Comment expliquer le grand écart entre l’image et la pratique du PLC ? La réponse est à la fois simple et complexe. Sur le côté simple, ce parti a toujours été et reste le parti des élites, le 1%. C’est ce parti qui s’est donné, surtout depuis Pierre Elliot-Trudeau, la « mission » de mâter le Québec, à coups de bâton (loi des mesures de guerre), en utilisant les lois pourries d’un État génétiquement colonial et en séduisant une partie de l’électorat par l’illusion du « plus meilleur pays » au monde.
Mais il y aussi un autre facteur, le PLC repose en bonne partie sur ce qu’on pourrait appeler l’appareil de l’État, qu’il a colonisé depuis les années 1950. En effet, le gouvernement fédéral est essentiellement une machine contrôlée par une petite caste étroitement liée au PLC. Ce groupe de quelques milliers de personnes a énormément bénéficié des « largesses » légales ou illégales venant de leur association au pouvoir politique. C’est un autre secret de polichinelle à Ottawa que ce 1 % dans les hauteurs de l’État s’en met plein les poches, le plus souvent à l’abri des regards. On retrouve dans ce groupe directeurs de cabinet, sous-ministres, PDG de corporations fédérales. On pourrait ajouter les ambassadeurs, les patrons de Radio-Canada et d’autres institutions parapubliques. L’élite en question passe d’un à l’autre poste, y compris du secteur public au secteur privé, officiellement ou non (les sinistres entremetteurs du genre de Dan Gagnier). Elle embauche conjoints et enfants qui, au-delà des concours officiels donnant l’accès aux emplois, bénéficient de juteux contrats sans appel d’offres. C’est la valse des millions au point où, en comparaison, les détournements de fonds et les trafics d’influence révélés par la Commission Charbonneau font vraiment « Mickey Mouse ».
Lorsque Stephen Harper est arrivé à Ottawa, cette machine lui était très hostile. D’où une sorte de « guerre civile » larvée durant laquelle Harper a massacré la fonction publique, réduit au silence les cadres et responsables, tassé dans le coin les managers pour en faire des courtiers, miné Radio-Canada et d’autres institutions dirigées par le même petit groupe. Pour Harper, la bureaucratie fédérale, surtout dans les hautes sphères, est un ennemi à abattre, pas tellement parce qu’elle est « progressiste », mais parce qu’elle échappe à son contrôle. De plus, il y a un élément culturel dans cette confrontation. Pour la caste, Harper représente un groupe de parvenus parfois chrétiens, mais toujours cowboys. Éduquée dans les meilleures écoles, cosmopolite, riche et confortable, la caste regarde tout le monde de haut, y compris les Red Necks de l’Alberta.
Nous voilà rendus à quelques jours du jour J et constatons-le, c’est un peu lamentable. La défaite de Harper est un impératif absolu. Toutes proportions gardées, Harper représente un projet dangereux incarné par la droite « dure » aux États-Unis (Tea Party) et en Europe (néoconservateurs et néofascistes) et donc cette considération passe par-dessus les autres. L’« alternance » que représente le PLC, si Justin triomphe, le sera surtout sur la forme, pour revenir à la gouvernance polie incarnée par une caste essentiellement corrompue, avec quelques entourloupettes à l’ONU et quelques programmes bas de gamme d’inspiration keynésienne. Il reste dans l’équation le NPD qui, malgré l’échec consternant de Tom Mulcair, restera peut-être en mesure de faire bouger les choses, surtout si le gouvernement est minoritaire. C’est en tout cas ce que j’espère…