Édition du 23 avril 2024

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Les racines de la crise au Tchad

Le Tchad est un État africain qui pour beaucoup représente le pont entre le Nord et l’Ouest africain avec l’Afrique centrale. Sans aucun doute cette position géographique n’a pas été exempte de conflits depuis qu’il a obtenu son indépendance, en 1960. La succession de guerres civiles, les interférences d’acteurs étrangers, comme ses voisins la Libye ou le Soudan, ou la France et les USA depuis l’Occident, ainsi que les violents changements de régime ont laissé « le pays détruit et dévasté » en de nombreuses occasions.

Cet État africain, fruit une fois de plus de l’aléatoire et capricieuse « architecture étatique » du colonialisme, est le cinquième pays le plus grand du continent africain, avec plus de deux cent groupes ethniques et plus de cent langues, et surtout une mosaïque ethnique et religieuse. Il est certain qu’ historiquement le Tchad a été divisé en deux zones, l’une principalement consacrée au pâturage, avec une population musulmane et de langue arabe dans le Nord et l’Est (certains les regroupent dans ce qu’on appelle la zone « Nord »), tandis que l’autre est fondamentalement agricole, avec des africains animistes ou chrétiens, et connue comme « le Sud ».

Cette division a donné lieu à des interprétations erronées concernant les racines des conflits successifs qui ont altéré la vie du pays. Il est certain que cette division a existé, la preuve de cela étaient les attaques des tribus du Nord pour faire des esclaves dans le Sud. Les grands empires du Nord, avec leur organisation centralisée, n’avaient pas de difficultés pour s’imposer aux groupes sociaux moins structurés du Sud. L’apparition du colonialisme français marquera un nouveau cap dans le contexte du pays.

S’ils mirent fin officiellement au trafic d’esclaves, les Français « amenèrent avec eux un autre système d’exploitation », qui tira partie des antagonismes existants. Ainsi ils classèrent les terres fertiles du Sud comme « Tchad utile », en opposition au Nord qui était perçu comme « inutile ». L’idéologie colonialiste du « diviser pour régner » sera mise en scène et les changements sociaux générés par le colonialisme « exacerberont la polarité Nord-Sud ».

Si cet affrontement est important pour comprendre les événements du Tchad, il serait simpliste d’attribuer tous les maux à cette situation. La complexité du Tchad et surtout la fragmentation sociale doivent aussi être pris en compte. Et là surgit ce que certains analystes africains définissent comme le « factionnalisme » de la société tchadienne, qui aurait d’importantes répercussions sur le système politique. Lié à cela, il y a aussi le caractère nettement militariste des diverses factions.

L’usage de la violence et la formule de la prise ou de la conservation du pouvoir par les armes est un des pilliers fondamentaux de la réalité tchadienne. Un universitaire africain souligne que « le factionnalisme plus que l’ethnicité est la force qui configure la lutte de pouvoirs au Tchad. Les factions minent la capacité de l’État à réguler l’ordre social, ce qui fait que l’État est incapable de satisfaire aux besoins de base de la population, ce qui stimule les clivages ethniques, qui conduisent finalement au factionnalisme ».

Pour cela, au-delà de la dichotomie Nord-Sud, ce cercle vicieux serait dans une bonne mesure le responsable de la violence et du chaos qui dévaste le Tchad depuis des décennies. Mais, en même temps, cette potentialité du factionnalisme à conditionner la vie du pays ne pourrait pas se comprendre sans la fragilité des institutions étatiques et la militarisation même de la confrontation politique. Ainsi, à l’affrontement Nord-Sud, il faudrait ajouter l’affrontement entre Saras et non Saras, entre Arabes et Toubous, entre les Saras eux-mêmes (comme la majorité des groupes, ceux-ci se divisent aussi en clans et sous-clans, et en de nombreuses occasions surgissent les affrontements pour des motifs hiérarchiques, mais en d’autres ils peuvent s’unir pour affronter un ennemi commun) ou les Toubous.

Nous trouvons un exemple dans les événements qui ont eu lieu à partir de 2005, quand le président Idriss Deby a décidé de changer la Constitution pour pouvoir se présenter à un troisième mandat. Cette mesure a entraîné un nombre important de désertions dans son cercle proche et « par conséquent la configuration des groupes armés a changé drastiquement avec l’arrivée d’anciens collaborateurs présidentiels qui ont formé leurs propres mouvements ». Le cas des frères Erdimi, Tom et Timane, en est une illustration. Les deux appartiennent à la même ethnie que le président Deby, les Zaghawas (ils sont même ses neveux, NdR), et maintenant ils sont ses adversaires.

Le troisième facteur, après les différences ethniques et le factionnalisme, nous le trouvons dans l’intervention étrangère. Si cela s’est déjà produit dans le passé, l’apparition de réserves énergétiques, pétrolières, surtout au Tchad, a augmenté le rôle intéressé de ces acteurs. L’inter-relation entre les conflits du Tchad, du Soudan et de la République Centrafricaine génère des causes structurelles dans les trois cas. Des attaques frontalières entre groupes de ces États, l’appui des gouvernements à des groupes insurgés des autres États et surtout « l’existence de gouvernements d’exclusion » dans les trois cas apportent de l’instabilité à l’ensemble de la région.

Le Soudan et le Tchad sont une preuve de plus de l’arbitraire et du rôle intéressé des pouvoirs coloniaux, divisant les groupes en deux frontières antérieurement inexistantes. La zone ouest soudanaise et l’est du Tchad ont été séparés et altérés par ces mesures. Les appuis des gouvernements de ces pays à des groupes armés qui de leur propre territoire attaquent le voisin a été la tendance générale des dernières décennies et la base de l’affrontement entre les deux gouvernements.

La Libye a aussi maintenu son influence au Tchad, les querelles au sujet de la bande d’Aouzou ayant marqué les affrontements du passé. Alors les puissances occidentales s’affrontèrent à la Libye, appuyant le Tchad, c’était la période pan-arabe de Kadhafi, qui appuyait les groupes rebelles tchadiens. A la suite du virage panafricaniste du leader libyen, ce dernier se présente actuellement dans un rôle de médiateur dans la résolution des conflits.

L’État français aussi est un acteur majeur, depuis son rôle colonisateur jusqu’à aujourd’hui il a utilisé sa présence militaire pour intervenir de manière ininterrompue au Tchad, appuyant les uns ou les autres en fonction des intérêts de Paris. L’influence française se maintient dans le pays, quoique dans les derniers temps l’apparition des USA et de la Chine ait affaibli en partie sa position.

Les USA ont appuyé militairement les différents gouvernements du Tchad dans le but de freiner le rôle de Kadhafi dans la région. Postérieurement, l’apparition de pétrole a ajouté à cet intérêt la défense d’accords commerciaux pour l’exploitation énergétique du Tchad ainsi que le rôle du gouvernement dans la « guerre contre le terrorisme » dans la région du Sahel, toujours plus volatile. Dans cette conjoncture, ni la France ni les USA ne désirent un changement brusque de la situation, la première pour les conséquences que cela aurait au Darfour, et Washington parce que cela pourrait devenir un terrain favorable à l’intervention de mouvements islamistes radicalisés.

Finalement, dans ce puzzle apparaît la Chine, qui a obtenu que le gouvernement du Tchad rompe ses relations avec Taiwan, devenant ainsi son associé privilégié depuis 2006. Le gouvernement tchadien cherche par ce moyen à neutraliser l’appui chinois au Soudan et à profiter en même temps de la politique africaine du géant asiatique.

Dans cette région coexistent différents intérêts et réalités qui font que l’instabilité locale peut affecter des paramètres régionaux et internationaux. La fragmentation sociale de certains pays, l’héritage colonial, la militarisation de la vie politique, la lutte pour le pouvoir au delà des fidélités ethniques et la présence et l’intervention d’acteurs étrangers constituent le dangereux cocktail qui provoque la souffrance de peuples entiers et à la vue des ultimes événements, à suivre les mêmes règles. On voit mal une solution se dégager à court et à moyen terme.


Source : Rebelion

Article original publié le 6 Février 2008

Traduit par Gérard Jugant, révisé par Fausto Giudice, membres de Tlaxcala, le réseau de traducteurs pour la diversité linguistique. Cette traduction est libre de reproduction, à condition d’en respecter l’intégrité et d’en mentionner l’auteur, le traducteur, le réviseur et la source.

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