Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Coronavirus

Le virus Beta

Si elle était notre contemporaine, Mary Travers, cette grande chanteuse populaire connue sous le nom de la Bolduc comme on dira « la Callas », nous ferait très certainement une chanson sur le thème du coronavirus Covid-19 en nous en énumérant toutes les conséquences farfelues et contradictoires dans la société.

Ce que je remarque, pour ma part, c’est qu’il est accompagné d’un autre virus beaucoup plus contagieux, et qui rend bête. Cet autre virus empêche de tenir des raisonnements complets, de sorte que certains gouvernants songent à interdire la venue d’avions en provenance de pays donnés sans se rendre compte que cela ne sert de rien si on n’interdit pas en même temps ceux qui s’y rendent, car dans une liaison aérienne entre deux villes, il y a nécessairement aller-retour, donc que les gens qui partent pour là-bas, doivent bien en revenir et que ce n’est pas parce que ce sont des nationaux qu’ils sont moins à risque.

Ce virus conduit un président à traiter le coronavirus de « virus étranger », parce que la menace vient toujours de l’extérieur et des « vilains étrangers ». Ça me rappelle Agatha Christie, qui se moquait gentiment, dans ses Hercule Poirot, de la classe aristocratique dont elle a fait partie par son deuxième mariage. Chaque fois qu’on parlait de meurtre ou de crimes financiers, elle faisait s’exclamer par l’un ou l’autre des personnages guindés : « Pas ici, nous sommes en Angleterre ! » ou « C’est sûrement un étranger. » Remplacez l’Angleterre par les States et vous serez d’actualité.

Ce virus fait en sorte que les commentateurs sportifs vous annoncent qu’ils n’ont rien à dire au sujet des compétitions sportives, vu qu’elles sont toutes annulées, et qu’ils prennent cinq bonnes minutes pour vous le dire.

Le virus Bêta entraîne la boulimie du papier hygiénique. Une sorte d’appétit furieux dont j’ai entendu parler il y a une dizaine de jours sur les ondes de la BBC World Service dans une émission provenant d’Australie, où l’on expliquait que la denrée qui disparaissait le plus vite des tablettes en cas de panique était le papier de toilette.

À toutes les personnes friandes et fanatiques de cet objet fétiche, je recommande fortement la lecture du chapitre XIII de la Vie très horrifique du grand Gargantua, père de Pantagruel par le facétieux Rabelais, lequel chapitre est consacré à l’invention du meilleur et plus voluptueux instrument propre à torcher ce que vous savez.

Ce virus obscurcit l’esprit au point de pousser des acheteurs à remplir leur immense panier de bouteilles d’eau comme si la ville allait fermer les robinets demain matin, à vider les étalages de pain industriel et de farine, comme si la famine nous menaçait et comme si chacun se mettrait tout à coup à cuire son pain alors qu’on n’est même pas capables de se faire un riz aux légumes et qu’on commande son repas à l’aide d’une application sur un téléphone aussi intelligent que soi-même.

Bien sûr que je comprends qu’on puisse avoir peur, même si l’on sait que c’est l’achat désordonné qui cause la pénurie dont on cherche pourtant à se prémunir. Bien sûr que je sais que certaines personnes souffrent d’angoisse et cherchent le réconfort dans des comportements obsessifs-compulsifs. Bien sûr que je sais que le capitalisme nous a transformés en machines consommatrices qui ne connaissent d’autre façon d’affirmer leur existence que par l’acte d’acheter.

Je sais aussi que, de la même façon que le vote ne relève pas la plupart du temps d’un choix rationnel, mais d’un investissement libidinal (lire à ce sujet mon billet du 4 avril 2011), la réaction consommatrice à la peur de voir son mode de vie bouleversé induit une régression à un stade qui d’un point de vue psychologique est bien antérieur au stade de la pensée logique.

Cela illustre sur le plan individuel la thèse de Corinne Dupré (lire Cannibalisme et Capitalisme) selon qui le capitalisme a fait régresser la société au stade oral, où tout passe par la bouche, ce qui conduit à un rapport au monde qui se réalise par la dévoration.

Pour compléter l’exploration thématique, si vous avez le goût de vous défouler en dansant sur un rock des années 70, je vous conseille Meat City de John Lennon, dans laquelle chanson les gens se vautrent dans le poulet frit comme s’ils devaient mourir le lendemain. En prime, pour boucler la boucle avec notre sujet, l’histoire se termine en Chine.

LAGACÉ, Francis

Francis Lagacé

LAGACÉ Francis
8200, rue Hochelaga App. 5
Montréal H1L 2L1
Répondeur ou télécopieur : (514) 723-0415
francis.lagace@gmail.com.
www.francislagace.org
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