Édition du 26 mars 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Trêve, violence et désinformation

Depuis le début de la grève étudiante, il y a maintenant 11 semaines, je suis étonnée de constater, jour après jour, à quel point la population est mal informée sur les enjeux réels de ce conflit qui, disons-le, dégénère. Partout, des stéréotypes sur les étudiants qui font « la belle vie » sont véhiculés, la ministre de l’Éducation nous rappelle qu’ils refusent de faire leur « juste part » et Jean Charest profite des manifestations pour faire de l’humour. Avec les événements des derniers jours, la désinformation atteint des sommets inégalés. Il est temps de remettre les pendules à l’heure.

Définissons d’abord ce qu’est la désinformation. Selon Volkoff (1997), il s’agit de la « manipulation de l’opinion publique, à des fins politiques, avec une information traitée par des moyens détournés ». Parmi ces moyens détournés, notons, par exemple, le fait de présenter une opinion comme une nouvelle, de ne présenter qu’une partie des faits et d’en omettre d’autres, de donner une importance exagérée à certains faits plutôt qu’à d’autres, d’utiliser des sondages non scientifiques ou des rumeurs pour faire la nouvelle. Ces stratégies nous les connaissons bien, car notre gouvernement et les médias les utilisent déjà depuis belle lurette.

Voyons quelques exemples d’actualité : la fameuse trêve imposée par Mme Beauchamp comme condition aux négociations et que la CLASSE aurait, semble-t-il, rompue. Toute personne qui connaît minimalement les structures démocratiques sait qu’un porte-parole ne peut prendre de décisions sans avoir auparavant la possibilité de consulter ses membres. Or, cette trêve n’a jamais été entérinée par les membres de la CLASSE, elle ne peut donc pas avoir été rompue ! S’agissait-il simplement d’une stratégie pour discréditer ce mouvement « radical » ? (Je fais ici une parenthèse sur le mot radical qui signifie : fondamental, à la racine. Donc un mouvement radical s’attaque à la racine du problème, cela ne veut pas dire qu’il est violent ! Pensons au mouvement des femmes qui s’attaque au patriarcat !).

Toujours au sujet de cette dite trêve : personne n’a mentionné que les premiers à avoir brisé la trêve sont les membres du Mouvement des étudiants socialement responsables du Québec (MESRQ), bien encadrés par des amis du Parti Libéral. Dès le lendemain du début des négociations, ils ont rendu disponible gratuitement sur Internet un « kit » d’injonction, soigneusement préparé par « Hartley strategies » une firme cofondée par la fille de Pierre-Marc Johnson, Marie-Claude Johnson, ayant elle-même été attachée politique de Raymond Bachand. Et dire que la semaine précédente, le juge Gaétan Dumas, ancien président de la Commission juridique du Parti Libéral du Québec, avait accordé une injonction obligeant la reprise des cours à l’université de Sherbrooke. C’est ce qu’on appelle, à mon avis, être juge et parti. Mais comment se forger une opinion critique à ce sujet si nous n’avons pas toute l’information ?

Autre démonstration flagrante de désinformation : suite à l’annonce par la ministre de l’Éducation de l’exclusion de la CLASSE à la table de négociation, Gabriel Nadeau-Dubois fait son point de presse. À TVA et à LCN, pendant son discours, on montre des images du vandalisme ayant eu lieu pendant la fin de semaine aux manifestations contre le Plan Nord. Cette manifestation n’était même pas organisée par la CLASSE. On joue sur l’inconscient collectif : Gabriel Nadeau-Dubois est un être violent.

Mais on ne parle surtout pas des vrais casseurs. Rappelez-vous en 2007, les manifestations contre le sommet de Montebello. Des agents provocateurs de la Sureté du Québec avaient été démasqués, roche à la main et tentant d’inciter les manifestants à la violence. La SQ avait même admis avoir recours à ce genre de stratégie. La situation se répète, cela a été le cas au cégep de Limoilou la semaine dernière alors qu’une manifestation très pacifique s’est envenimée suite à un discours d’un homme que personne ne connaissait et qui, étrangement, a été un des seuls à ne pas se faire arrêter. Qui sont ces agitateurs ? Des policiers ? Des jeunes payés par le Parti libéral ou les corps policiers ? Des « pro-hausse » qui veulent semer la bisbille ? Des gens de groupes criminalisés ? Quoi qu’il en soit, il est clair qu’ils cherchent à discréditer un mouvement pourtant légitime, qu’ils rendent « acceptable » l’usage d’une force démesurée contre les manifestants et surtout, qu’ils dévient le débat central qui devrait porter sur la hausse des frais de scolarité. Ce fut le cas, aussi, à cette « hostie de grosse manif » à Montréal. Alors que 6950 personnes sont pacifiques, une cinquantaine décide de commettre des actes de vandalisme. Des amis présents sur place m’ont raconté avoir vu des manifestants tentant de les arrêter, les encercler, les pointer du doigt, les huer… alors que les policiers les regardaient sans rien faire, en attendant le signal pour « rentrer dans le tas ». Qui dénonce cette violence de l’État sur nos jeunes ? Et pourquoi met-on encore la faute sur la CLASSE et son porte-parole ?

Parce que, jouer sur les mots, c’est aussi désinformer. On ne parle pas de hausse des frais de scolarité, mais de « coût du diplôme universitaire », ou encore de « droits de scolarité ». On ne parle pas de grève, mais de « boycott ».

Il y avait 200 000 personnes dans les rues le 22 mars et probablement 300 000 le 22 avril pour le Jour de la Terre (j’y étais, c’était spectaculaire). Pourtant, on en parle à peine quelques secondes aux nouvelles. Le Journal de Montréal préfère quant à lui un « terrain contaminé » pour faire sa une. Par contre une manifestation de quelques centaines de personnes qui dégénère, c’est suffisant pour faire les manchettes et animer les lignes ouvertes pendant plusieurs jours.

En laissant trainer le conflit de cette manière, il s’envenime et se cristallise. Cela permet sans doute à nos dirigeants de continuer à travailler sur leurs dossiers « importants » : l’exploration gazière, le Plan nord, la corruption et la collusion, la hausse des tous les autres frais (pensons à la taxe santé), etc. Bizarrement, on n’entend plus beaucoup parler des conservateurs fédéraux et d’Harper, de ses F-35, des fraudes électorales, du retour du débat sur l’avortement, des coupures dans de multiples programmes pour les jeunes, les femmes, l’aide internationale, l’environnement, la culture, les travailleurs. Je crois avoir vu quelque part que c’est ce qu’on appelle une « éclipse médiatique ». Ne nous laissons pas berner. Nous savons que les médias, les empires Québécor et Gesca en tête, sont main dans la main avec le gouvernement. C’est pourquoi ils ne montrent qu’une facette de la réalité.

La manipulation, c’est une « emprise exercée par une personne sur une autre dans le but de contrôler ses actions ou ses sentiments. Elle contourne le sens critique de l’individu ». La manipulation s’appuie sur les émotions, les biais cognitifs (fausse information, simplification exagérée), les systèmes de récompense et de punitions. Cela vous dit quelque chose ? Nous ne sommes pas dupes ! Lorsque la population n’arrive plus à savoir ce qui est vrai ou faux, elle cherche ce qui est rassurant. Mais moi, je ne suis pas rassurée.

« Si vous n’êtes pas vigilants, les médias arrivent à vous faire détester les gens opprimés et à aimer ceux qui les oppriment » - Malcom X

Julie McDermott

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