Édition du 8 octobre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Une campagne pour sortir du pétrole

Refusons de nous faire enfoncer dans l'utilisation des énergies fossiles

Pour poursuivre et désenclaver l’exploitation des sables bitumineux, il faut multiplier la construction de pipelines, vers l’océan Pacifique, vers le sud et vers l’est. Les investissements sont prévus. Les projets sont amorcés ou planifiés. Au Québec, le gouvernement Marois offre sa collaboration à ce projet de renforcement de notre dépendance au pétrole au mépris de toute stratégie d’indépendance énergétique.

Mais la résistance s’organise.

Le 17 février dernier, plus de 30 000 personnes manifestaient à Washington pour demander au président Obama de stopper le projet Keystone XL. Au Canada, que ce soit en Colombie-Britannique ou en Ontario, les manifestations contre la construction des pipelines transportant le pétrole tiré des sables bitumineux se multiplient. Les Premières Nations sont à l’avant-garde de ce combat essentiel. Au Québec, la prise de position de la ville de Gaspé contre l’exploration pétrolière de l’entreprise Pétrolia mettant en danger la nappe phréatique de la municipalité, les dénonciations des habitants des Îles-de-la-Madeleine contre l’exploitation du pétrole dans le golfe St-Laurent peuvent et doivent être les premières initiatives d’un mouvement d’ensemble contre la priorité accordée à l’exploitation pétrolière aux dépens de la nécessaire transition vers les énergies renouvelables.

Informer, mobiliser, organiser pour bloquer la transformation du Québec en plaque tournante de la distribution pétrolière sur le continent.

L’année 2012 a été marquée par le printemps étudiant. Elle a également été marquée par le développement d’un mouvement contre l’exploration et l’exploitation du gaz de schiste. Les groupes écologistes, relayés par des comités de citoyennes et de citoyens qui se sont autoorganisé dans les différentes régions touchées par cette exploration, ont fait, en s’appuyant sur différents médias sociaux, un travail d’explication en profondeur sur les dangers que représentaient les gaz de schiste. Ce travail d’information a permis de faire dérailler la campagne de désinformation de l’Association pétrolière et gazière du Québec et de ses présidents successifs : Alain Caillé et Lucien Bouchard. La démission de ce dernier est particulièrement révélatrice de la force de la résistance populaire.

Les groupes écologistes et citoyens ont organisé des mobilisations locales, régionales et nationales. On se rappellera la manifestation massive du 22 avril 2012 qui a réuni à Montréal plus de 250 000 personnes autour d’une revendication essentielle qui a permis d’unifier le mouvement : celle du moratoire sur l’exploitation du gaz de schiste. Malgré son intransigeance et sa mauvaise foi totale sur la question du moratoire, le gouvernement Charest a dû accorder la mise en place d’un comité d’étude stratégique sur les conditions d’une telle exploitation. Ce fut l’acceptation d’un moratoire de fait, même si la composition de l’équipe devant faire cette étude stratégique était marquée par le choix gouvernemental en faveur de cette exploration. La décision du gouvernement péquiste de confier au BAPE l’étude sur l’exploitation du gaz de schiste montre que la mobilisation populaire produit encore ses effets.

En favorisant le processus d’auto
organisation et les politiques d’unité d’action avec les autres mouvements sociaux, le mouvement de résistance à l’exploitation et à l’exploration du gaz de schiste nous a montré la voie à suivre dans le dossier du pétrole.

Déconstruire les arguments des grandes entreprises pétrolières et des gouvernements à leur service.

Les grands médias sont mobilisés dans une campagne politique d’ampleur pour nous enfoncer encore davantage dans l’utilisation des énergies fossiles. Les éditorialistes multiplient les appels au réalisme et à l’acceptation sans examen des fausses évidences. Un travail de déconstruction de ces fausses évidences est un travail pédagogique essentiel.

a. Accepter de construire ou d’aménager des pipelines pour permettre l’exportation du pétrole vers les États-Unis, c’est favoriser l’exploitation des sables bitumineux qui constituent une source majeure au Canada d’émission des gaz à effet de serre. On parle d’emplois. Mais ce sont des emplois déterminés, dans des secteurs déterminés dont les productions sont, en soi, dangereuses pour l’environnement.

b. Accepter cette ouverture de faire du Québec une plaque tournante de la distribution du pétrole tiré des sables bitumineux, c’est contribuer à élargir la place du secteur privé dans la production et la distribution des ressources énergétiques sur le territoire québécois. C’est abandonner notre souveraineté énergétique aux mains d’entreprises qui ne cherchent que leurs profits. C’est renforcer leur poids dans l’économie du Québec, leur pouvoir d’influence et de blocage sur les choix publics en ce domaine.

c. Choisir de faire du Québec un lieu d’exploitation pétrolière et de transit des énergies fossiles, c’est s’inscrire dans une économie extractiviste en s’appuyant sur les mirages d’une possible manne de redevances sans tenir compte de la situation réelle de l’économie mondiale.

d. Faire ce choix du développement de l’emploi des énergies fossiles, c’est refuser de donner la priorité à l’élaboration d’un plan de transition énergétique vers les énergies renouvelables.

e. Faire un tel choix, c’est collaborer aux projets des multinationales qui agissent de façon irresponsable et dangereuse en rejetant toute lutte contre l’augmentation d’émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère avec toutes les conséquences sur le réchauffement de la planète et les désastres écologiques que nous vivons déjà et que nous serons de plus en plus appelés à vivre.

Faire connaître et favoriser le réseautage de toutes les résistances à la relance de l’exploitation des énergies fossiles.

Les résistances au tournant pétrolier sont déjà importantes. Dans les médias, on n’entend que les défenseurs d’entreprises pétrolières. Le réalisme à très courte vue fleurit dans les médias au mépris de tous les avertissements des scientifiques sur les dangers que fait courir la poursuite d’émissions de gaz à effet de serre sur le dérèglement climatique. Il faudrait tout de même se rappeler que depuis les avertissements du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) le niveau d’émission sur les gaz de serre n’a pas cessé d’augmenter.

Le Québec écologiste a besoin d’une campagne massive, active et militante pour contrer le piège pétrolier que l’on veut nous imposer. Les groupes écologistes ont une responsabilité de première grandeur pour son lancement. Mais l’ensemble des forces sociales progressistes et la gauche politique devrait se sentir interpellé par une telle campagne.

Comme mesure immédiate, il faudrait exiger du gouvernement péquiste qu’il élargisse à l’exploitation et au transport du pétrole sur le territoire du Québec, le nouveau mandat confié au BAPE sur l’exploitation des gaz de schiste. Si le gouvernement se permet d’opérer une telle division, c’est que la pression n’est pas suffisamment forte pour qu’il assume jusqu’au bout ses responsabilités environnementales.

La transition écologique vers les énergies renouvelables est possible

La résistance est essentielle. D’autant plus que d’autres formes de développement sont possibles. La transition énergétique vers les énergies renouvelables permettant la sortie du pétrole et de toutes les énergies fossiles doit être planifiée. Elle ne peut être le fruit spontané de décisions privées faites par des entreprises en quête de profits juteux. Elle doit se donner un horizon assez rapproché : les deux décennies qui viennent. La planification écologique de cette transition doit être confiée à une entreprise publique de l’énergie qui favorisera la participation démocratique des citoyennes et des citoyens de toutes les régions du Québec. Ce tournant énergétique implique une réorganisation fondamentale de l’économie du Québec :

 Investissements publics dans l’énergie éolienne, dans l’énergie solaire, la géothermie et les autres formes d’énergies renouvelables afin de parvenir à une véritable décarbonisation de l’économie.

 Mise en oeuvre d’un vaste programme d’économie d’énergie aux niveaux des secteurs résidentiels, industriels et institutionnels.

 Électrification des transports collectifs en milieu urbain et des transports interurbains.

 Réarticulation des secteurs de l’économie pour favoriser l’utilisation des ressources d’ici dans des productions industrielles favorisant la transition énergétique et la sortie du pétrole.

 Réaménagement de la planification urbaine pour éviter l’étalement urbain.

 Socialisation des finances afin d’orienter les ressources financières vers une stratégie de soutien au tournant écologique de l’économie.

 Passage d’une agriculture polluante à la défense d’une agriculture visant la souveraineté alimentaire.

 ...

Une résistance massive aux choix antiécologiques de gouvernements irresponsables peut se développer. Le mouvement contre l’exploitation des gaz de schiste l’a démontré. Mais pour qu’elle soit efficace, elle doit développer ses critiques, s’organiser à la base, fédérer ses initiatives en élaborant des mots d’ordre communs et ne pas hésiter à occuper les rues et les places publiques pour démontrer sa détermination. Et cette détermination est nécessaire pour s’opposer à l’irresponsabilité de l’oligarchie régnante qui ne pense qu’à ses intérêts les plus immédiats au mépris de la planète et de ses habitants.

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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