Édition du 23 avril 2024

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États-Unis

Quelques raisons qui empêchent une féministe socialiste de voter pour Hilary Clinton

Cet article est tiré du livre de L. Featherstone intitulé The Faux Feminism of Hilary Clinton édité à compte d’auteur. Il sera offert le printemps prochain chez Verso Books mais peut-être commandé dès maintenant sur Amazon.

Liza Featherstone, europe-solidaire.org, et The Nation, 5 janvier 2016
Traduction, Alexandra Cyr

Pour les féministes socialistes, la redistribution de la richesse est le meilleur moyen pour améliorer les conditions de vie des femmes. Mme Clinton a affiché un mépris très clair face à cette politique.

Il appert que le socialisme puisse être une forme d’identité politique. Certaines féministes, dont Suzanna Danuta Walters, brandissent l’héritage de l’étiquette « bébés à la couche rouge » [1] i et d’autres références culturelles ou sentimentales pour soutenir Hilary Clinton. Elles soutiennent qu’il ne s’agit pas qu’un automatisme féministe, mais bien une véritable position radicale.

Devant de tels arguments, on peut se demander en dehors du fait qu’elle soit une femme, ce que Mme Clinton propose pour être une candidate féministe socialiste passable. Après examen, dans la primaire, devant un socialiste indépendant bénéficiant d’un appui populaire impressionnant, il n’y a aucune raison socialiste et féministe qui permette de soutenir Mme Clinton.

Les féministes socialistes tiennent pour acquis que la redistribution des richesses est la meilleure façon d’améliorer la qualité de vie d’une vaste majorité de femmes, matériellement ou socialement. Prenons un exemple qui n’est pas radical : des pays comme le Danemark et la Suède offrent une vaste gamme de bénéfices sociaux via les services gouvernementaux et nul besoin de s’assurer d’y avoir accès, en désespoir de cause, via le mariage ou l’emploi, comme cela se fait si souvent ici. Les femmes y vivent plus confortablement, élèvent des enfants en meilleure santé et en sécurité et elles partagent leur lit avec qui elles veulent. Tout au long de sa carrière, Mme Clinton a toujours démontré son refus de telles politiques.

Lorsqu’elle était première dame de l’Arkansas, elle a soutenu les efforts de son mari pour affaiblir les syndicats des enseignants-es dont les membres sont très majoritairement des femmes, de surcroit des femmes noires pour un grand nombre d’entre elles. Cette politique a été appliquée pour résoudre des problèmes du système d’éducation, améliorer les contrôles de performance et pouvoir congédier des employés-es, ce qui a eu pour conséquence une atmosphère punitive dans tout le système d’éducation du pays. Au lieu de prendre ses distances avec ces politiques, elle a déclaré récemment que, si elle devenait présidente, elle fermerait toutes les écoles publiques qui « ne réussissent pas mieux que la moyenne ».

Au-delà des chiffres, cela implique beaucoup de pression sur l’ensemble des enseignants-es américains-es, majoritairement des enseignantes : 81 % au niveau primaire et début du secondaire. Avec une telle position, les anciens présidents ressemblent aux dirigeants d’un énorme club hippie privilégiant l’enseignement à domicile. Peut-être bien que les féministes socialistes militant avec ardeur en faveur d’Hilary pourraient se questionner sur les conséquences de leur position politique sur les conditions de travail des femmes noires soumises aux mesures d’austérité qui les affaiblissent constamment.

En plus de vouloir appliquer les restrictions financières au cycle primaire-première moitié du secondaire, Mme Clinton s’oppose à la gratuité dans les collèges. Pourtant, les États-Unis sont le pays au monde où les étudiants-es, dont 57 % sont des étudiantes, doivent rembourser leurs dettes étudiantes pendant des décennies après l’obtention de leur diplôme. Pour défendre sa position, Mme Clinton a déclaré qu’il était important que les personnes qui veulent obtenir une formation supérieure « fassent leur part » pour réaliser cet objectif.

Rien n’a autant atteint les conditions de vie des femmes pauvres que la réforme de l’aide sociale du Président Clinton en 1996. Cette réforme intitulée « Personal Responsability and Work Opportunity Reconciliation Act » a été présentée comme la « fin de l’aide sociale comme nous l’avons connue ». Hilary n’a pas été que spectatrice dans l’élaboration de cette politique. À la Maison Blanche, elle défendait vigoureusement des politiques très dures comme la fin de l’aide sociale traditionnelle. Pourtant d’autres collaborateurs du Président Clinton soutenaient des alternatives, par exemple le Secrétaire au travail Robert Reich. Mme Clinton a défendu sa position en décrivant les mères qui se battent pour joindre les deux bouts comme « celles qui passaient leur temps assises chez-elles à ne rien faire ». Rush Limbaugh [2] n’aurait pas dit mieux. Questionnée sur cet épisode, Mme Clinton a refusé de commenter. La dernière administration Clinton avait mis de l’avant que les pertes découlant de cette politique seraient compensées par des pressions pour faire augmenter le salaire minimum, niveau de salaire de la majorité des travailleurs-euses pauvres au pays. Alors que le mouvement pour son augmentation à 15 $/ l’heure fait des pressions, Mme Clinton a déclaré que 12 $ lui suffisait.

De façon générale, les féministes socialistes s’opposent aux guerres impérialistes qui rendent la vie insupportable à la majorité des femmes, quel que soit leur niveau de vie par ailleurs. Pourtant, au cours de sa fonction de Secrétaire d’État, Mme Clinton a soutenu que les guerres peuvent aussi libérer les femmes. Elle donnait l’exemple des Talibans qui pourraient respecter les droits humains. C’est au cours de son mandat de Secrétaire d’État que les viols et les meurtres de femmes ont augmenté au Honduras, en Irak et en Lybie, notamment dû aux politiques d’intervention militaires qu’elle a soutenues et contribué à mettre en action. Au Honduras, elle a fourni soutien secret et encouragements discrets au coup d’État contre le président légalement élu, permettant ainsi à des forces réactionnaires de prendre le pouvoir. Ces nouveaux dirigeants ont déclenché un des chapitres les plus violents de l’histoire de ce pays. Selon Mark Weisbrot du Center for Economic and Policy Research, les meurtres de femmes ont connu une augmentation sans précédent depuis ce coup d’État.

Mme Clinton a toujours soutenu la guerre en Irak, que ce soit à titre de sénatrice de l’État de New-York ou de Secrétaire d’État. Dans l’administration Clinton, elle était la plus favorable à l’invasion en Lybie. Non seulement un nombre important de femmes sont mortes sous les attaques américaines contre des civils de ces pays, mais la présence de troupes a favorisé la montée des extrémistes religieux comme le Groupe armé état islamique pour qui les meurtres de femmes font partie de leur mode de vie.
Mais, cette année, il y a un candidat féministe socialiste à la primaire démocrate, c’est Bernie Sanders.

Pouvons-nous nous attendre à ce qu’au moins Mme Clinton soit une alliée solide dans la lutte à la guerre contre les femmes ici, au pays ? Pas vraiment. Elle a déclaré que les avortements doivent être sans risques, légaux et « rares ». Ce terme stigmatise celles qui y ont recours. L’été dernier, lors des attaques de la droite contre l’organisme « Planned Parenthood »,ii Mme Clinton a eu une attitude ambigüe en déclarant, dans un premier temps, que les vidéos des opérations de l’organisme étaient troublantes pour dire, la semaine suivante, qu’elle le soutenait. Déclaration plutôt forte chez une femme qui a déjà soutenu que « les droits des femmes font partie des droits humains ».

En période normale d’élections, tout ça soulèverait des raisons de faire campagne, mais pas nécessairement de travailler ou de voter contre elle. Après tout quelle est l’alternative ? Toutefois, cette année il y a une bonne raison de voter contre Hilary ; un candidat féministe socialiste se présente à la primaire démocrate, Bernie Sanders. Ce n’est pas un révolutionnaire marxiste ; si vous cherchez quelqu’un qui est prêt à déposséder ceux et celles qui exproprient, vous devrez attendre encore un peu. Il a passé sa vie à se battre avec constance, et ce, sans s’en excuser, pour des politiques sociales démocrates qui doivent améliorer la qualité de la vie de la majorité des Américaines. Contrairement à Mme Clinton qui s’évertue à les humilier et à imposer un régime d’austérité aux plus pauvres et à leurs enfants, B. Sanders a participé à la direction de la lutte contre la volonté des Républicains-es de réduire les bénéfices du programme d’aide alimentaire fédéral aux mères, aux bébés, aux enfants et aux femmes enceintes. Il a déclaré, qu’advenant son élection à la présidence, il le renforcerait. Des éléments de première importance pour les femmes figurent dans sa plateforme comme la scolarité gratuite dans les collèges, un programme universel gouvernemental d’assurance maladie, des soins de première qualité pour tous les enfants américains et le salaire minimum à 15 $ l’heure. Alors que Mme Clinton vacillait quant à son attitude face la Planned Parenthood, Bernie Sanders a déclaré qu’il augmenterait le financement fédéral de l’organisme et que son plan d’assurance maladie augmenterait également les services gynécologiques et obstétriques.

Bien sûr que je voudrais voir les petites filles inspirées par l’image d’une femme présidente comme elles le sont par nos athlètes olympiques. Mais, à moins qu’elles ne fassent partie de l’élite, la plupart d’entre elles ne pourront jamais arriver à l’égalité avec les hommes, sauf ceux de la trempe de M. Sanders qui se bat pour des réformes (qui permettraient d’y arriver). En attendant, elles sont sous pression pour être belles plutôt que détentrices du pouvoir. La victoire de Mme Clinton serait un progrès symbolique, mais en même temps elle signifierait la fermeture à toute amélioration véritable de la qualité de vie de la majorité des femmes.

Lorsqu’elle a déclaré : « Nous ne sommes pas le Danemark ! », Mme Clinton a clairement signalé qu’elle n’avait rien à faire avec le mouvement social-démocrate. Au contraire, elle a mis de l’avant les « opportunités » et la « liberté » qu’offre le capitalisme américain. Avec une petite miette de franchise, elle a généreusement donné les raisons pour lesquelles ceux et celles qui ne sont pas socialistes et ni millionnaires devraient voter pour elle. Elle est suffisamment intelligente pour savoir que les femmes américaines vivent dans la pauvreté, subissent plus de chômage et d’insécurité alimentaire que leurs consoeurs danoises. Il est honteux qu’elle signifie sans ambigüité que cette situation lui convient.


[1Animateur de radio d’extrême droite très populaire aux États-Unis, n.d.t.

[2La droite accusait l’organisme de vendre des tissus biologiques recueillis lors des avortements. Planned Parenthood a toujours soutenu, et soutient encore qu’il recueillait des éléments pour les remettre gratuitement (sauf remboursement des frais encourus) à des laboratoires de recherche. N.d.t.

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