Édition du 26 mars 2024

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Cultures, arts et sociétés

Les trois (et tant d’autres) vertus de José Mercader

Le peintre et caricaturiste José Mercader qui chaque semaine propose à Presse-toi à gauche ! sa vision de l’actualité, travaille pour plusieurs autres médias des Amériques. Non sans succès ! D’où cet hommage récent d’un écrivain et journaliste basque, Koldo Campos Sagaseta, que nous avons cru bon de vous faire partager.

Par Koldo Campos Sagaseta
Traduction de l’espagnol : Chloé De Bellefeuille Vigneau

"Ajoutez aux trois vertus décrites son humour corrosif présent dans chacun de ses coups de pinceaux, son énorme talent d’écrivain, que lui-même, selon mes soupçons, n’admet pas, et surtout, l’humanité de sa conscience et de son engagement, et nous parlerons alors de l’un des plus beaux et dignes créateurs que l’Amérique latine a apporté au monde."

Même si dans les cultures anciennes égyptienne, mésopotamienne et précolombienne, l’art de la caricature occupait déjà un espace, c’est en Italie, au XVIe siècle, qu’il se développe, acquiert le prestige qu’il n’a pas perdu. C’est précisément du mot italien caricare (exagérer) d’où proviennent l’essence et le nom de l’art de la caricature qui consiste en la distorsion des traits les plus saillants d’une personne jusqu’à créer une autre image, qui non seulement permette son identification immédiate, mais avec encore plus de rigueur et de précision.

Si l’esperpento (genre littéraire théâtral espagnol caractérisé par une déformation systématique de la réalité), comme dirait del Valle Inclán, est dans le champ de la littérature l’exposition de la réalité à la logique mathématique d’un miroir concave (le fond d’un verre de vin, par exemple), la caricature observe la même logique sur le plan graphique. Dans Luces de Bohemia, Max Estrella définissait dans son délire la technique de l’esperpento en assurant que : « Les héros classiques reflétés dans les miroirs concaves rendent possible l’esperpento parce que le sens tragique de la vie peut seulement s’exprimer avec une esthétique systématiquement déformée. » La peinture noire de Goya repose sur la même prémisse en utilisant le contraste et la dégradation pour mieux refléter la réalité.

C’est de cette manière que travaille José Mercader, en s’appuyant sur trois vertus, pas précisément théologales. Même si on peut les observer chez d’autres artistes, dans le cas qui nous occupe, elles ont la qualité d’apparaître ensemble et dans leur plus haute et chaleureuse expression. D’un côté, il a la capacité de capter ces traits qui, manœuvrés de main de maître, transforment le personnage à l’étude dans sa meilleure et plus vraie version. Personne comme Mercader ne peut, en deux traits simples et précis, découvrir la face cachée de son éminence ou de sa sainteté, révéler le véritable esprit du président (de n’importe quel président) ou dénuder le général stoïque jusqu’à ce que plus personne ne puisse le distinguer de sa monture.

D’autre part, Mercader dispose de l’acuité et de la créativité nécessaires pour reconvertir une expression en un emblème et ainsi permettre aux oreilles de dire ce que les yeux cachent, de rendre possible que des dents sortent d’un nez, que des médiateurs ensoutanés paraissent des hippopotames et quelques journalistes, des chauves-souris. Finalement, il a une disposition et une capacité pour le travail, qui, si au lieu de l’art il s’était dédié au commerce, l’auraient converti depuis longtemps en millionnaire ou en sénateur de la République.

Ajoutez aux trois vertus décrites son humour corrosif présent dans chacun de ses coups de pinceaux, son énorme talent d’écrivain, que lui-même, selon mes soupçons, n’admet pas, et surtout, l’humanité de sa conscience et de son engagement, et nous parlerons alors de l’un des plus beaux et dignes créateurs que l’Amérique latine a apporté au monde. Malheureusement, dans sa patrie natale, la République Dominicaine, quelques critiques mesquins insistent à lui conférer une mauvaise réputation, dont, comme il arrive souvent dans ces cas, l’artiste est gré. En fin de compte, c’est grâce à cette mauvaise réputation qu’il conserve son bon nom.

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