à transformer nos préoccupations en actions, à créer des alternatives, à se soutenir et à partager nos savoirs.
« Encore faut-il que ces groupes puissent exister, » mentionne Priscilla Gareau d’Ambioterra. « Quand il n’y a pas d’appui financier, tout le monde est bénévole, et ça ne fait pas des organismes bien forts. Au Québec, il y avait jadis plus de 500 groupes écologistes. Après les coupures de 2005, ça a dégringolé à près d’une centaine. Chaque année on en perd. »
Des critiques nécessaires
En s’opposant aux nombreux projets controversés des libéraux (ex. le Suroît, la réfection de Gentilly-2, les gaz de schiste, l’uranium, le harnachement de la rivière Romaine, le Plan Nord), les groupes écologistes semblent s’être attiré le courroux du gouvernement Charest. Toutes les pressions pour rehausser et rééquilibrer le financement des groupes sont tombées lettres mortes.
« Le principe d’une guerre d’attrition, » conclut Jacinthe Leblanc du Réseau québécois des groupes écologistes, « c’est qu’au lieu d’affronter directement ton opposant, tu lui coupes l’herbe sous le pied. En faisant tout pour nous écarter du paysage, le gouvernement libéral n’enfreint pas seulement la politique d’action communautaire : il met aussi au rancard la santé de la population, l’intégrité du territoire et l’avenir des générations futures.
Signataires :
Action boréale de l’Abitibi-Témiscamingue (ABAT)
Action RE-buts
Ambioterra
Amies de la Terre de Québec (ATQ)
Association de protection environnementale des Hautes-Laurentides (APEHL)
Cyclo Nord-Sud
Fondation Rivières
Héritage Saint-Bernard
Organisme de Récupération Anti-Pauvreté de l’Érable (ORAPÉ)
Maisons la Virevolte
Poids Vert de Rimouski-Neigette
Projet ÉCOSPHÈRE
Regroupement écologique de Val-d’Or et des Environs (REVE)
Réseau québécois des groupes écologistes (RQGE)
SOS Levasseur
Union Saint-Laurent Grands Lacs