Édition du 16 avril 2024

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Amérique du Sud

Venezuela - Contrôle ouvrier et autogestion, « faisons confiance au peuple… »

Des élections législatives sont prévues le 26 septembre prochain au Venezuela. Le scrutin vise à élire la nouvelle Assemblée nationale. Presse-toi à gauche poursuit la publication d’une série d’articles sur le pays et le processus en cours. Le pays que plusieurs voient comme le laboratoire du socialisme du XXIe siècle connaît des avancées mais aussi plusieurs situations contradictoires. Nous souhaitons que les prochains témoignages pourront éclairer davantage une situation cruciale pour l’avenir du mouvement anticapitaliste. Cette semaine : des formes de contrôle ouvrier sur la production.

La Corporacíon Venezolana de Guayana (CVG), qui emploie plus de 18 000 travailleurs a été restructurée. Les travailleurs ont élu leurs représentants et analysent des propositions de modèles de gestion de la production, de la commercialisation, des conditions de travail et de la protection de l’environnement. Toutes les directions des entreprises ont été révoquées et l’autogestion sous le contrôle ouvrier commence.

Au milieu de la crise, la profonde crise du système capitaliste, quand celui-ci nous offre déjà son rostre le plus cruel, quand la rage et parfois le sentiment d’impuissance envahissent ceux qui le combattent depuis des années et qui prédisaient ses conséquences, les lumières d’espoir montrant qu’un autre monde est possible passent parfois inaperçues.

Le Venezuela n’a pas eu trop d’admirateurs au sein de la gauche. Pour les organisations de la « gauche institutionnelle » il s’est toujours agi d’un processus gênant. Ne parlons pas de ces « socialistes » qui se sont alignés contre Chávez et en faveur de la droite vénézuélienne dans une alliance que Felipe González a scellée avec l’ex-président Carlos Andres Perez, artisan des réformes néolibérales qui ont provoqué la révolte populaire appelée le « Caracazo ». C’est de là que vient le mouvement populaire qui a mis fin au système bipartite classique au Venezuela et qui a abouti à la victoire électorale de Chávez. Depuis, douze consultations électorales ont été gagnées et un référendum a été perdu (celui de la réforme constitutionnelle).

Et l’autre gauche ? Pour la multitude de groupes gardiens de l’orthodoxie ce processus, avec un rôle peu évident des secteurs « prolétariens », un rôle déterminant joué par les militaires, avec ses hétérodoxies et, pourquoi le cacher, les nombreuses incongruités de Chávez, mérite d’être « excommunié ».
Pourtant, malgré tout, le « processus » avance

Au Venezuela on appelle « processus » cette tentative révolutionnaire qui rassemble tout ce que font les classes populaires : avec Chávez, sans Chávez et malgré Chávez. C’est une formule qui définit le mieux la résultante des vecteurs contradictoires qui donnent aujourd’hui un résultat positif. Ceux qui aspirent seulement à une lecture solidaire et acritique ne peuvent en réalité comprendre ce que proposent les protagonistes du processus vénézuélien eux-mêmes.
Au cours des deux dernières années, et en particulier durant les derniers mois, des événements qui orientent le processus dans une direction prometteuse se sont pourtant produits.

La réponse du gouvernement à l’accaparement du secteur alimentaire par les multinationales a été l’expropriation et la nationalisation. Ainsi les sucreries, les laiteries, les rizières, les entreprises cafetières ou produisant la farine de maïs ont été transformées en entreprises socialistes de production. Deux des plus importantes chaînes transnationales de supermarchés ont été nationalisées et placées sous le contrôle des travailleurs. La puissante chaîne colombienne « Éxcito » est devenue celle du « Bicentenaire » ; Face à la crise énergétique — résultat de l’assèchement historique du barrage de Río Gurí (dont la centrale produit 70 % de l’énergie électrique vénézuélienne) — la réponse a été la réorganisation de l’entreprise nationale vénézuélienne Corpolec en la mettant sous contrôle ouvrier et en écartant la vieille direction bureaucratique responsable des erreurs et de l’inefficacité de la planification.
Surtout, le 13 mai dernier, un décret a fait passer toute l’industrie extractive et métallurgique sous le régime de l’autogestion sous contrôle ouvrier. Un acte sans précédent.

La constituante ouvrière

La Corporacíon Venezolana de Guayana (CVG), qui comprend 15 entreprises employant plus de 18 000 travailleurs et qui représente l’axe économique et social d’une région incluant cinq États et plus de la moitié du territoire vénézuélien, a été restructurée dans tous ses aspects. Les travailleurs ont élu leurs représentants en assemblées générales et depuis ils analysent des propositions de modèles de gestion de la production, de la commercialisation, des conditions de travail et de la protection de l’environnement.
Toutes les directions des entreprises ont été révoquées et l’autogestion sous le contrôle ouvrier commence dans les mines, l’exploitation forestière, le contrôle écologique, les usines sidérurgiques et le secteur de l’aluminium avec ses industries transformatrices.

C’est une lutte longue. Sidor, l’entreprise la plus importante de la corporation, producteur de 25 % de l’acier liquide de l’Amérique latine, a toujours été un exemple, une espèce de « navire amiral » du mouvement ouvrier vénézuélien. Les assemblées générales devant la porte n° 3 furent, historiquement, le modèle de la démocratie syndicale. C’est ici que les travailleurs, rassemblés à quatre ou cinq mille, prenaient les décisions et plus d’une fois les « bases » ont changé les décisions des « dirigeants ». Une transnationale italo-argentine en avait été, jusqu’à récemment, l’actionnaire principal.

En avril 2008, après trois ans de blocage et 13 mois de négociations, Sidor s’est mis en grève face à l’intransigeance de l’entreprise et à l’attitude complice du ministre du travail du gouvernement Chávez, Jose Ramón Rivero. Ce dernier a essayé d’imposer un arbitrage tripartite, qu’il avait cyniquement nommé « ouvriériste » et « bolivarien ». Lors des négociations la proposition gouvernementale a été acceptée, car la transnationale faisait front avec le ministre, et cela bien qu’elle soit en contradiction avec la Loi organique du travail.

Devant la démagogie désespérée du ministre et la tentative d’imposer un référendum ne retenant que la proposition patronale, l’assemblée de base a prolongé la grève de 48 h à 80 h. C’est dans ce contexte que les travailleurs ont dû faire face à une répression très violente de la Garde Nationale : 50 ont été arrêtés, plus de 15 blessés et 43 véhicules des ouvriers détruits.
Dans cette situation, alors que le gouvernement gardait le silence, au milieu d’un débat sur l’autonomie du mouvement ouvrier vénézuélien lors duquel certains n’ont pas oublié de justifier « la dureté contre les privilégiés » au nom du socialisme, Chávez a destitué Jose Ramón Rivero, nationalisé Sidor et mis en route le « Plan Guayana socialiste ».

« Je joue dans le camp des travailleurs » a dit Chávez deux ans plus tard, lors d’une assemblée avec les travailleurs de Guayana. Il a annoncé l’étatisation de davantage d’entreprises : Norpro de Venezuela (producteur de bauxite), Matesi (sidérurgie), Comsigua (sidérurgie) ainsi que celles qui transportent les matières premières des entreprises de base de Guayana. Il a expliqué qu’il n’a pas été possible d’arriver à un accord pour racheter ces entreprises (dans le cas de Matesi le groupe propriétaire a fait une offre qui quintuplait la valeur réelle) et que, par conséquence, il n’y avait pas d’autre alternative que la nationalisation.
C’est une lutte contre la corruption, le gaspillage et l’inefficacité, en faveur d’un modèle de gestion qui s’appuie sur l’expérience des travailleurs, sur leurs connaissances des problèmes et parie sur la supériorité de l’intelligence collective. C’est un pas en direction du socialisme.

Mais il y a des décisions qui échappent au cadre de l’entreprise. Ces entreprises exportent surtout les matières premières et les produits semi-finis qui sont transformés dans les pays industrialisés et que la population vénézuélienne achète ensuite à des prix élevés. Les entreprises fondamentales de Guayana doivent devenir fournisseurs de produits manufacturés, ce qui nécessite une conversion de l’industrie vénézuélienne. En ce sens la création d’entreprises socialistes pour produire les produits manufacturés actuellement importés est une tâche urgente pour acquérir la souveraineté et rompre avec la dépendance. Il existe déjà un projet, annoncé par Chávez, pour le réaliser dans le bas Orénoque, en relation avec la production du fer, de l’acier et de l’aluminium, entre autres.

« Faisons confiance au peuple. Ces entreprises, il faut les relever, les faire produire, mettre un terme à l’inefficacité, à la corruption, au gaspillage. Elles doivent faire des bénéfices… Le contraire serait une peine, une honte… nous devons démontrer la viabilité du projet socialiste, montrer que toute cette activité donne des résultats, mais pour cela il faut changer complètement le schéma. »

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