Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Agriculture

Main basse sur l’agriculture mondiale - Quelles réponses ?

Le forum « Global AgInvesting Europe 2010 » de Soyatech va bientôt ouvrir ses portes à Genève, l’une des capitales du négoce international. Son but : promouvoir l’investissement dans les produits financiers agricoles, l’agrobusiness et l’acquisition de terres. Les 9 et 10 novembre prochains, leurs profits vaudront mieux que nos vies dans les salons feutrés de l’Hôtel Intercontinental. En attendant, une coordination large, soutenue par solidaritéS, prépare la riposte : conférence publique dans les locaux du syndicat UNIA, jeudi 4 novembre à 20h. ; manifestation devant l’Hôtel intercontinental, mardi 9 novembre dès 11h.

On ne le sait que trop : plus d’un milliard d’être humains souffrent de la faim, auxquels il faut ajouter deux milliards de mal nourris. Parmi eux, sept sur dix sont des agriculteurs-trices, dont cinq ne disposent pas d’une exploitation suffisante, et deux sont des travailleurs ruraux sans terre, femmes et hommes.

Une concurrence destructrice

Fondamentalement, ce scandale découle de la marchandisation généralisée de la production agricole, liée intrinsèquement au capitalisme. En effet, les écarts de productivité croissants ruinent un nombre toujours plus grand de petits producteurs. Et cette concurrence effrénée est le principal moteur de la paupérisation de la paysannerie et de son expropriation par l’agrobusiness, qui prennent aujourd’hui des proportions colossales : sur les 6,7 milliards d’habitant-e-s de la planète, 52% vivent aujourd’hui « en ville » ou « en bidonville ».

De surcroît, la libéralisation des échanges agricoles, prévue par les accords de l’OMC, a brutalement renforcé la compétition directe entre agriculteurs-trices, dont la productivité du travail varie d’un facteur 1 à 500 (une fois déduits les coûts des intrants et l’amortissement du capital) (AFD, 2008) ! Pour aggraver encore cette situation, les mieux dotés sont largement subventionnés, tandis que les plus fragiles ont été privés de tout soutien public par les programmes d’ajustement structurel du FMI.

Ne répondre qu’aux besoins solvables ?

La marchandisation généralisée de l’agriculture a une autre conséquence : elle oriente la production vers les seuls besoins solvables, aux dépens de ceux des plus pauvres. Ainsi, alors que le volume disponible de denrées alimentaires de base devrait doubler, à l’horizon 2050, pour satisfaire les besoins essentiels d’une population de 9 milliards d’êtres humains, l’agrobusiness détourne d’énormes ressources (terre et eau) en faveur de cultures d’exportation non indispensables : soja pour bestiaux, oranges pour leur jus, fleurs pour l’ornement, agrocarburants pour les transports, etc. Haïti, qui importe 60% de sa nourriture, remplace ainsi ses champs de haricots (aliment de base) par des orangeraies… (Delcourt 2010).

La recherche de hauts rendements stimule le recours systématique aux hybrides ou aux OGM (promus par la Banque mondiale et l’Alliance for the Green Revolution in Africa de Bill et Melinda Gates), tandis que les petits producteurs sont encouragés à rejoindre de grandes chaînes de valorisation internationales. Les conséquences écologiques de ces évolutions sont alarmantes (réduction de la biodiversité, émissions accrues de gaz à effet de serre, épuisement des sols, tarissement des réserves d’eau, etc.).

Le « tout à l’exportation » soumet l’ensemble des producteurs-trices à la loi implacable du complexe agroalimentaire mondial – semenciers, fabricants d’intrants chimiques, traders, industriels, chaînes de grands distributeurs, etc. –, qui favorise la concentration de l’agriculture. Depuis peu, ce processus a franchi un nouveau seuil en développant une « nouvelle forme de colonialisme ». Désormais, les investisseurs privés et les Etats n’hésitent plus à acheter ou à louer des domaines agricoles gigantesques dans les pays les plus pauvres.

Un nouveau colonialisme agricole

Ces « réserves » sont prospectées par imagerie satellite, avant d’être « achetées » pour quelques dollars l’hectare, voire louées, avec la garantie de conditions fiscales très avantageuses (Merlet 2010). Ainsi, le 7 septembre dernier, un rapport très attendu de la Banque mondiale révélait que 46,3 millions d’hectares avaient été touchés par de telles opérations entre octobre 2008 et juin 2009 (dont plus de la moitié en Afrique subsaharienne).

Des pointages antérieurs avaient mis en évidence l’acquisition de 2,2 millions d’ha par la Chine en RDC, de 1,3 million d’ha par Daewoo à Madagascar, 0,5 à 1 million d’ha par un fond d’investissement US au Soudan, etc. Le passé colonial des régions concernées facilite ces transferts, les droits coutumiers des populations ayant été anéantis depuis longtemps. Seule différence : aujourd’hui, les besoins en main d’œuvre sont réduits au minimum grâce à d’importants investissements (irrigation, machines, intrants, OGM, etc.).

« La meilleure couverture contre la récession dans les dix à quinze ans qui viennent est un investissement dans les terres agricoles », notait récemment le responsable des placements alternatifs d’Insight Investment (Grain 2008). La Banque mondiale, L’Africa Governance Initiative de Tony Blair, la Société financière internationale (SFI) et le Fond internationale pour le développement agricole (FIDA) soutiennent ces mécanismes prédateurs. Et tant pis pour les communautés qui tiraient jusqu’ici une partie de leur subsistance de ces territoires !

En même temps, les consommateurs les plus pauvres sont de plus en plus soumis aux fluctuations des prix des denrées de base sur le marché mondial (l’Afrique importe un quart de ses besoins alimentaires). Avec la cotation boursière des céréales et le développement de produits dérivés, la survie physique de centaines de millions de personnes dépend désormais directement des cours des « futures » (contrats à terme) sur les grandes places financières.

Ainsi, la crise alimentaire de 2007-2008, qui a touché une quarantaine de pays et plongé 125 millions de personnes supplémentaires dans l’extrême pauvreté, n’était pas due à de mauvaises récoltes – l’offre avait même crû pendant cette période –, mais résultait de la formation d’une bulle spéculative sur le marché des céréales. Celle-ci avait été causée par l’effondrement du marché hypothécaire US, dès les premiers signes de la crise des subprimes. Au second semestre 2007, au plus fort de la crise alimentaire, ADM, Montsanto et Cargill avaient ainsi vu leurs bénéfices exploser, respectivement de 42%, 45% et 86% ; au premier semestre 2008, ceux de Nestlé et de Tisco avaient progressé de 8% et 10% (The Independent, 2 juillet 2010, Sorge 2010).

Droit à l’alimentation et environnement

Pour contrer cette course à l’abîme, en 2008, 400 scientifiques ont produit un rapport intitulé Evolution internationale des connaissances, des sciences et des techniques agricoles pour le développement. Bien que commandité par la FAO et la Banque mondiale, il représente l’équivalent du rapport du GIEC pour l’agriculture. Selon ses auteurs, « non seulement l’agriculture paysanne n’est pas moins productive que l’agriculture industrielle, mais elle peut en plus apporter une bien plus grande valeur ajoutée en raison des multiples fonctions sociales, culturelles et écologiques qu’elle remplit. (…) les principaux facteurs qui limitent la production, la distribution sur une base équitable et la durabilité écologique sont intrinsèquement de nature sociale et non pas technique » (cité par Delcourt 2010).

Pour assurer l’alimentation de la population mondiale à l’horizon 2050, il faut donc en priorité « déconcentrer » la propriété foncière, ce qui nécessite une réforme agraire radicale, ainsi qu’une aide publique aux petites exploitations paysannes (crédit, équipements, infrastructures, stabilisation des prix, protections tarifaires différenciées, etc.) guidée par des objectifs écologiques à long terme (« révolution durablement verte ») (Griffon 2006). Sans cela, la défense effective du droit à l’alimentation et à la souveraineté alimentaire n’est qu’un vain mot. Mais un tel programme suppose une mise en cause du système capitaliste lui-même, dont le potentiel prédateur a été une nouvelle fois révélé par les contre-réformes néolibérales de ces trente dernières années.

Ouvrages cités :

AFD (Agence française de développement), Les appropriations de terres à grande échelle, juin 2010.

Delcourt, L. « L’avenir des agricultures paysannes face aux nouvelles pressions sur la terre », Alternatives Sud, 17, 2010.

Grain, divers articles et notes sur le site www.grain.org.

Griffon, M., Nourrir la planète. Pour une révolution doublement verte, Paris, 2006.

Merlet, M., « Les grands enjeux de l’évolution du foncier agricole et forestier dans le monde », Etudes foncières, 143, janv.-févr. 2010.

Sorge, P., « The Forgotten Crisis. As Banks Are Rescued, Will the World’s Hungry Be Overlooked ? », Der Spiegel Online, 16 oct. 2010.

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