Édition du 23 avril 2024

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Élections Québec 2014

PKP en politique : ne soyons pas dupes

L’arrivée en grandes pompes de Pierre-Karl Péladeau dans l’arène politique illustre bien l’évolution des idéologies au Québec. En fait, ce soudain et surprenant saut vers l’Assemblée Nationale illustre bien le combat de deux mouvements qui ont peine à pénétrer pleinement l’opinion publique. L’une de ces doctrines est politique : le sécessionnisme ; l’autre est économique : l’ultra libéralisme. PKP réussira peut-être à profiter des votes de ces deux camps souvent antagonistes pour décupler son influence sur la société québécoise.

Le fait qu’un tel ténor du monde corporatif puisse aspirer à se faufiler dans les coulisses du pouvoir est assez nouveau au Québec. Bien-sûr, François Legault et d’autres politiciens issus du monde des affaires représentent ouvertement les intérêts de la droite économique en politique. Mais PKP, pour le marché québécois, est dans une ligue à part ; rien à voir avec Air Transat. Doit-on rappeler que PKP dirige la plus importante société privée de médias de masse au Québec ? On parle donc d’une personne avec une l’influence déjà démesurée.

La puissance de l’homme crée bien sûr un certain malaise, mais l’accueil fait à PKP est somme toute assez favorable. Cette tolérance est largement due à la sensibilité nationaliste, à cette souveraineté qu’il fait miroiter comme l’objet de son désir. Qu’un homme aussi influent se fasse le porte-étendard de l’indépendance suscite l’enthousiasme dans les rangs souverainistes (d’autant plus chez ceux de la droite), et exacerbe le sentiment nationaliste de la population. Toutefois, ne soyons pas dupes. En se drapant de ferveur indépendantiste, il camoufle à sa guise son habit corporatiste, celui qui lui colle vraiment à la peau. Grâce à cette nouvelle étoffe qu’il expose de façon ostensible, il s’assure d’importants appuis chez les souverainistes et chez les droitistes, deux visions idéologiques qui pourtant s’opposent chez plusieurs individus. Sans ce boost issu du sentiment nationaliste, il y a fort à parier que l’attachement des Québécois à la solidarité sociale eut nui sévèrement aux velléités politiques de PKP.

Néanmoins, il paraît peu probable que cet homme puisse réellement faire basculer le Québec vers la souveraineté. Sans doute n’est-ce même pas son véritable objectif. Un homme d’affaire, un bon homme d’affaire selon le paradigme actuel de mondialisation et de conglomération, est rusé, opportuniste et certainement non-patriotique dans ces démarches d’affaires. Ne soyons pas dupes ; qu’il délaisse symboliquement ou temporairement ses actions et ses avoirs (et c’est loin d’être fait) ne fera pas moins de lui un homme d’affaire.

Il est donc difficile de ne pas s’imaginer le loup dans la bergerie : après son accession au C.A. d’Hydro-Québec, dont les tenants et aboutissants demeurent obscurs, voilà maintenant qu’il vise le Conseil des ministres. Au bout de l’opération, le plus puissant dirigeant corporatif du Québec siégerait non seulement à la tête du plus gros actif public de notre société, mais également au sein du gouvernement, en tant que ministre. Rappelons que ce sont des instances de haute influence, où se décident les orientations de l’ensemble de notre société. On connaît la convergence médiatique de Québecor ; verra-t-on bientôt à l’œuvre la convergence de ses pouvoirs ?

Est-ce qu’on peut faire confiance aux idées d’un homme qui a consacré sa vie à alimenter sa fortune personnelle et son influence dans le monde des affaires ? Est-ce que l’on peut réellement croire que le leitmotiv de la souveraineté est crédible en comparaison de toutes les opportunités d’affaires que lui offrirait un accès privilégié aux ficelles du pouvoir ?

Ne soyons pas dupes. Tout ce que les souverainistes auront accompli s’ils élisent PKP, c’est de contribuer à la progression de la doctrine néolibérale dans la société québécoise. Et sans garantie de souveraineté, loin s’en faut. Par contre, privatisation, déréglementation, paupérisation et désordre social iront en augmentant une fois les paluches du magnat plongées dans les affaires de l’État. Et alors qu’on aura encore l’impression de débattre, les institutions démocratiques du Québec, comme celles de bien d’autres sociétés jadis équilibrées, seront la proie du corporatisme et de la politique du fait accompli. L’aveuglement de la ferveur souverainiste n’aura ainsi contribué qu’à ouvrir des brèches dans le filet social, qu’il sera presque impossible de refermer par la suite.

Cet homme incarne assez de pouvoir pour atteindre de hauts objectifs. Qu’il veuille un Québec indépendant, c’est possible. Il est cependant plus réaliste qu’il veuille en posséder les fleurons et profiter de sa position stratégique au sein de l’État. Du moins, s’il est l’homme d’affaire qu’il est supposé être. C’est une méthode néolibérale aujourd’hui courante que de contrôler le marché via le politique. Pourquoi PKP n’userait-il pas de la particularité culturelle et politique du Québec pour parvenir à investir le pouvoir à ses propres fins corporatives et idéologiques ?

Dans ce combat moderne du privé contre le public, PKP est un acteur qu’il faut prendre au sérieux. Ces deux réalités de la civilisation humaine ont et vont toujours cohabiter ; une société équilibrée et saine sait tracer les limites entre ses hémisphères économique et étatique. Mais alors que l’interventionnisme de l’État est honni, voire calomnié par les propagandistes du capitalisme total, alors que la droite se plaint sans cesse que l’État doit sortir du marché, comment se fait-il que les citoyens représentés par ce même État doivent accepter l’intervention grandissante de la sphère privée dans le domaine public ?

Ne soyons pas dupes.

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