Édition du 3 décembre 2024

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Écologie

Après Copenhague, Cochabamba comme alternative ?

Convoquée par Evo Morales, suite à l’échec de la Conférence des Nations-unies sur le climat à Copenhague, préalablement à celle de Cancun (Mexique) en décembre 2010, cette conférence se tint à Cochabamba, ville restée célèbre pour son combat contre la privatisation de l’eau en 1990.Un accord boiteux avait été conclu à Copenhague et imposé par quelques grands pays, un certain nombre d’entre eux, dont la Bolivie et l’Equateur, ayant refusé de le signer.

L’originalité de la démarche fut d’avoir convoqué ensemble, mouvements sociaux et gouvernements. En fait, seuls deux chefs d’Etat furent présents, Evo Morales et Hugo Chavez et deux vice-présidents, celui de Cuba et celui du Burundi. Les délégations officielles furent au nombre de 47, plus quelques organisations internationales, tel le secrétariat des Nations-unies Il y eut 147 nationalités présentes et quelques 35.500 inscrits, ce qui dépassa de loin les 15.000 attendus. Plus de 800 européens et un certains nombre d’Africains et d’Asiatiques furent empêché d’y prendre part, à cause de l’interruption du trafic aérien, due à l’activité volcanique.

La Conférence se tint à l’UNIVALLE, une université privée d’un faubourg de la ville, qui avait mis son campus et des centaines d’étudiants au service de cette activité. Dix sept groupes de travail (mesas) sur le thème central préparèrent la déclaration finale et rédigèrent des rapports sur des thèmes, tels que les données scientifiques, les causes structurelles des changements climatiques, les migrations et la dette climatiques, les Droits de la terre-Mère, un Referendum mondial sur le climat, l’installation d’un Tribunal pénal international sur les délits contre la nature, etc.

Un dix-huitième groupe de travail, non-officiel, se réunit à l’extérieur du campus, dans une salle de restaurant. Il traita dune question non-abordée au sein de la Conférence : la contradiction entre la défense de la nature (la Pacha-Mama) et les politiques extractives (pétrole, gaz, mines) des pays progressistes de l’Amérique latine. Des critiques très dures y furent émises par des groupes écologistes et indigènes, qui en général, cependant, reconnaissaient le bien fondé des politiques sociales de ces mêmes pays.

Il y eut aussi des centaines d’ateliers autogérés, organisés par des mouvements sociaux ou des ONG, traitant de questions diverses, telles que le rôle des Banques internationales (Banque mondiale, Banque interaméricaine de développement, etc.) la culture et les changements climatiques, les glaciers, l’eau, les effets sur la santé, les peuples indigènes, plus de nombreux cas concrets, comme le Yasuni en Equateur (région de haute biodiversité habitée par des peuples indigènes et qui recèle une énorme réserve de pétrole que le gouvernement est prêt à ne pas exploiter, si la Communauté internationale lui accorde la moitié du gain financier que cela aurait rapporté au pays) ou les exploitations minières au Canada, Etats-Unis, Australie et Amérique latine. L’Assemblée des Mouvements sociaux aborda aussi divers aspects de ces thèmes et c’est la Via Campesina qui joua le rôle central, avec son président indonésien et le MST (Mouvement des Paysans sans Terre) du Brésil.

Le dernier jour, une réunion commune entre représentants des pays et des organisations internationales et les mouvements et ONG (société civile) permit de présenter les rapports de synthèse des divers groupes , qui furent commentées par les représentants des gouvernements. C’est là que le Ministre des Affaires étrangères de l’Equateur, Ricardo Platiño, signala que son pays et la Bolivie, avaient respectivement subi une réduction de 2,5 millions et de 3 millions de dollars de la coopération des Etats-Unis pour n’avoir pas signé le document de Copenhague. Il annonça que l’Equateur était prêt à accorder aux Etats-Unis une somme de 2,5 millions de dollars, s’ils ratifiaient le protocole de Kyoto.

Dans son discours d’inauguration, Evo Morales, donna le ton de la Conférence. C’est le mode de développement, dominé par les principes du capitalisme, qui est en jeu, car il est destructeur de la Terre-Mère et des communautés humaines. Hugo Chavez ajouta à la clôture, que seul le socialisme pouvait apporter une réponse complète. Evo Morales illustra d’exemples symboliques les conséquences insolites d’un modèle productiviste, se demandant pourquoi les Européens devenaient chauves, alors que les indigènes de l’Amérique latine conservaient leur chevelure et attribuant malencontreusement des changements d’orientation sexuelle chez les hommes, dus aux hormones féminines présentes dans la nourriture des poulets industriellement produits. La presse bolivienne particulièrement hostile au régime du président Morales, s’empara de cette aubaine médiatique, pour en faire la une des journaux. La presse internationale ne fut pas en reste, du New York Times au País, exprimant une fois de plus à quel niveau se situe la communication sociale, quand il s’agit de dénigrer un projet qui remet en jeu le système dominant.

Lors de la cérémonie d’ouverture, la représentante du Secrétaire général des Nations-Unies fit un discours très engagé. Malgré cela, elle fut huée par une grande partie de l’assemblée, non sur le contenu de son discours, mais parce qu’elle représentait une institution qui avait perdu son prestige et sa crédibilité suite à la Conférence de Copenhague.

La déclaration finale

La déclaration finale comprend, après avoir constaté un certain nombre de faits, à la fois une série de principes et des propositions concrètes. Il s’agit en premier lieu de déclarer la Terre-Mère, source de vie et d’affirmer le principe d’harmonie et d’équilibre entre tous et par tous. Sur cette base, le système capitaliste doit être remis en question, car il a semé la déprédation et la mort et donc brisé l’harmonie avec la nature et contredit le respect de la vie. En effet, il imposa une logique de compétitivité, de progrès et de croissance illimitée, en recherche de profit sans fin, séparant l’homme de la nature, établissant un régime de domination sur cette dernière et convertissant tout en marchandise. Il faut, au contraire, créer un nouveau système, basé sur les principes de complémentarité, de solidarité et d’équité, du bien-être collectif et de la satisfaction des besoins de tous, en harmonie avec la Terre-Mère et considérer l’être humain pour ce qu’il est et non pas pour ce qu’il possède. En effet, il ne peut y avoir d’équilibre avec la nature que s’il y a équité entre les êtres humains.

Sur le plan pratique, une série de propositions seront transmises à la Conférence des Nations-unies à Cancun : la ratification par tous les pays industrialisés du protocole de Kyoto ; la réduction de 50 % d’émission de CO2 pour 2050, sur base de la situation de 1990 ; une limite de 1 degré centigrade d’augmentation de la température de la planète et non de deux, comme prévu à Copenhague ; une charte des Droits des migrants climatiques ; un encouragement à l’éducation sur les questions climatiques et environnementales. Un ensemble de mesures concrètes seront aussi proposées à Cancun, telles que l’élaboration d’une Déclaration universelle du Bien Commun de la Terre-Mère et de l’Humanité, dont un projet fut rédigé et présenté par le Père Miguel D’Escoto, ancien président de l’Assemblée générale des Nations-Unies, comme base d’une réforme de l’ONU ; un Referendum mondial, sur le respect et le droit de la nature, dont les questions avaient été rédigées par le groupe de travail formé à cet effet et enfin la constitution d’un Tribunal pénal international sur les crimes contre le climat et l’environnement.

Questions pendantes

Si le sommet de Cochabamba a permis de poser des questions fondamentales et de progresser dans la pensée et dans les propositions politiques, il reste, comme dans tout processus en cours, un certain nombre de questions qu’il faudra résoudre dans l’avenir. Il est bon d’en signaler deux, l’une d’ordre théorique et l’autre d’ordre pratique, les réflexions qui suivent servant d’hypothèses de travail.

Sur le plan théorique c’est la conception des rapports entre l’humanité et la nature qui est en cause et donc aussi le vocabulaire utilisé. Ce n’est peut-être pas tellement le mot Terre-Mère, qui a posa problème. En effet celui-ci a été adopté à l’unanimité par l’Assemblée générale des Nations-unies en 2009, quand le 22 avril, date choisie d’ailleurs pour clôturer le sommet de Cochabamba, fut déclaré : jour de la terre-Mère. Cependant, certaines voix se sont élevées, au cours de la Conférence, pour demander une extension du concept. C’est plutôt le texte de l’introduction du document de la Conférence et certains discours, qui de manière très explicite, dépassaient l’expression métaphorique, pour attribuer à la Terre-Mère, les caractéristiques d’une personne vivante, capable d’écouter, de réagir, d’être aimée et pour cette raison d’être un sujet de droit. La déclaration finale demande de revaloriser la sagesse et les savoirs ancestraux des peuples indigènes et de « reconnaître la Terre-Mère comme un être vivant, avec lequel nous avons une relation indivisible, interdépendante, complémentaire et spirituelle ». La Déclaration parle, entre autres, du droit de la terre-Mère à la vie et à l’existence ; d’être respectée ; de continuer ses cycles et processus vitaux libre d’altérations humaines ; de maintenir son identité et intégralité avec ses êtres différenciés et en interaction.

Il n’est évidemment pas question de remettre en question la nécessaire harmonie entre nature et genre humain et l’impératif de la régénérescence de la planète, ni d’avaliser le concept capitaliste d’exploitation destructrice de la nature, en fonction d’un développement conçu comme une croissance matérielle illimitée. Il ne s’agit pas non plus de nier la nécessité de revoir une philosophie de ce rapport qui ignore les autres espèces vivantes et la capacité de reproduction de l’équilibre de la nature. On ne peut accepter non plus de mépriser et de marginaliser des cultures qui peuvent apporter à l’humanité d’aujourd’hui une salutaire critique, tant du rapport d’exploitation véhiculé par la logique du capitalisme, que de l’individualisme exacerbé du modèle de consommation et des autres comportements qui caractérise cette dernière. Mais il s’agit de reconnaître qu’il existe des cultures différentes. Vouloir exprimer le changement nécessaire, uniquement dans les termes d’une pensée symbolique, qui tend à identifier le symbole à la réalité, signifie se heurter à une culture caractérisée par une pensée analytique, qui replace la causalité des phénomènes dans leur champ spécifique, que ce soit physique ou social.

Les deux cultures coexistent aujourd’hui. La première avec une richesse d’expression, qui rappelle la force du symbole et la réalité de l’idéel, particulièrement utile dans le domaine des rapports à la nature et dont les paramètres pratiques sont parfaitement traduisibles en savoirs, en comportements et en politiques, mais dont la cosmovision est difficilement assimilable par une culture urbaine et industrielle, où que ce soit dans le monde. La seconde qui, certes, a réduit la culture à une rationalité instrumentale ou à une simple superstructure (une cerise sur le gâteau, dirait Maurice Godelier) et donc renforcé la logique du capitalisme et contribué à sa reproduction, mais qui a aussi permis un développement important des connaissances, utiles pour résoudre des problèmes pratiques et politiques. En réagissant contre les contradictions du capitalisme, qui conduisent l’humanité et la nature au désastre, ne serait-il pas sage de permettre l’expression de diverses cultures et d’appliquer le principe de la multi-culturalité dans toutes ses dimensions.

C’est un simple début de réflexion, sans prétention d’imposer un cadre de pensée sur ce problème, mais pour ouvrir la discussion et arriver à des solutions permettant une lutte commune dans la diversité et le respect mutuel. C’est notamment important pour l’aspect juridique. Comment définir ce que signifie le Droit de la Terre-Mère et parler d’un Tribunal international de Justice climatique et environnemental ? Evidemment les conceptions juridiques peuvent évoluer et le respect d’un équilibre naturel est indispensable. Encore faut-il savoir si l’on utilise une métaphore pour exprimer une réalité concrète ou si l’on crée de nouveaux concepts pour définir l’harmonie nécessaire. Tout cela a des conséquences sur la manière de dire le droit, de préciser les responsabilités et d’appliquer des sanctions.

La deuxième question est celle posée par le groupe dix-huit, c’est-à-dire la contradiction entre les politiques extractives et la défense de la nature. Il est évident que l’activité extractive comporte un certain degré de destruction naturelle et que la production et l’utilisation de ces ressources naturelles entraine des dommages écologiques. Par ailleurs on ne peut demander au Venezuela de cesser demain l’exploitation du pétrole, ni à la Bolivie celle du gaz ou à l’Equateur de fermer ses mines immédiatement. Les revenus de ces activités forment la base des politiques nouvelles, notamment sur les plans sociaux et culturels. Une solution pourrait être d’utiliser de manière opérationnelle le concept de transition et de le définir en termes politiques. Il s’agirait de quatre orientations fondamentales. Tout d’abord développer une économie centrée, non sur l’extraction pour l’exportation, mais sur le marché interne. Cela ne se fait évidemment pas du jour au lendemain et cela suppose le moyen et le long terme. Plusieurs pays prennent déjà des mesures dans ce sens. Ensuite, établir des règles strictes du point de vue écologique et social, de façon à limiter les dégâts à la nature et à respecter les droits des populations. En troisième lieu, exiger des pays industriels (le Nord) en faveur desquels la majeure partie de cette extraction se réalise, de réduire leur consommation de ressources naturelles, de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre et de financer les efforts des pays du Sud pour la protection de la nature et le respect des droits sociaux. Finalement établir des normes internationales dans ces domaines, sanctionnées par un tribunal international, afin d’évider que ceux qui respectent strictement les principes de protection et d’équité, soient pénalisés économiquement. Sur cette base, des progrès réels pourraient être accomplis.

Les leçons de Cochabamba

La mobilisation populaire pour l’harmonie entre l’humanité et la nature (la Terre-Mère) est une condition indispensable pour que les responsables politiques prennent les décisions qui s’imposent. A cet effet, le diplomate mexicain en charge de la préparation de la Conférence de Cancun, Mr de Alba, a souhaité la bienvenue à tous les mouvements sociaux. Certains parmi la délégation mexicaine ne cachaient pas cependant leur inquiétude, craignant que la présence des mouvements ne remette en question la tranquillité des débats. Les présidents Morales et Chavez ont assuré qu’ils présenteraient les conclusions de Cochabamba dans l’enceinte officielle. Le dossier n’est pas clôt et c’est peut-être le plus important.
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Source : Nouveaux cahiers du socialisme


Voir en ligne : http://www.cadtm.org

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