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Hongrie

Le résultat du référendum anti-migrant n’est qu’un demi-échec pour Orbán

3 octobre 2016 | tiré de médiapart.fr

Le seuil de 50 % de participation n’a pas été atteint lors du référendum de ce dimanche 2 octobre en Hongrie. Les électeurs étaient sommés de se prononcer contre la politique européenne de quotas de répartition des réfugiés. En réalité, cela fait longtemps que le premier ministre hongrois a gagné cette bataille à Bruxelles.

Pour le pouvoir à Budapest, c’est à la fois une victoire et une défaite. 98,3 % des électeurs hongrois qui se sont rendus aux urnes ce dimanche 2 octobre ont suivi l’appel de Victor Orbán et voté « non » à la question posée par le référendum : « Voulez-vous que l’Union européenne soit en mesure de décider l’installation de citoyens non-Hongrois sans l’aval du parlement ? » Mais au total, 43,35 % des électeurs se sont mobilisés : une participation nettement inférieure au seuil de 50 % nécessaire pour rendre la consultation valide.

Signe que ce résultat peut être lu de deux manières, les deux camps ont revendiqué la victoire : l’opposition estime avoir réussi son coup, en politisant à l’extrême l’abstention par son appel au boycott. Et Viktor Orbán refuse de s’avouer vaincu, ayant réussi à donner aux suffrages exprimés une nette inclination en faveur du « non ».

À première vue, le résultat du scrutin révèle surtout un décrochage entre la capitale et la province, qui s’est avérée beaucoup plus perméable au matraquage anti-migrants orchestré par le pouvoir (sur les 20 000 panneaux publicitaires que compte le pays, 5 888 ont été utilisés pour la campagne du gouvernement selon une étude de Transparency International). Budapest récolte ainsi le plus faible taux de participation (39 %) et le plus faible taux de « non » (86 %), tandis que la plupart des régions affichent des taux de participation compris entre 43 et 48 %, les meilleurs scores étant atteints par les deux régions du nord-ouest du pays : 52 % pour la région de Vas, et 51 % pour la région de Győr-Moson-Sopron, où Mediapart était en reportage en amont du scrutin (voir le récit de notre envoyé spécial Antoine Perraud).

De fait, dans la capitale, les partis de l’opposition, qui avaient appelé au boycott, ont bénéficié d’une certaine audience. Dimanche après-midi, le parti de gauche « Dialogue pour la Hongrie » avait réuni quelques centaines de personnes sur la place Lajos Kossuth, devant le parlement. Les autres partis de gauche et les ONG avaient également manifesté de leur côté les jours précédents. « Nous n’avons pas peur ! », clamaient dimanche les manifestants. De retour de son bureau de vote dans le IXe arrondissement de la capitale, Katalin, 29 ans, expliquait avoir coché les deux cases « oui » et « non » sur son bulletin et même ajouté « À question con, réponse con ! », suivant ainsiles consignes du partisatirique du Chien à deux queues. La jeune femme avait aussi pris soin de rayer dans la question les termes « citoyens non-Hongrois » pour les remplacer par « réfugiés ». Au total, 6,23 % de bulletins nuls ou invalides ont ainsi été enregistrés… ce qui fait tomber la participation effective à ce scrutin à moins de 40 %.

Le clivage participation / abstention recoupe au fond la division entre l’électorat de droite et d’extrême droite d’un côté, et le reste du corps électoral de l’autre. Aux dernières élections législatives, en 2014, les nationalistes du Fidesz avait récolté 44 % des suffrages et l’extrême droite du Jobbik 20 %, pour une participation de 62 %. Ramené au nombre de votants, cela faisait près de 2,3 millions d’électeurs pour le Fidesz et un peu plus d’1 million d’électeurs pour le Jobbik, soit un total de 3,2 millions d’électeurs… C’est précisément le nombre de Hongrois qui se sont mobilisés dimanche (sur les 8,2 millions d’électeurs que compte au total le pays).

L’appel au boycott n’a toutefois porté ses fruits que de manière toute relative : les référendums en Hongrie n’ont jamais été très mobilisateurs. Ainsi en 2003, le référendum portant sur l’adhésion de la Hongrie à l’Union européenne ne mobilise que 45,6 % des électeurs. L’année suivante, une consultation pour octroyer la citoyenneté hongroise aux Magyars d’outre-frontière ne recueille le vote que de 37,5% des inscrits. Seul le dernier référendum en date dépasse le seuil de validité : en 2008, pour une consultation portant sur la révocation de frais médicaux et d’université, 50,5 % des électeurs se rendent aux urnes.

En ne parvenant pas à mieux faire que les précédents référendums organisés en Hongrie, alors qu’il s’était donné à corps perdu dans la bataille, Viktor Orbán a grillé toutes ses cartouches. Sur le plan intérieur, il est maintenant bloqué dans son ascension : difficile, au vu du résultat de ce dimanche, de poursuivre sur des élections anticipées et de viser la majorité des deux tiers au parlement, nécessaire à la réforme constitutionnelle qu’il escomptait. Celui qui voulait à tout prix s’en remettre à la voix du peuple s’est fait piéger à son propre jeu : plus de la moitié de l’électorat du pays a refusé de répondre à sa question.
« La capacité de mobilisation du gouvernement n’est pas infinie »

Certes, Viktor Orbán reste maître en son pays et va continuer à le diriger d’une main de fer. Mais une alternative semble désormais possible, pour peu que la gauche soit capable de se reconstruire autour d’un projet et d’une équipe rassemblée. Car le résultat de ce référendum montre aussi la résilience du peuple hongrois : si des pans entiers de la société ont cédé face à la propagande anxiogène et xénophobe, elle n’a pas sombré dans la panique morale dans laquelle le pouvoir a tenté de la noyer pendant un an et demi.

C’était d’ailleurs ce qui ressortait dans la presse de gauche ce lundi matin à Budapest. Dans les colonnes de Népszabadsàg (« La Liberté du peuple »), on pouvait lire : « Orbán ne peut s’en prendre qu’à lui-même pour la défaite. Dans deux ans, le fait de brandir l’immigration ne suffira pas. » Selon le politologue Zoltán Lakner, cité par le journal, « la première leçon du scrutin, c’est que pour la première fois en dix ans, Viktor Orbán n’est pas parvenu à obtenir le résultat politique qu’il visait. Les 3 millions de votants, c’est bien sûr énorme, le Fidesz n’obtiendrait pas un tel score à des élections législatives, mais l’objectif du scrutin n’était pas celui-ci, il était de tenir une consultation avec un résultat valide au bout […]. Ce qui ressort ici, c’est le fait qu’une campagne unilatérale sans précédent a aussi ses limites, que la capacité de mobilisation du gouvernement n’est pas infinie. »

À l’image du gouffre qui traverse désormais l’électorat du pays, le site Internet du quotidien de droite pro-gouvernemental Magyar Hirlap titrait hier soir sur « une superbe victoire » du camp conservateur et nationaliste. « Les Hongrois ont écrit l’histoire », affichait le site ce lundi matin.

Viktor Orbán n’a d’ailleurs pas l’intention de changer de cap. Au moment de voter dimanche, dans une école du XIIe arrondissement de Budapest, le premier ministre hongrois expliquait devant la presse que les conséquences seraient les mêmes, quel que soit le taux de participation : « Un référendum valide est toujours meilleur qu’un référendum invalide, mais les conséquences légales seront les mêmes, indépendamment de cela, car nous avons promis que nous allions promulguer la loi en rapport avec la question : au sujet des personnes avec qui les Hongrois veulent vivre, seul le parlement hongrois peut prendre une décision et l’incorporer dans le système législatif. » Plus tard dans la soirée, au vu des résultats, il réitérait sa promesse d’un amendement dans la constitution hongroise afin de rejeter le principe des quotas de réfugiés, et déclarait : « La proportion extrêmement élevée de partisans du “non” me donne malgré tout un mandat pour aller à Bruxelles la semaine prochaine afin d’assurer que nous ne serons pas forcés d’accepter en Hongrie des gens avec qui nous ne souhaitons pas vivre. »

Loin de freiner Orbán, le résultat de dimanche soir semble au contraire l’encourager. Plus que jamais, le chef de l’exécutif hongrois se voit comme le précurseur d’une nouvelle Europe, une Europe des nations qui consulterait désormais davantage le peuple sur les décisions prises à Bruxelles. « Nous sommes fiers d’être les premiers », a-t-il encore ajouté dans la soirée tandis que Gergely Gulyás, le chef adjoint de son parti, le Fidesz, a renchéri : « Aujourd’hui c’est une large victoire pour tous ceux qui rejettent les mandats européens de quotas illimités. C’est une large victoire pour tous ceux qui croient que les fondations pour une Union européenne forte peuvent seulement se trouver dans des États-nations forts. »

Sur le dossier européen des réfugiés, Orbán est, de fait, victorieux depuis longtemps. Il n’a jamais cherché à appliquer le plan de relocalisation qui prévoyait, il y a un an, la répartition de 160 000 migrants en provenance d’Italie et de Grèce dans les vingt-six autres États membres. Suivant ce plan, la Hongrie devait accueillir 1 294 demandeurs d’asile. Non seulement elle n’en a pas accueilli un seul, mais de plus, elle a tout fait pour faire échouer le programme : elle a déposé un recours, tout comme la Slovaquie, auprès de la Cour de justice de l’Union européenne.

Depuis l’année dernière, Budapest œuvre en outre à la constitution d’un front anti-migrants au sein de l’UE. Là aussi, force est de constater qu’elle a réussi. Depuis les élections polonaises à l’automne dernier, les quatre pays du groupe dit de Visegrad se sont en effet nettement rapprochés : Hongrie, Pologne, Slovaquie et République tchèque parlent désormais d’une seule voix sur le dossier des réfugiés. Au dernier sommet européen, le 16 septembre à Bratislava, les quatre États membres ont avancé leurs pions : leur proposition de « solidarité flexible » a été entendue et l’absence de toute mention du programme de relocalisation dans les conclusions du Conseil atteste de l’abandon du projet par les dirigeants européens. C’est une approche sécuritaire, centrée sur la surveillance des frontières, qui domine à présent. La chancelière allemande Angela Merkel elle-même semble céder : « La déclaration du groupe de Visegrad, la proposition d’ajouter de la flexibilité et de regarder les solutions possibles, est une proposition positive », a-t-elle dit à l’issue du sommet.

Trois jours plus tard, le premier ministre slovaque a enfoncé le clou : « Les quotas divisent clairement l’Union européenne aujourd’hui, c’est pourquoi je pense qu’ils sont politiquement finis, a assuré Robert Fico. […] Ce que les pays de Visegrad disent depuis un an et demi devient la politique officielle de l’UE. » Valide ou pas, le référendum d’Orbán est un point de plus dans le camp des dirigeants européens hostiles et frileux à l’idée d’accueillir des exilés fuyant la guerre. La Commission européenne, de son côté, a fait comme si elle ne voyait pas le rapport et s’est refusé à tout commentaire. Lors de son point presse ce lundi, le porte-parole de la Commission, Margaritis Schinas, a déclaré qu’il penait note de l’invalidité de la consultation, et qu’il appartenait au gouvernement hongrois de décider de la manière dont il entendait « gérer le résultat de ce référendum national ».

Amélie Poinssot

Après des années de correspondances en Pologne puis en Grèce, expérience qui l’a amenée à travailler pour des médias aussi divers que La Croix, RFI, l’AFP... et Mediapart, elle rejoint la rédaction de Mediapart en février 2014.

https://www.mediapart.fr/biographie/amelie-poinssot

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