Édition du 26 mars 2024

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Asie/Proche-Orient

Les projets américains d’une « OTAN arabe »

Contre l’Iran et avec Israël.

Voilà un peu plus de soixante ans, Londres et Washington instauraient ensemble le Traité d’organisation du Moyen-Orient (Middle East Treaty Organization, METO), également connu sous le nom de Pacte de Bagdad, un des multiples pactes antisoviétiques. Une nouvelle initiative vient aujourd’hui remettre en mémoire cette alliance militaro-sécuritaire qui avait été en son temps vigoureusement combattue par le président Gamal Abdel Nasser avant d’être réduite à pas grand-chose au lendemain du renversement de la monarchie en Irak en 1958.

Tiré de Orient XXI.

C’est le 27 juillet 2018 que les médias se sont fait l’écho de l’intention du président américain Donald Trump de convier les pays arabes du Golfe à un sommet à Washington, vers la mi-octobre. Il s’agissait, selon ces médias, de relever le niveau de la coopération entre les dirigeants du Golfe et les États-Unis dans les domaines sécuritaire, militaire et politique en vue de faire face à l’Iran. Pour l’administration américaine, cela devrait être l’occasion d’annoncer la mise en place d’un cadre institutionnel intitulé « The Middle East Strategic Alliance » (MESA).

Cette annonce était attendue depuis le déplacement de Trump en Arabie saoudite, le 22 mai 2017, une « visite historique » qui n’avait duré que deux jours mais avait donné lieu à plusieurs réunions au sommet : une rencontre bilatérale entre le président américain et le roi saoudien, une autre avec les dirigeants des pays du Conseil de Coopération du Golfe (CCG), et une troisième avec les représentants des 55 États arabes et islamiques rassemblés à Riyad.

Divisions dans le Golfe

Mais les diverses rencontres n’avaient pas permis de parvenir à un accord et, bien que l’on ne dispose d’aucune information, certains estiment qu’il est le fait des Américains. Il ne s’agit toutefois que de conjectures concernant des aspects formels, tels que le nom de l’alliance et la liste des pays fondateurs.

Parmi les principales raisons de ce report, l’incapacité de l’administration Trump à mettre en place une stratégie cohérente pour l’ensemble de la région du Proche-Orient, Golfe compris, mais aussi l’impact des tensions entre les Émirats arabes unis (EAU) et l’Arabie saoudite d’un côté et le Qatar de l’autre, les deux parties rivalisant en coulisses pour rallier le président américain à leur cause au moyen de facilités politiques, économiques et militaires. En dépit — ou à cause ? – de ces atermoiements, l’Arabie saoudite a ainsi accordé à elle seule aux États-Unis pas moins de 380 milliards de dollars (323 milliards d’euros) de marchés commerciaux, dont des contrats d’armements de quelque 100 milliards de dollars (85 milliards d’euros). Ce serait donc la conjonction de ces éléments qui aurait conduit Donald Trump à temporiser, les participants aux trois rencontres se contentant finalement de la Déclaration de Riyad qui met l’accent sur « le partenariat étroit entre les participants en vue de lutter contre l’extrémisme et le terrorisme sous toutes leurs formes et contre leurs racines idéologiques, ainsi que le tarissement de leurs sources de financement », « le renforcement de la coexistence et de la tolérance constructive entre les différents pays, religions et cultures », et « la détermination à lutter contre les agendas confessionnels et l’ingérence dans les affaires des États ».

Divergences de vues

La plupart des médias ont repris l’appellation « OTAN arabe » qui, avec « OTAN islamique » et « OTAN moyen-orientale », était en usage ces deux dernières années. La diversité des intitulés traduit bien les divergences de vues concernant tant la composition et le rôle régional de l’instance que les conditions d’adhésion et le rôle des pays membres au sein de ses institutions. Du point de vue américain, l’idéal serait que les États-Unis en prennent la tête et que l’Arabie saoudite et les Émirats se chargent du financement, l’Égypte et la Jordanie fournissant quant à elles les ressources humaines. Puis, une fois le marché du siècle entériné et la question palestinienne liquidée, l’adhésion d’Israël irait forcément de soi. Et si rien n’indique que les principaux intéressés (pays du Golfe, Égypte et Jordanie) adhèrent à la vision de Washington, rien non plus ne laisse penser qu’ils pourraient émettre des objections, et encore moins un refus.

Il semble évident que la MESA se substituerait alors aux autres dispositifs sécuritaires et politiques existant dans la région. Le plus ancien, qui est aussi le moins important, est le Traité de défense commune et de coopération économique signé entre les membres de la Ligue arabe. Conclu en 1950, jamais respecté, sa trace n’apparaît guère que dans des institutions de façade. Mais la nouvelle alliance devrait également signer la fin de « Bouclier de la péninsule » (c’"est quoi ?) et de l’Alliance militaire islamique pour combattre le terrorisme, deux pactes militaro-sécuritaires mis en place et financés par les dirigeants du Golfe.

La suppression de Bouclier de la péninsule ne devrait pas constituer une perte stratégique pour les États du Golfe, sinon pour Bahreïn, puisque c’est en vertu de ce pacte que l’Arabie saoudite et les EAU sont intervenus militairement pour écraser le printemps de 2011. Depuis sa mise en place en 1982, l’instance n’a proposé qu’une coordination minimale entre les forces militaires du Golfe, en organisant des manœuvres et exercices conjoints. Elle était d’ailleurs en état de mort clinique depuis trois ans, après le déclenchement de la guerre du Yémen — une décision insensée qui a mis un terme à toute possibilité de jouer un rôle sur le plan régional.

Mais les responsables saoudiens vont devoir quant à eux renoncer à l’Alliance islamique militaire de lutte contre le terrorisme dans laquelle, cherchant une issue à la guerre yéménite, le prince héritier saoudien a beaucoup investi politiquement et financièrement. Fondée fin 2015, cette coalition regroupe une quarantaine de pays arabes et islamiques, et en trois ans, de nombreuses mesures ont été prises pour en consolider les bases nécessaires à la mise en œuvre du projet.

Les choix du prince héritier saoudien

L’Alliance islamique est en effet pour Mohamed Ben Salman une OTAN sur lequel il compte pour faire de son royaume une puissance régionale dominante, et non plus un simple État sous influence américaine. Avec cette « OTAN islamique », il espère amener l’Arabie saoudite à jouer le rôle majeur qui est celui des États-Unis dans l’OTAN, et a fait savoir qu’à l’instar de Washington, il assumerait l’essentiel du coût financier du projet.

Convaincu que le principal rôle militaire revient au Pakistan détenteur de l’arme nucléaire plutôt qu’à l’Égypte ou à un autre pays, Mohamed Ben Salman a très vite fait appel à plusieurs officiers supérieurs pakistanais, tel le chef des renseignements militaires le général Ahmed Shuja Pasha, et l’ancien chef de l’armée pakistanaise, le général Raheel Sharif, qui s’est vu confier le commandement militaire de la coalition. Fin novembre 2017, lors de la réunion du conseil des ministres de la défense de l’Alliance à Riyad, il s’est dit très satisfait de voir les pays membres « agir ensemble et collaborer de façon soutenue en vue d’appuyer les efforts des uns et des autres, que ce soit sur les plans militaire, financier, sécuritaire ou politique (chacun selon ses capacités et ses moyens) ». Mais le prince héritier saoudien — ainsi que les autres dirigeants de la région qui rêvent de jouer les meneurs — seront bientôt contraints de refouler leurs ambitions pour faire plaisir au président américain, dans l’espoir de continuer à bénéficier de la protection de Washington.

Le souvenir du pacte de Bagdad

En octobre prochain, les observateurs ne manqueront pas de faire le parallèle entre la situation actuelle et certaines périodes de l’hégémonie occidentale sur la région. Voilà quelque soixante ans en effet, le Royaume-Uni et les États-Unis d’Amérique cofondaient le Traité d’organisation du Moyen-Orient (Middle East Treaty Organization, METO), qui devait regrouper des pays arabes et du Proche-Orient afin de s’opposer à l’Union soviétique et « protéger les peuples de la région du péril communiste ». Mais l’argument selon lequel le principal danger pour la sécurité et la paix dans la région venait de l’Union soviétique et non d’Israël n’avait pas convaincu tous les Arabes, notamment l’Égypte qui, sous la conduite de Gamal Abdel Nasser, avait pris la tête d’un vaste mouvement d’opposition populaire à une instance servant selon elle les intérêts des puissances impérialistes. Le Pacte de Bagdad allait en fait se limiter à la Turquie, au Pakistan, à l’Irak, à l’Iran et au Royaume-Uni, les États-Unis prenant part à ses activités militaires sans en être membre... jusqu’à ce que la révolution irakienne de 1958 lui porte un premier coup et que la révolution iranienne de 1979 ne l’achève.

C’est donc à trois semaines de l’annonce de la nouvelle salve de sanctions américaines contre Téhéran prévoyant notamment l’interdiction de la vente de pétrole que se tiendra le sommet États-Unis-Golfe. De l’avis général, Donald Trump n’est aucunement disposé à entendre des objections de la part des pays invités, quand bien même l’acte de naissance de la MESA ferait, explicitement ou non, mention de l’adhésion d’Israël... Mais en tout état de cause, la plupart de ces pays ont déjà fait leur l’affirmation américaine selon laquelle le principal danger pour la sécurité et la paix dans la région vient de l’Iran et non d’Israël.

Abdulhadi Khalaf

Abdulhadi Khalaf

Universitaire originaire du Bahreïn. Spécialiste en sociologie politique, Université de Lund, Suède.

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