Édition du 23 avril 2024

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Europe

Militarisation en Méditerranée orientale

Menace d’une guerre gréco-turque

De nombreuses forces aériennes et navales des Etats impérialistes occidentaux sont rassemblées dans la Méditerranée orientale, « coexistence compétitive » de grands navires de guerre dotés d’une puissance de feu significative.

photo et article tirés de NPA 29

Les navires de la Marine états-unienne, qui opèrent à partir de la grande base navale de Souda, sur l’île de Crète, forment le plus fort contingent. Cette base est considérée comme étant d’une importance stratégique cruciale pour les Etats-Unis, en tant que principal pilier de son « arc d’endiguement » qui s’étend de la Pologne à Israël.

Récemment, le Parlement grec a approuvé un nouvel accord militaire entre la Grèce et les Etats-Unis [le 5 octobre 2019 entre Mike Pompeo et Nikolaos Dendias, ministre des Affaires étrangères], qui rend permanente la présence de bases militaires américaines en Grèce. Ce qui place l’alliance entre les deux Etats au rang de « partenariat stratégique ». Cet accord a été salué par Mike Pompeo et célébré par tous les partis politiques grecs – à l’exception de la gauche radicale, qui a protesté dans la rue.

L’accord a été préparé par le gouvernement SYRIZA d’Alexis Tsipras, puis il a été signé par le gouvernement de la Nouvelle Démocratie sous Kyriakos Mitsotakis.

A l’intérieur du pays, outre la base de Souda qui ne cesse de s’agrandir, les Etats-Unis disposent désormais de grands aérodromes militaires, de bases de transport et de ravitaillement pour les forces d’« intervention rapide » et de bases fixes pour les « armes stratégiques » modernes (comprenant probablement les armes nucléaires dites « petites »).

Dans le même temps, l’Etat français, dirigé par Emmanuel Macron, a établi une base navale permanente à Chypre et le navire français Charles de Gaulle patrouille dans les mers autour de Chypre. Le 29 janvier 2020, un « partenariat stratégique de sécurité » a été signé entre Emmanuel Macron et le premier ministre Kyriakos Mitsotakis.

Début février, dans la petite île de Skyros, au centre de la mer Egée, un exercice militaire conjoint a été mené avec la participation des forces grecques, états-uniennes et françaises.

Le lendemain, Mike Pompeo a donné le message : une éventuelle attaque militaire contre les positions grecques recevra une réponse « euro-atlantique », symbolisée par l’activité des forces armées états-uniennes et françaises dans la zone.

Cette alliance dispose également d’importantes forces locales. Au cours des dernières années, la diplomatie grecque a joué un rôle de premier plan dans la mise en place de deux « axes ». Il s’agit des « triades » Grèce-Chypre-Israël et Grèce-Chypre-Egypte.

Les Etats qui composent ces « triades » coopèrent étroitement, ils ont adopté une position commune concernant le partage des zones économiques exclusives ZEE. Selon le droit de la mer, il s’agit d’un espace maritime sur lequel un Etat exerce un droit souverain. Ils déclarent ouvertement (avec des exercices militaires conjoints) qu’ils ont la force militaire d’imposer leur accord de partage dans la région.

Deux facettes des tensions entre la Grèce et la Turquie, avec leurs extensions géopolitiques

Deux facteurs sont à la base de ces développements :

1° Les tensions dans les relations entre le régime d’Erdogan en Turquie et les Etats-Unis ainsi que le camp occidental en général. Elles sont apparues au grand jour après l’échec de la tentative de coup d’Etat de 2016. Les tensions existaient déjà mais elles se sont accrues lorsque le gouvernement turc a commencé à travailler avec les Russes en Syrie.

2° Le réalignement des relations diplomatiques dans la région – avec la détérioration des relations américano-turques et israélo-turques et l’amélioration consécutive des relations militaires et économiques américano-grecques et israélo-grecques – a pris son envol lorsque la géopolitique des hydrocarbures est entrée en jeu.

D’importants gisements de gaz naturel ont été découverts dans la région. A l’exception des zones occidentales (où l’ENI italienne est engagée), les « gisements de gaz » du sud-est de la Méditerranée ont été concédés à un consortium de grandes transnationales occidentales, dirigé par l’américaine ExxonMobil et la française Total.

Ces sociétés, en coopération avec Israël, l’Egypte, Chypre et la Grèce, ont conclu le plan de l’oléoduc EastMed (Eastern Mediterranean). Il s’agit d’un projet pharaonique. Il prévoit la construction d’un pipeline sous-marin de grande longueur, qui reliera Israël aux côtes italiennes, en contournant la Turquie tout en s’étendant dans des eaux très profondes et soumis à de forts risques sismiques.

Le coût d’un tel mégaprojet est inconnu, ses problèmes techniques sont sans précédent et sa rentabilité commerciale est douteuse. Par conséquent, de nombreux « experts », dont certains dirigeants des industries extractives, sont très prudents. Pour construire la Méditerranée orientale sans la participation de la Turquie, il faut s’assurer que les ZEE d’Israël, de Chypre et de la Grèce soient géographiquement reliées.

Malgré tout cela, le plan EastMed a été officiellement signé par les gouvernements de Grèce, de Chypre et d’Israël le jeudi 2 janvier. Récemment, le Congrès américain a voté en faveur du East Med Act, qui déclare que ce plan est la politique énergétique officielle des Etats-Unis en Méditerranée orientale.

Le droit international

Ce plan a été mis en œuvre par une tactique de faits accomplis. Le gouvernement d’Erdogan, afin de rompre son isolement, a procédé à la délimitation des ZEE entre la Turquie et la Libye – plus exactement la partie de la Libye qui est contrôlée par le « gouvernement » de Fayez el-Sarraj (qui est formellement reconnu par les gouvernements occidentaux). Cette délimitation crée un « fragment » maritime sous souveraineté turque, ce qui interrompt la continuité entre les ZEE de Chypre et de la Grèce, faisant ainsi du projet EastMed un rêve inaccessible.

Cet accord de délimitation échouera probablement, au même titre que le « gouvernement » libyen qui l’a cosigné (Athènes soutient déjà le « général » Khalifa Haftar en Libye…). Mais en attendant, la Turquie a demandé aux Nations unies d’enregistrer l’accord maritime signé avec la Libye.

Cette évolution a provoqué un débat stratégique crucial au sein de la classe dirigeante grecque. Il existe un courant « sage et prudent ». Ils semblent se rendre compte que toute perspective réelle d’exploitation des hydrocarbures en Méditerranée orientale ne peut être réalisée que par un accord avec la Turquie. Ils soutiennent donc le recours à la Cour internationale de justice.

Mais une autre partie de l’establishment insiste pour profiter de l’alliance avec les Etats-Unis et la France et exploiter la conjoncture actuelle d’isolement de la Turquie, afin de poursuivre un affrontement aboutissant au résultat : le gagnant rafle tout. Ils maintiennent la possibilité d’une escarmouche militaire, espérant qu’elle sera facilement contenue et qu’elle ne dégénérera pas en une guerre gréco-turque totale.

La concurrence autour des ZEE et des hydrocarbures s’étend à toutes les questions de souveraineté dans la mer Egée. Or, elles se sont avérées extrêmement dangereuses dans l’histoire des deux pays. Rappelons que l’« équilibre » actuel entre les deux Etats est le produit de 5 (!) guerres au cours du 20è siècle.

Extractivisme et militarisme

L’amplification de la stratégie extractiviste est littéralement absurde dans les conditions de crise économique et sociale que connaissent les deux pays et face à la menace de la crise clima-tique mondiale et de la catastrophe environnementale. Mais sous un capitalisme anarchique et vorace, les décisions sont basées sur les critères et la concurrence intercapitaliste.

En outre, la stratégie extractiviste dans les mers, entrelacée avec les questions de souverai-neté de l’Etat sur celles-ci, est directement liée à un renforcement du militarisme.

La stratégie de l’« axe » en Méditerranée orientale a conduit l’Etat grec à consacrer, année après année, plus de 2% de son PIB pour les dépenses militaires de l’OTAN, devenant ainsi le plus gros acheteur d’armes de l’alliance euro-atlantique.

Malgré la crise économique, la Grèce (tant sous Tsipras que sous Mitsotakis) modernise ses forces navales et aériennes, dans le but de conserver l’avantage technologique militaire. Le gouvernement a déjà tenté l’achat d’avions américains F-35, très chers (seul Israël en possède dans la région). Il a signé une lettre d’intention acquérir des frégates françaises. Les sites web bellicistes, « liés » au commandement militaire, décrivent ces armes comme étant uniquement adaptées aux « guerres d’agression »…

La politique d’armement est liée au renforcement politique du militarisme. Dans les grands médias, il y a un défilé quotidien d’officiers à la retraite et d’analystes faucons qui tentent de stimuler un climat de ferveur patriotique et de familiariser la population avec la perspective d’une guerre.

Lors du débat sur le budget SYRIZA a voté en faveur des dépenses militaires de Mitsotakis, invoquant la nécessité d’une « unité nationale face aux menaces qui pèsent sur le pays ».

La gauche radicale en Grèce est consciente de la nature oppressive du régime d’Erdogan. La solidarité envers les réfugiés politiques turcs, les exilés et fugitifs kurdes ainsi que les réfugiés syriens était une tâche soutenue par les forces de la gauche radicale. Nous sommes obligés de placer nos espoirs dans la lutte contre ce régime auprès des mouvements sociaux et de la gauche actifs en Turquie.

Ici en Grèce, nous avons d’autres tâches : la confrontation avec le nationalisme grec, l’opposition aux politiques pro-guerre, la résistance aux armements, au militarisme et à la collaboration avec les puissances impérialistes « dans notre pays », la dénonciation de l’extractivisme comme stratégie absurde et dangereuse. La Méditerranée orientale est redevenue une « poudrière ». Toute guerre « ici » peut avoir des conséquences négatives et imprévues en Europe et dans le monde. (Résumé voir lien)

(Article envoyé par l’auteur ; traduction rédaction A l’Encontre)

Alencontre 20 février 2020 Antonis Ntavanellos

https://alencontre.org/

Antonis Ntavanellos

Un des porte-parole de DEA (Gauche ouvrière internationaliste), lors du congrès de « Fondation de SYRIZA » (Grèce). Le Courant de gauche de SYRIZA et Rproject (Red Network) – celui-ci composé de DEA, Kokkino et APO – constituent la Plate-forme de gauche.

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