Édition du 16 avril 2024

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Les caisses populaires, ces coopératives qui agissent comme des banques

Paul Cliche est membre d’une caisse populaire Desjardins depuis 60 ans

Après avoir fermé son point de services au Village olympique en 2011, la Caisse populaire Mercier-Rosemont vient aussi de fermer le guichet automatique qu’elle avait alors laissé ouvert. Les usagers de ce dernier se retrouvaient surtout parmi les locataires de cet immeuble, formé de deux pyramides comptant près de 1 000 appartements ; mais aussi parmi les employés travaillant dans les nombreux bureaux gouvernementaux et privés qu’il abrite. Les représentants de l’association des locataires du village ont eu beau écrire aux dirigeants de la caisse, les rencontrer puis organiser des moyens de pression (pétition, manifestation) ; l’entreprise propriétaire du Village a eu beau aussi offrir de loger le guichet gratuitement, rien n’y fit. Le couperet a finalement tombé comme l’avait d’ailleurs décrété la direction de la caisse dès la fermeture du point de services en 2011.

Cette dernière a soutenu que le guichet ne desservait pas assez de clients pour être rentable. Elle s’est bien gardée toutefois de fournir des chiffres à l’appui de ses dires. On repassera pour la transparence ! Le nouveau point de services étant situé à une distance de quelque deux kilomètres aller-retour, de nombreux locataires handicapés qui ne sont pas motorisés ou trop âgés -dont plusieurs octogénaires- ne peuvent s’y rendre sans l’assistance de quelqu’un d’autre. La succursale de la banque installée en face des pyramides, rue Sherbrooke, vient donc de voir son nombre de clients augmenter pour la peine.

La fermeture qui vient de se produire au Village olympique, est arrivé à des centaines, sinon à des milliers, de points se services et de guichets automatiques des caisses populaires Desjardins, ces dernières années, à travers le Québec. Ces derniers ont été fermés sans de véritables consultations et souvent malgré une vive opposition fondée des milieux où ils étaient implantés depuis longtemps. Ce phénomène a pris tellement d’ampleur qu’il a soulevé beaucoup de mécontentement, surtout dans les communautés rurales dont les membres, se voyant privées de services du jour a lendemain, doivent franchir maintenant des distances déraisonnables pour avoir accès à leur caisse.

« La démocratie n’est pas en santé dans le réseau des caisses »

Un ex-président du Mouvement Desjardins, Claude Béland, a admis récemment dans un courriel adressé à un quotidien qui venait de publier un reportage où on relevait l’acuité de la situation que les caisses imitent de plus en plus le fonctionnement des banques. « La démocratie n’est pas en bonne santé dans le réseau des caisses. Les assemblées générales actuelles sont désertes, les membres ayant, tout compte fait, très peu de pouvoirs. La caisse n’est plus ‘leur’ caisse. Pas étonnant que la fidélité s’effrite…La caisse apparait comme une institution financière comme les autres », a t’il écrit

M. Béland a dirigé le Mouvement Desjardins pendant 13 ans, de 1987 à 2000. Il agit maintenant comme professeur en démocratie et en gouvernance auprès d’entreprises de l’économie sociale. Il préside aussi le Mouvement démocratie et citoyenneté du Québec.

Plusieurs, estimant que les caisses ont perdu leur âme, critiquent la politique de rémunération de la haute direction du Mouvement Desjardins, dont le salaire versé à la présidente Monique F. Leroux. Ses défenseurs la justifient en établissant une comparaison avec les banques. On la justifie en effet en arguant qu’il faut à la tête de ce mouvement coopératif de bons banquiers et que le marché des bons banquiers est un très compétitif. On oublie justement que les coopératives financières que sont les caisses ne sont pas des banques. Dans le cas des banques, le partage des profits de l’entreprise revient aux investisseurs, Dans le cas des coopératives, le partage se fait entre les membres sociétaires. « On ne peut donc dire que tout va bien dans une coopérative en cherchant à copier ce qui se fait dans des entreprises dont les valeurs et les règles de gouvernance sont fondamentalement différentes », a conclu M. Béland.

Le fondateur du mouvement, Alphonse Desjardins et son épouse Dorimène, qui lui ont fait faire modestement ses premiers pas dans la cuisine de leur résidence à Lévis, doivent se retourner dans leur tombe en constatant une telle déviation de l’idéologie coopératiste ! Quant à moi, je suis toujours à 78 ans membre d’une caisse populaire où je profite des services d’une conseillère dévouée. Mais que j’aimerais retrouver la ferveur coopérative de mes 20 ans alors qu’étudiant je remplissais la fonction de gérant de la caisse populaire du Collège de Lévis, institution que Desjardins avait lui-même fréquenté 90 années plus tôt !

Montréal, 26 octobre 2013

Paul Cliche

Auteur du livre Pour réduire le déficit démocratique : le SCRUTIN PROPORTIONNEL et membre fondateur du Mouvement pour une démocratie nouvelle.

Il a été responsable du dossier de la réforme des institutions démocratiques à l’Union des forces progressistes (UFP).

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