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États-Unis

« Qu’est-ce qu’on fait toute la journée ? On reste assis.es dans la cellule ». Une avocate décrit les conditions abominables des enfants (détenus.es) à la frontière.

Certains enfants ont été détenus.es au poste de la patrouille des frontières pendant trois semaines malgré un règlement qui exige leur transfert après trois jours.

Noah Lanard, Mother Jones, 25 juin 2019
Traduction : Alexandra Cyr

La semaine dernière, des enfants migrants.es détenus.es au poste de la patrouille des frontières à Clint au Texas ont décrit à des avocats.es les horribles conditions de détention que leur impose l’administration Trump. Après avoir traversé la frontière seuls.es ou avoir été séparés.es de leur famille, ces enfants ont été détenus.es sans suffisamment de nourriture, d’eau, de vêtements propres et de la possibilité de prendre une douche.

Jeudi, Associated Press nous informait que trois petites filles tentaient de prendre soin d’un garçonnet d’environ deux ans, et ce, depuis plus de trois semaines. Il avait mouillé son pantalon parce qu’il ne portait pas de couche. Certains.es de ces enfants étaient détenus.es depuis plus de trois semaines alors que la règlementation exige que les enfants non accompagnés.es soient transférés.es dans les trois jours, dans une installation de long terme gérée par le Bureau de la réinstallation des réfugiés.es (BRR) du Ministère de la santé et des services humains.

Lundi en fin de journée, des responsables ont confirmé que des centaines d’enfants détenus.es à Clint avaient été transférés.es dans d’autres installations, la plupart gérées par le BRR. Peu avant cette annonce, j’ai interviewé Madame Clara Long, une avocate et chercheuse de haut niveau à Human Rights Watch. Elle nous raconte ce qu’elle a vu à Clint et dans deux autres postes de la patrouille des frontières au Texas. (J’ai réorganisé cette entrevue à cause de sa longueur et pour plus de clarté).

Mother Jones : Où étiez-vous la semaine dernière au Texas et qu’y faisiez-vous ?

Clara Long : Je suis allée à El Paso et dans les environs pour rencontrer des enfants qui sont détenus.es par la patrouille des frontières. J’ai visité trois installations : Clint, le poste de la patrouille à Santa Theresa et ce qu’on appelle le poste no. 1 de la patrouille à El Paso. Je faisais partie d’un groupe de médecins et d’avocats.es qui travaillent selon les règles de l’Arrêt Flores. C’est une vieille entente entre le gouvernement et les avocats.es pour introduire des règles quant aux conditions faites aux enfants durant leur détention aux États-Unis.

Nous n’avons pas eu physiquement accès à ces installations. Nous avons réussi à avoir des listes des enfants détenus.es avec leurs noms et leur âge de la part des patrouilleurs et nous avons parlé à certains.es. Nous avons donc pu choisir et avons commencé par les plus jeunes ; par la suite, nous avons demandé à parler à ceux et à celles qui étaient là depuis le plus longtemps. C’est ainsi que nous avons choisi les enfants parmi les 350 qui étaient à Clint. Je pense qu’en fin de compte nous avons fait environ 30 entrevues avec des groupes d’enfants.

M.J. : Quelle interaction vous a plus frappée durant votre passage à Clint ?

C.L. : J’ai parlé à deux frères ; le plus vieux avait 11 ans et l’autre était tout petit. Ils n’étaient pas propres. Celui de 11 ans avait beaucoup à dire. Il racontait qu’ils n’avaient pas été séparés parce qu’il était la seule personne à prendre soin de son jeune frère. Pendant que nous parlions, le plus jeune est tombé endormi. Nous avons rapproché deux chaises du bureau, nous l’avons installé dessus et il a dormi pendant une heure.

J’ai un enfant d’à peu près cet âge. Alors, vous imaginez, je me sentais comme si je renvoyais ce jeune bambin en cellule seul avec son grand frère. Ce fut un moment terrible. Nous leur avons donné un peu à manger. Le pire fut de leur dire au revoir et de les retourner dans ces cellules de masse.

M.J. : Vous avez aussi rencontré des enfants qui prennent soin d’autres enfants avec lesquels ils ou elles n’ont aucun lien de parenté ?

C.L. : Oui. Il y a un grand nombre d’enfants qui ne parlent pas encore et que nous ne pouvions pas interviewer. Tout ce que nous savions à leur sujet nous l’avons appris d’enfants plus âgés.es qui en prenaient soin informellement. Nous avons demandé à rencontrer des enfants de deux ans sans aucune parenté. Des jeunes de 14-15 ans les accompagnaient, toujours dans la salle où nous nous trouvions. C’est arrivé à de multiples reprises. Les agents.es nous disaient : « Ah ! Cette personne prend soin des enfants ».
À un moment donné, je me suis retrouvée avec une fillette de 7 ans devant moi. Elle avait traversé la frontière avec sa tante qui l’élevait ; elle en a été séparée. C’est à peu près tout ce que j’ai pu savoir, car elle s’est effondrée, elle ne pouvait plus parler. Elle pleurait en émettant un petit cri et avait du mal à respirer. Elle n’a réussi à s’apaiser que lorsqu’elle s’est rendu compte qu’elle était dans la salle de conférence avec l’adolescente qui prenait soin d’elle. Nous l’avons donc assise sur les genoux de cette jeune fille.

M.J. : Avez-vous pu entrer en contact avec la famille de ces enfants ?

C.L. : Une petite fille avait les mots « US parent » écrit à la taille. J’ai appelé au numéro inscrit et j’ai parlé à ses parents et ils n’avaient aucune idée où elle était gardée.

Un autre groupe de jeunes frères avait été séparé de leur grande sœur à la frontière. Ils étaient perdus parce que c’est elle qui avait le numéro de téléphone de leurs parents et étaient là depuis environ deux semaines sans aucun contact avec la famille. Pour eux, j’ai navigué sur Facebook et j’ai trouvé un cousin, une tante et le père. Nous avons pu les mettre en lien avec leur famille. Nous les avons renvoyés à leur cellule avec 2 copies de toutes les informations concernant leur famille écrites sur une feuille de papier.

M.J. : À quoi ressemble une journée typique pour ces enfants dans cette installation ?

C.L. : On a reçu cette réponse à cette question : « Toute la journée, nous restons assis.es dans la cellule ». Il semble que le ménage y soit fait deux fois par jour. Pendant ce temps, les enfants sont dans le corridor. Certains.es disent que les 10 à 20 minutes dans le corridor est le meilleur moment de la journée. D’autres disent qu’il y a des sorties à l’extérieur du bâtiment pendant de courts laps de temps. Des garçons disent qu’ils ont pu jouer au soccer. Ce sont 10, 20 ou 30 minutes de temps en temps et pas nécessairement tous les jours. Selon leurs dires, ils reçoivent trois repas par jour, mais la plupart se plaignent du peu de nourriture souvent immangeable et de la faim qui les tenaille. Et pendant près d’un mois, la nourriture a été la même, jour après jour.

M.J. : Les avocats.es qui s’occupent des immigrants.es disent que ces conditions abominables sont les mêmes depuis des années dans les postes de la patrouille des frontières. Qu’est-ce que vous avez vu de différent la semaine dernière ?

C.L. : Pas plus tard que l’an dernier, Human Rights Watch a publié un rapport sur les conditions dangereuses dans ces cellules de détention. L’administration Obama n’en a pas assez fait à ce sujet. Qu’est-ce qui est différent maintenant ? Nous n’avons jamais vu autant d’enfants détenus.es pour de si longues périodes.

M.J. : Comment devrait-on organiser ces installations ?

C.L. : Il existe des modèles que les communautés le long de la frontière ont développé ; des centres humanitaires où les gens peuvent avoir des soins médicaux, de l’attention, de la nourriture et des vêtements de rechange. Vous voyez ! Les gens y sont bien traités. On est attentifs à leur bien-être et à leur dignité. En ce moment, à des endroits comme Annunciation House à El Paso et l’Église du Sacré-Cœur à McAllen, on y intervient de cette manière plus humaine. Le gouvernement devrait les imiter.

Le simple bon sens devrait faire qu’on ne sépare pas les enfants des autres membres de leur famille, même s’ils ne sont pas leurs parents directs. Bien souvent, les enfants ont été élevés par d’autres membres de leurs familles et vous les privez de cette figure parentale.

M.J. : On vient tout juste d’annoncer que des enfants incarcérés.es à Clint avaient été transférés.es dans un autre poste de la patrouille des frontières au Texas. Est-ce qu’on peut penser que les traitements seront meilleurs ?

C.L. : Malheureusement non. Je crois comprendre que la plupart ont été transférés.es au poste no.1 de El Paso. C’est le troisième que j’ai visité. La plupart des enfants que j’ai pu rencontrer, à partir des listes qu’on m’a fournies, y étaient depuis quelques heures et avec leurs familles. J’ai parlé avec une famille qui y était depuis six jours et qui m’a dit que les conditions y étaient pires plutôt que meilleures.

M.J. : Dans ce qu’ils vous ont dit, qu’est-ce qui vous fait penser que les conditions y sont pires ?

C.L. : Deux choses étaient différentes et pires : les lumières restent allumées 24 heures par jour ; c’est la pratique dans les postes de la patrouille aux frontières. La température dans la cellule est terriblement froide et cela a déjà été attesté partout à la frontière.

Après cette entrevue, le ministère de la santé et des services humains a déclaré avoir dénombré 249 enfants à Clint la semaine dernière et qu’ils et elles devraient être transférés.es dans des installations sous sa gouverne, mardi.

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