Édition du 8 octobre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Démocratie participative

Les difficultés de l’expérience constituante équatorienne

Une délégation de Québec solidaire emmenée par Amir Khadir s’est rendue début juin, en Équateur et au Venezuela pour chercher à mieux comprendre les processus constituants et les expériences de démocratie participative en cours dans ces deux pays.

En Équateur, elle a eu la possibilité – en plus de mener de nombreuses entrevues avec des acteurs sociaux et politiques de Quito—de passer quelques jours à Montecristi, siège de l’Assemblée Constituante et d’y rencontrer ou d’y voir travailler les « constituants » de la coalition « Alliance Pays », dont le Président de l’Assemblée, Alberto Acosta qui vient, à la surprise générale, de donner sa démission. Occasion de mieux comprendre les espoirs comme les tensions qui traversent ce projet de refondation constitutionnel hors du commun.

On le sait, en Équateur, le processus de changement social mené sous la houlette de son Président Raphaël Correa, n’en est –si on le compare à celui du Venezuela— qu’à ses premiers pas, puisque l’élection de ce dernier ne remonte qu’à novembre 2006. On sait que depuis cependant, Raphaël Correa est parvenu à gagner deux scrutins électoraux (l’un en avril 2007, l’autre en septembre 2007) qui lui ont permis non seulement de faire adopter démocratiquement le principe d’une Assemblée Constituante, mais encore d’y disposer d’une large majorité (80 sur 130 des parlementaires élus appartiennent à la coalition gouvernementale « Alliance Pays »). En fait il s’agit de la première étape d’une « révolution citoyenne » que depuis le début de son mandat il appelle de ses vœux et qui au delà d’importantes modifications constitutionnelles aspire à promouvoir des réformes majeures en termes éthique, économique, éducatif et de santé.

Priorité au débat, à la démocratie participative

Depuis bientôt 6 mois, est donc entrée en fonction une Assemblée Constituante qui, sous la direction de son président, Alberto Acosta, s’est lancée dans un véritable exercice de refondation de la souveraineté nationale. Mais loin de vouloir légiférer en vase clos, les constituants de la coalition gouvernementale ont donné la priorité au débat, en faisant largement appel aux contributions de tous les groupes et mouvements sociaux qui désiraient s’exprimer et faire valoir leur point de vue. Manière de mener un véritable exercice de démocratie participative capable de prendre en compte les aspirations de secteurs toujours plus larges de la population.

Résultats : Les constituants sont en passe de doter l’Équateur de balises constitutionnelles infiniment plus démocratiques, écologiques et progressistes que par le passé, notamment par la reconnaissance du principe de la pluri-nationalité (il y a près de 40% d’indigènes en Équateur), la formalisation d’un 4ième pouvoir (le pouvoir citoyen) et l’élaboration de droits reconnus à la nature (devenant ainsi une personne morale, une première !). Mais parce que les constituants majoritaires ont donné priorité au débat, parce qu’ils ont cherché à mener un travail en profondeur, ils ont pris du retard et se trouvent dans l’incapacité de finaliser leurs travaux pour la date fixée du 26 juillet. C’est la goutte qui –semble-t-il— a fait déborder le vase et a conduit le Président de l’Assemblée Alberto Acosta à donner sa démission : « Raphaël Correa, mon ami, dit que ce serait un suicide politique de ne pas en finir pour le 26 juillet. Je crois au contraire que nous devons prendre le temps suffisant pour que le débat et la constitution soient de qualité ».

En fait, et toutes les rencontres faites à Montecristi l’ont confirmé—cette démission est le révélateur de profondes tensions qui traversent, depuis quelques temps déjà, la coalition « Alliance Pays » dont le président de l’Assemblée Constituante incarnait l’aile gauche et militante. Proche des mouvements altermondialiste et indigène d’Équateur, avec lesquels il a participé au début des années 2000 à la lutte contre le Traité de libre commerce ( TLC) et la Zone de libre échange des Amériques ( Zléa), Alberto Acosta s’était illustré en défendant une série de propositions d’un courant plus à gauche qui ne rencontraient pas toujours facilement l’aval du Président Correa. Ainsi avait-il réussi à arrêter –temporairement !— l’exploitation du gisement pétrolier ITT de Yasuni (au cœur d’une grande réserve écologique en pleine forêt amazonienne) moyennant une initiative fort originale :l’Équateur s’engageait à ne pas exploiter ces gisements et par conséquent à protéger l’extraordinaire biodiversité de la région ainsi qu’à faire sa part en terme de lutte au réchauffement climatique, à la condition que la communauté internationale puisse l’aider, en lui fournissant la moitié des revenus dont il aurait disposer en l’exploitant.

De la même manière avait-il tenté, suite à de difficiles conflits entre la Confédération des peuples indigènes (CONAIE) et le Président lui-même, de concilier les demandes autochtones concernant la nécessité constitutionnelle de « leur consentement préalable » à tout projet de développement minier, avec les volontés de Raphaël Correa de développer l’industrie minière et extractive (or et cuivre, notamment) dans laquelle, soit dit en passant, de nombreuses entreprises canadiennes sont très activement impliquées. Plus récemment, il s’était objecté au fait que le Président puisse penser donner l’amnistie à Gustavo Noboa, un ex président soupçonné de malversation et corruption.

Le sens d’une démission

Il est vrai que Alberto Acosta n’a démissionné que de son poste de président. Il reste toujours membre de l’Assemblée Constituante et apparaît toujours comme une personnalité de premier plan. Cette démission n’en indique pas moins toutes les tensions de ce projet équatorien de « révolution citoyenne » qui, parce qu’il s’est donné les moyens de ne pas être qu’« une réforme cosmétique » et « un ajustement néolibéral de plus », finit par toucher à des enjeux majeurs, en termes démocratiques, écologiques et sociaux, vis-à-vis desquels les pressions conservatrices pèsent lourdement.

Cette démission indique aussi comment l’approfondissement de ce processus de changement social est loin d’être scellé et qu’il dépend plus que tout de l’évolution des rapports de force sociopolitiques qui traversent actuellement le pays, et de manière plus générale l’Amérique latine entière. En ce sens le refus récent du Président Correa de s’engager dans l’Alba (Alternative bolivarienne pour l’Amérique latine et les Caraïbes) est autre signe révélateur de ces difficultés. De quoi mettre en évidence comment en pleine ère néolibérale les gouvernements latino-américains de gauche peinent, à lever des obstacles qui se dressent devant eux pour installer plus de démocratie et de justice sociale dans leurs propres pays ; et comment ils ont besoin, comme jamais de notre solidarité !


L’auteur est professeur de philosophie au collège de Limoilou
Auteur et coordonnateur de l’ouvrage collectif L‘avenir est à gauche, 12 contributions au renouvellement de la gauche au Québec, Montréal, Ecosociété, mai 2008.

La photo a été prise à Montecristi, le 5 juin dernier, lors d’une conférence de presse donnée par Alberto Acosta

Pierre Mouterde

Sociologue, philosophe et essayiste, Pierre Mouterde est spécialiste des mouvements sociaux en Amérique latine et des enjeux relatifs à la démocratie et aux droits humains. Il est l’auteur de nombreux livres dont, aux Éditions Écosociété, Quand l’utopie ne désarme pas (2002), Repenser l’action politique de gauche (2005) et Pour une philosophie de l’action et de l’émancipation (2009).

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