Si on s’en tient aux propos dans les médias, la dernière élection a été beaucoup moins une victoire du parti libéral qu’une défaite cinglante du Parti québécois. Celui-ci a commis l’erreur de jouer, volontairement ou non, sur la division. Tant la charte de la laïcité que le référendum sont des sujets controversés qui suscitent en nous de grands déchirements. Le premier a été amené en toute bonne conscience par le PQ, le second imposé par les libéraux et les caquistes. Avec un même résultat : une peur viscérale de la division chez un peuple qui n’aime pas la « chicane » et qui reste, dans sa nature même, profondément consensuel.
Ajoutons à cela une chef impopulaire — ce qui s’est révélé par une défaite dans son propre comté —, la venue d’un candidat vedette très contestable, les changements d’orientations fréquents lors de son dernier mandat et une campagne électorale marquée par l’hésitation et l’incapacité de répondre aux salves de ses adversaires. On a puni sévèrement le PQ pour ces erreurs.
Si bien que les Québécois se sont tournés une fois de plus vers les libéraux. Mais pendant qu’on s’effrayait d’un référendum, qu’on se désolait de l’incontournable charte, on parlait bien peu de leur programme. Celui qui y aurait jeté un coup d’œil attentif n’aurait cependant rien observé de bien inquiétant. On le voit sur le site web du parti, la campagne était basée sur le dévoilement progressif de promesses pour le moins correctes : donner un ministre aux PME, offrir un plan d’action pour Montréal, moderniser certains de nos hôpitaux, éliminer la taxe santé, investir dans nos infrastructures, etc. La plupart de ces promesses nécessitant d’importants investissements… Mais qui aurait osé s’y opposer ?
Dès le lendemain des élections cependant, les libéraux nous font le coup classique. Dans un rapport commandé par eux, deux experts prévoient que le déficit atteindra 3,7 milliards de dollars pour l’année 2014-2015. Pas d’argent donc pour remplir les promesses. Air connu : il faudra couper, appliquer des mesures d’austérité…
Qui pourrait croire que tout cela n’était pas prévu, réglé comme sur du papier à musique ? Les libéraux ont été au pouvoir pendant neuf ans, ils ont été relégués dans l’opposition pendant un court laps de dix-huit mois. Et les finances publiques se seraient à un tel point dégradées ? L’arnaque, vous dis-je. Difficile de voir les choses autrement…
Et qui sont les experts en question ? Luc Godbout et Claude Montmarquette, deux des quatre économistes, avec Pierre Fortin et Robert Gagné, qui avaient légitimé les budgets d’austérité du ministre des finances Raymond Bachand, par des fascicules propagandistes, lors de sa « révolution culturelle ».
Alors que Philippe Couillard a beaucoup agi pour donner l’impression de rompre avec l’ère Charest, nous y revoici plongés à fond : mêmes experts, mêmes mises en scène, mêmes projets. Le nouveau visage du parti lui permet de revenir à la triste époque de la « réingénierie ». Observons ce qui est envisagé pour nous sortir de la misère : geler l’embauche et la masse salariale dans la fonction publique ; privatiser partiellement la SAQ et Hydro-Québec ; avoir davantage recours à la tarification. Qui donc a entendu parler de pareilles mesures pendant la campagne électorale ?
Pourtant, l’expérience nous apprend que l’austérité ne parvient qu’à créer plus d’austérité et ne règle en rien le problème de l’endettement. Les précédents sont innombrables. Par exemple, les pays du Sud sous le joug des plans d’ajustement structurel, qui ont réduit radicalement le rôle de l’État tout en voyant leur endettement augmenter, jusqu’à la banqueroute parfois, ainsi que l’a vécu l’Argentine. L’Europe, victime de mesures semblables, n’arrive plus à se sortir de la crise dans laquelle elle est enlisée. Il ne faut pas non plus oublier les effets de l’austérité sur la corruption : l’Étant sabrant dans les experts et les inspecteurs, il devient difficile d’évaluer les soumissions aux appels d’offre et de suivre les résultats de ces transactions, comme nous l’a montré la Commission Charbonneau. Mais on fait comme si tout cela n’avait pas existé…
Les mesures d’austérité rendent les services publics moins efficaces, ce qui permet d’ouvrir la porte à la privatisation. Voilà, peut-être, le grand projet des libéraux. Un beau plan pour créer davantage d’inégalités. Et un projet qui s’éclaircit lorsqu’on observe les entreprises qui gravitent autour des libéraux et qui souhaitent davantage de privatisations. Pourtant, Philippe Couillard ne s’en est pas vanté pendant la campagne électorale : lorsqu’il a annoncé son intention de multiplier les cliniques dans la santé, c’est du bout des lèvres, pressé par ses adversaires, qu’il a avoué qu’elles seraient privées. Sans que l’on poursuive sur le sujet.
Pourquoi donc n’a-t-il pas parlé de tout ça pendant la campagne électorale, plutôt que de nous effrayer avec un référendum qui n’aurait pas eu lieu ? Le Premier ministre du Royaume-Uni, David Cameron, a été plus honnête lors de son élection en 2010, en annonçant que ses mesures d’austérité affecteraient « chaque personne au pays » et qu’elles « s’appliqueraient pendant des années, voire des décennies ». Mais qui se serait fait élire au Québec avec des intentions aussi peu orientées sur les besoins de la population ?
L’arrivée au pouvoir de Philippe Couillard ressasse de bien mauvais souvenirs, ceux de l’ère Charest, ceux de la période où tant de gens ont dû descendre dans la rue en scandant le slogan « J’ai jamais voté pour ça ». Ce surplace a de quoi désoler. Bien d’autres solutions sont envisageables pour donner à la population ce qu’elle mérite : il suffit d’un peu d’audace et d’imagination, arriver à des solutions fiscales plus équitables, comme le propose par exemple la Coalition opposée à la tarification et la privatisation des services publics.
Mais les libéraux ne semblent pas avoir d’autres projets que de tourner en rond. Les prochaines années seront difficiles…